5 Ventode 767

Je crains de perdre la tête. Mes nuits sont troublées de cris, de pleurs et de l’écho d’un pas désynchronisé. Le matin, je me lève et me regarde dans la glace. Je ne me reconnais pas. Les domestiques m’observent à la dérobée avec un air navré. Je n’ai plus même la force de feindre que je tiens bon.

Le jour, c’est encore pire. Il y a tous ces détails qui n’en sont pas vraiment. Des tours de l’esprit. Comme lorsque, enfant, des ombres immobiles semblent bouger et prendre des formes incongrues. Je ressens des présences, je perçois des chuchotements et quand je me retourne : rien. Un frisson me remonte l’échine à chaque fois que je passe sous le regard figé de la jeune fille de marbre, dans le hall. À la fenêtre, le regard perdu dans la grisaille qui écrase ces bois maudits, j’ai vu mon reflet me sourire. Me sourire… quand je ne suis que chagrin, remord et désespoir.

Hier soir, un feu crépitait dans la cheminée. Heinrich, bienveillant, se tenait prêt à répondre à la moindre requête, dans un coin de la pièce. Il est soucieux, je le vois bien. J’ai de la chance de l’avoir à mes côtés. Un livre que je ne lisais pas posé sur les genoux, j’observais la danse effrénée des flammes. Dans un murmure, il a parlé de Solefiore, mais si bas que je n’ai pas compris.

Je me suis tourné vers lui. « Vous pouvez répéter, Heinrich ? ai-je demandé.

— Monsieur ? a-t-il répondu.

— Vous parliez de ma sœur. »

Son front s’est plissé d’inquiétude croissante. Il m’a affirmé n’avoir rien dit. Ni rien entendu. Je ne peux plus me fier à mes sens. J’ai l’impression de flotter dans un rêve permanent, un rêve, que dis-je, un cauchemar. J’ai l’impression de devenir Mère.

Même à présent, penché sur mon journal, la plume à la main, une tenture bouge à la périphérie de mon champ de vision en l’absence du moindre courant d’air, tandis qu’à la fenêtre, une paire de corbeaux m’épie.