L'héritier (8)
20 Ignefol 767
Je reviens d’un voyage éprouvant. Monsieur Adelfuchs était une rareté. Il était venu à moi lorsque je désespérais de trouver des gens compétents pour mon projet. Il m’a fallu deux semaines pour dénicher quelqu’un d’autre et j’ai presque dû pousser jusque Branngard. La chance a toutefois fini par me sourire.
Là-bas, une mine a été rachetée par un nouveau propriétaire, une nouvelle grosse fortune de Lichthel. Le changement d’autorité ne s’est pas très bien passé. Les hommes, qui travaillaient auparavant pour la vieille famille qui possédait ces terres, bénéficiaient d’une certaine bienveillance de la part du seigneur. Mais la vieille famille a connu des difficultés et a été contrainte de vendre la mine à une personne autrement plus ambitieuse. Le travail est devenu plus intense et la discussion impossible.
C’est dans ces circonstances que j’ai rencontré Monsieur Stabel. Rétif à la nouvelle autorité, il avait été durement réprimé et congédié. Certes, il est âgé, éprouvé par une vie de labeur et porte des stigmates habituellement associés aux pécheurs. Mais nombre de mineurs d’essence souffrent de telles difformités. Et Stabel m’a fait l’effet d’un homme honnête. J’ai pris soin de l’avertir de la situation et, non content d’accepter la proposition de travail, il a affirmé pouvoir réunir une équipe d’hommes qui n’ont pas froid aux yeux et nettoieront les lieux avant d’établir un nouveau chantier. Je crois qu’il est aux abois, comme ces gens de sa connaissance, sans doute. Mais le malheur des uns fait bien souvent le bonheur des autres.
Je suis donc revenu au domaine familial, épuisé par la route et les tracas, mais réconforté, car j’ai le sentiment de n’avoir pas œuvré en vain. Sur la route qui me ramenait ici, je n’ai néanmoins pu me défaire de mes sourdes appréhensions. Les ailes noires aperçues au loin. La triste façade de ma demeure. L’antre de Mère, que je devinais à l’étage. Et d’autres petits détails, des impressions plus qu’autre chose : une brise frisquette, un voile de nuages au-dessus du crépuscule, un ballet de feuilles mortes précoces, le sentiment que l’automne arrivait déjà à tâtons dans le domaine, triste comme les premières rides d’une jolie fille.
Mère m’a appelé. Je l’ai laissée mariner un peu avant d’aller la trouver. Tout surprenant que cela puisse paraître, elle a oublié d’être mordante. Elle s’est plainte des domestiques, a pris quelques nouvelles et m’a confié qu’elle ne me soupçonnait pas tant d’entêtement. Un compliment, en somme.
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