L'héritier (25)
14 Ventode 767
À ma grande honte, je suis soulagé.
Le domaine était pétrifié dans une gangue de glace et de neige, ce matin. Je me suis levé et j’ai retrouvé ma sœur et son étrange compagnon dans la salle à manger, comme s’ils n’avaient pas bougé depuis la veille. Il ne s’agissait donc pas d’un rêve.
Le coffre aussi était toujours sur la table. Sire Lyndor m’a fait signe d’approcher et m’a montré comment actionner le mécanisme d’ouverture. Les reflets dorés avaient tout à coup perdu de leur charme. « L’exploitation commence dès aujourd’hui », m’a-t-il dit de sa voix profonde. J’ai aussitôt compris le sous-entendu.
À contrecœur, j’ai convoqué Agnes. Bien entendu, elle n’a pas compris ce qu’on attendait d’elle. Je l’ai simplement priée d’accompagner Solefiore et de rester à sa disposition. Je ne peux pas le jurer, mais je crois que ma sœur a prononcé une sorte de formule pour la rassurer. Toujours est-il qu’au terme du déjeuner, Agnes s’est enveloppée dans son ample manteau à capuche rouge et a docilement accompagné nos deux invités. J’étais heureux de les voir partir.
Je n’ai toutefois pas pu penser à autre chose de toute la journée. Où en étaient-ils ? Que s’attendaient-ils à trouver là-dessous ? Quand rentreraient-ils ? Quel sort attendait la pauvre Agnes ? Je m’attendais à tout moment à entendre gronder la tempête ou à recevoir quelque nouvelle funeste de la carrière. J’ai pris un livre que je n’ai pas lu. Je me suis servi un verre auquel j’ai à peine touché. Et je n’ai pas osé croiser le regard de Heinrich.
À présent, la nuit est tombée depuis plusieurs heures. Le domaine est toujours figé dans sa pelisse de neige et de silence. Le grattement de la plume sur la page de journal prend une ampleur retentissante. Et pas un souffle de vent ni la moindre nouvelle de ma sœur et du nain pour venir troubler le calme.
Annotations
Versions