L'héritier (7)

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7 Ignefol 767

C’est un véritable cauchemar. Mère n’a finalement rien dit, pas même un « je te l’avais bien dit, Moineau ». Elle n’en a pas eu besoin. Son rictus à peine dissimulé et son regard brillant ont suffi à m’assener le fond de sa pensée avec la force d’une gifle. Toutefois, comment aurais-je pu prévoir ce qui s’est passé ?

Une dispute. Il y a peu de survivants et la plupart se sont égaillés au diable. Je n’ai pu recueillir que peu de témoignages. Athelbert, le garde-chasse, a roulé des yeux fous lorsqu’il m’a raconté s’être barricadé tandis que des mineurs hystériques tambourinaient à sa porte. Il a aussi affirmé que le sol a tremblé peu avant le début de l’orage. Quant à ceux qui ont assisté aux événements, ils sont terrorisés et osent à peine en parler. Mais que s’est-il passé au juste ? Des hommes se sont précipités hors des galeries et ont refusé d’y retourner. Leurs explications n’ont pas satisfait les contremaîtres. L’un des mineurs a planté sa pioche dans la poitrine de son chef d’équipe. Ça n’a pas de sens.

Mais le résultat est là. Le chantier est désert. Une partie des corps ont été emmenés par des proches, les autres pourrissent sur place. Personne ne veut s’en occuper. L’odeur porte jusqu’au manoir et les charognards continuent de tourner. L’un d’eux me fixe de l’autre côté de la fenêtre tandis que j’écris ces lignes. Il me nargue de ses petits yeux noirs. Ils brillent du même éclat que ceux de Mère.

Si l’ouverture de la mine a animé les conversations quelque temps dans la région, on ne parle plus à présent que du massacre de la Fosse Sanglante. C’est ainsi qu’ils appellent la carrière. Un lieu maudit. Un lieu à éviter pour les dix générations à venir. Plus personne ne veut en approcher. Même le magistrat de Rosenwald n’y a mis les pieds que le temps de conclure à une dispute qui a dégénéré et dont les responsables l’ont déjà payé de leurs vies. « C’est devant Yseh qu’ils auront à en répondre », m’a-t-il déclaré en guise d’au revoir.

J’ai peur de regagner ma chambre, de me glisser dans mon lit. Mes nuits sont hantées depuis lors. Je rêve de morts, de sang, de tombeaux et de saletés de corneilles. J’ai aussi rêvé de la voix écrasante. Elle a aujourd’hui un plus terrible et funeste écho encore, aux accents prophétiques.

Et néanmoins, à chaque fois que je me réveille, j’ai le sentiment d’avoir encore quelque chose à accomplir. La mine m’appelle. Peut-être ne serai-je pas en paix avant d’avoir tout tenté pour concrétiser mon projet. Peut-être que c’est indépendant de ma volonté, une sorte de destin tracé. Je songe encore à laisser une chance à cette mine. Je devrai retourner à Kaltfel ou même plus loin encore pour réunir une équipe. Je suis découragé. Mais je veux retrouver mon sommeil.

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