4. Collision
PAUL
*
28 avril.
J’admire la chevelure rousse qui se rapproche d’un pas décidé dans notre direction. Avec Arthur, nous sommes figés, comme pris au piège par la femme qui marche droit vers nous. Et si des yeux pouvaient tuer, j’imagine que nous n’aurions pas survécu très longtemps à ses émeraudes en fusion. Je détourne mon visage quelques minutes pour constater que mon compère se perd dans ses pensées, inquiet de la future réaction de Vanessa. En effet, si la conductrice devant ne nous assassine pas sur place, sa femme le fera à sa place, une fois que nous serons rentrés.
Trois petits coups résonnent sur le carreau à ma gauche m’obligeant à tourner mon attention vers ma portière. Merde ! Sa poitrine rebondie… elle est au niveau de mon regard. Je me délecte de cette vue sans m’en cacher pendant que la vitre glisse vers le bas. Sans réfléchir, je commence une nouvelle observation du corps qui se présente à moi. De fines jambes, des hanches et des seins généreux, jusqu’à son regard habillé d’un vert à couper le souffle. Sauf que… l’appel de son décolleté est puissant et mes pupilles ne restent pas dans les siennes.
— Mes yeux sont plus hauts, je vous ferais dire ! crache-t-elle lorsqu’elle constate que je n’ai pas l’intention de redresser la tête vers elle.
Sa voix, même sévère, est douce à l’oreille. Un sourire en coin se dessine sur mes lèvres, je suis satisfait par ce que je vois et entends. Son air sauvage est des plus attirant. Elle est flamboyante. Je redresse avec lenteur ma figure vers la sienne, des taches de rousseur prolifèrent sur son nez et ses pommettes, ce qui la rend sublime. Lui donne un air presque enfantin. Innocent.
Mon rictus qui s’est élargi, il y a de cela cinq secondes, disparaît en un rien de temps quand la belle reprend la parole.
— Monsieur le goujat voudrait-il bien descendre de sa voiture pour remplir le constat ? Non, parce qu’il y en a qui vont bosser et qui sont en retard. Cela ne me dérange pas plus que ça que vous admiriez mes formes, mais je suis attendue.
Son assurance n’est rien face au grand sourire de fierté sur son visage en notant l’effet qu’elle a sur moi.
— Veuillez l’excuser, mademoiselle. Il ne sait pas se tenir surtout en apercevant une aussi belle femme. Je vais vous suivre et compléter les papiers avec vous. La voiture étant à mon épouse, je me charge de ça.
Arthur ricane chaleureusement, une étincelle de joie dans le regard.
— Vous n’êtes pas en tort. Votre copain, le pervers par contre… est coupable. C’est donc à lui de régler le problème. Ce n’est pas un gamin, si ? En tout cas. Il n’en a pas les traits.
Surpris par sa réponse, Arthur reste bouche-bée. Et il réagit en me donnant un coup de coude dans les côtes pour que je réplique à l’agression verbale de la demoiselle. Cependant, je me contente de l’observer en biais, allant de ses lèvres à ses hanches chaloupées. Rattrapé par la réalité à cause d’une symphonie de klaxons, je grogne tandis que d’une phrase, la jeune femme m’ordonne de la suivre. Un parking est à deux mètres d’ici. Nous pourrons discuter en toute tranquillité.
Ni une ni deux, la belle fait demi-tour pour rejoindre son automobile. Je me délecte du mouvement de ses fesses. M’imaginant déjà les prendre avec fermeté pour goûter à la moiteur qui se cache entre ses jambes… Une tape sur le crâne me sort de mes rêveries. Arthur avec son sourire en coin me comprend mieux que personne. Et surtout il connaît mes fâcheuses habitudes avec les femmes comme elle.
A présent les pendules sont à l’heure. Je reprends le chemin de la réalité. Je présente mes excuses aux autres conducteurs d’un signe de la main et j’avance. Je suis la direction qu’elle m’indique. Nous nous garons pour remplir le constat. Aussitôt arrivée sur le parking, elle sort de son véhicule, des papiers bleus et blancs entre ses doigts. Mais… je reste immobile, observant Arthur rejoindre cette femme et se rend ainsi compte des dommages occasionnés sur les deux autos.
— Putain ! ruminé-je. C’est une journée de merde…
Et mon cœur qui s’emballe chaque fois que j’examine cette silhouette féminine ne m’aide pas. Je cogite encore sur mes différentes mésaventures lorsque je remarque le duo à l’extérieur se marrer. Que raconte Arthur de si drôle à la charmante furie ? Je ronchonne et suis pris au dépourvu quand un doigt se braque vers moi. Mais ma surprise n’est que de courte durée avant que je me décide à les rejoindre. Curieux de connaitre le sujet de leur conversation, je me précipité presque à leurs côtés.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi tu me pointes avec ton index de cette façon ?
