L'héritier (9)
30 Ignefol 767
L’équipe de Monsieur Stabel est arrivée et a pris ses quartiers un peu à l’écart de la carrière, dans les vestiges du vieux moulin. Le carnage est par trop récent, le poids des événements pèse trop lourd sur cet endroit. Mais ils sont de bonne volonté.
Je suis allé leur rendre visite ce matin. J’ai été surpris de constater à quel point tout était en ordre. La dernière fois que j’avais vu la carrière, elle était encore encombrée de cadavres et de ruines. Aujourd’hui ne subsistent que les ruines. Et encore la nouvelle équipe a-t-elle récupéré ce qui pouvait l’être et nettoyé le reste. Lorsque je m’en suis étonné auprès de Monsieur Stabel, il m’a confié qu’il s’était attendu à pire, d’après la situation que je lui avais dépeinte. Il n’avait jamais eu à inhumer qu’une demi-douzaine de corps.
Ceci me laisse perplexe. Je suppose qu’entre-temps, les familles et les proches ont vaincu leur aversion pour la Fosse Sanglante, ce lieu maudit, afin d’offrir une sépulture digne aux disparus. Mais pour une fois que tout va pour le mieux, je ne vais pas m’en plaindre.
J’étais d’humeur si légère à mon retour au manoir que j’ai cueilli une fleur à l’un de ces somptueux rosiers pour l’offrir à Mère. Ils ont beaucoup prospéré, envahi les jardins négligés, les vergers et les terrasses. Leurs pétales sont d’un rouge si chatoyant, plus éclatant encore qu’auparavant, me semble-t-il. J’ai d’abord cru m’être blessé à une épine, avant de m’apercevoir que la tige sourdait une résine rougeâtre. Mais Mère n’a pas apprécié mon présent. Lorsque je suis entré dans sa chambre enténébrée pour lui apporter la rose, elle s’est figée. La fleur paraissait lui inspirer une sorte de crainte ou de malaise. Elle n’en a pas voulu. Un peu vexé, je l’ai rapportée dans ma chambre, tandis qu’elle marmonnait des choses au sujet de Père, de sa mort et des bouquets de ses funérailles. Je crois que je ne la comprendrai jamais.
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