L'héritier (16)
27 Rubilante 767
J’ai à peine somnolé, cette nuit. Les gouttes martelaient à ma fenêtre, le vent faisait hurler la maison, les corbeaux venaient me scruter. Et je songeais à Mère, seule, là-dehors.
La tempête s’est calmée à l’arrivée de l’aube. Je n’ai rien pu avaler. Heinrich, Monsieur Stabel et Agnes n’affichaient pas une mine plus enthousiaste. Cette dernière, surtout, était rongée de culpabilité. Au fond de moi, je sais qu’elle n’y est pour rien, mais je n’ai pas trouvé le courage de la rassurer. Il était temps d’entamer les recherches dans les bois détrempés.
Nous n’avons toutefois pas eu l’occasion de nous mettre en route, car un visiteur est arrivé. Athelbert, le vieux garde-chasse, a frappé à la porte. Son visage aussi était déformé par le manque de sommeil, et par autre chose également, un sentiment devenu par trop familier. Je l’ai fait asseoir auprès d’une tasse de thé fumant et ai écouté ce qu’il avait à raconter.
Il a longuement hésité, comme s’il ne savait trop par où commencer, avant de prononcer le premier mot. À nouveau, dès le début de la tempête, il a senti que quelque chose ne tournait pas rond. Il s’est calfeutré chez lui, sa cognée à portée de main, au cas où. Et à nouveau, il a entendu des cris et des gens ont tenté de forcer sa porte. Il a aussi entendu des appels à l’aide. Mais rien n’y a fait, il est resté enfermé, en sécurité. Qui serais-je pour l’en blâmer ?
Il n’a pas fermé l’œil. Mais lorsque le vent est retombé, que la pluie a cessé, il a mis le nez dehors. Il y avait des traces de griffes et de coups sur sa porte. Des empreintes dans la boue autour de sa maison. Ensuite, à l’orée du bois, tout à côté de chez lui, il a découvert Mère. « Je crois qu’elle s’est pendue. » a-t-il murmuré d’une voix blanche. « Vous croyez ? me suis-je emporté. Elle s’est pendue, oui ou non ? » L’homme s’est tassé. Puis il m’a invité à venir voir par moi-même.
Le vieil homme disait vrai. Pourtant, comment croire qu’elle avait pu se pendre ainsi ? Elle était là, sa chemise de nuit en haillons. Ce qu’il restait de dentelle flottait comme les oripeaux d’un spectre. Pendue à la branche d’un chêne séculaire au-dessus des rosiers, des ronces noires hérissées d’épines enserraient son cou. Cette image en a aussitôt évoqué une autre, profondément enfouie dans ma mémoire. Celle de Père. J’étais jeune alors. Je l’avais découvert, pendu, dans l’aile nord. Peu après qu’il eût envoyé des hommes de confiance dans les carrières à la recherche de son fameux trésor et qu’ils eussent péri dans un éboulement. L’événement avait une résonance d’autant plus étrange à présent.
Nous avons récupéré le corps de Mère et l’avons rapporté au manoir. J’ai envoyé Heinrich quérir un prêtre. Gêné, Monsieur Stabel a profité de ce répit pour me présenter sa démission. De toute manière, le camp du vieux moulin est en ruines.
Quand cela va-t-il s’arrêter ? J’ai peine à croire que l’été avait si bien débuté et qu’il puisse s’achever ainsi. Une vie entière semble s’être écoulée depuis cette fameuse promenade où j’ai songé ouvrir une mine d’essence. Je suis au désespoir. Père et Mère sont morts. Il ne reste que moi. Moi et cette demeure croulante. Et tous ses vieux fantômes.
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