— Oh pour rien, fanfaronne Arthur. Je disais juste à Laure, ici présente, que tu es fatigué ce qui explique ton attitude si… détestable. Bien que, finalement, tu ne changes pas de d’habitude.
Moqueur.
Lui aussi a toujours la même personnalité. Il est resté identique à celui qu’il était à notre rencontre. Pénible mais attentionné. Un véritable meilleur ami, un comme il est rare d’avoir et de garder toute une vie. Souvent prêt à faire de l’humour quitte à te mettre dans l’embarras devant une femme. Comme maintenant. Alors ma main qui vient presser son épaule n’est qu’un avertissement. Un doux conseil qu’il ne semble pas vouloir suivre. Au fond, je m’en doutais. Et bien que je sois apte à une bataille silencieuse, dont Arthur et moi avons le secret, nous sommes interrompus par une voix un grain énervée.
— Désolée de vous interrompre, mais déjà que je suis en retard, vous ne m’aidez pas. Et j’espère ne plus avoir à vous croiser.
— Attendez ! la coupé-je dans sa tentative de fuite. Pourrais-je avoir votre numéro de téléphone ? J’aimerais pouvoir vous joindre pour convenir d’un rendez-vous.
Sérieux, je retiens ma respiration avant de préciser :
— Pour voir avec vous les modalités de nos assurances respectives.
Les sourcils froncés, elle hésite ne sachant pas si elle doit me croire quand j’affirme que c’est ma seule intention ou juste m’ignorer. Et elle a raison de douter : cette fille me plaît. Elle a un caractère de feu et ne se laisse pas faire. Mais malgré sa résistance, je m’attends tout de même à ce qu’elle me donne son numéro sans souci. Sauf qu’à la place, un léger rire s’évade d’entre ses lèvres.
Décontenancé, je crois rêver. Elle met mon cœur en branle, mes joues se teintent d’un rosé presque imperceptible. Elle a compris mon piège et cela rend le jeu de séduction intéressant. Et c’est prêt à attaquer de nouveau que je suis pris de court par le haussement d’épaules de la belle. Elle jette un œil à Arthur, lui adresse un signe de la main pour finir par se détourner et filer. Sans un seul retour en arrière. Elle fuit. Non, mais c’est une blague ? Sur le cul, je me frotte la nuque. Cette situation ne m’est pas arrivée depuis des années. C’est d’ailleurs la première fois qu’une femme me tourne le dos avec un air de satisfait visé au visage.
Merde… C’est le genre de frustration que j’évite d’habitude. Et le nœud qui se loge au creux de mon ventre n’arrange en rien mon humeur. Arthur, debout à mes côtés, se trémousse de droite à gauche avant d’exploser dans un fou rire moqueur. Je le fusille du regard, mais cela ne fait qu’accentuer ses gloussements. Je marmonne, enrageant dans ma moustache inexistante et remonte bouder dans notre voiture. Cabossée et tigrée de beige, elle est le parfait exemple de mon état d’esprit à cet instant : secoué.
Prenant place à son tour, j’observe Arthur qui tente de retenir un énième rire. Mais il sait autant que moi, que s’il fait le malin maintenant, il le fera moins une fois chez lui. Nos regards se croisent, je soupire et le laisse m’attaquer :
— Elle t’a mouché.
— J’avais remarqué. Merci.
— Punaise ! Ça faisait un moment que je n’avais pas vu une femme te rembarrer comme celle-ci. Pire encore, elle n’a même pas répondu à ta demande. Je ne vais pas m’en remettre, s’extasie mon ami. Dommage qu’elle soit si agressive, n’est-ce pas ?
Dommage.
C’est le mot que je cherchais. Une si belle poupée… pourtant elle semble avoir un répondant épicé. Et elle a raison de se défendre, mais n’ai-je pas des atouts imparables ? Peut-être pas pour elle. Après tout, je ne connais ni cette demoiselle ni le type de personne qui l’attire. Peut-être préfère-t-elle les femmes aux hommes, ou bien encore les deux… Quoi que peu importe ses goûts ! Je suis prêt à parier que je suis son genre. J’espère.
Plongé dans mes réflexions et guidé par Arthur, je ne me rends pas tout de suite compte que nous sommes dans l’allée de sa demeure. Vanessa déjà postée sur le perron, nous attend telle une maitresse de maison parfaite. Mais le sourire qu’elle affiche s’efface aussitôt qu’elle aperçoit l’état de sa voiture. Preuve que les marques de notre collision avec Laure sont visibles à trois mètres de distances… Résultat ? Un accueil des plus cinglants. Et mon cœur qui fait des bonds.
— Quel cul as-tu reluqué, cette fois, pour réussir à emboutir ma Clio ?
— Voyons… Vanessa ! essaie de l’amadouer son mari.
— Je vous connais tous les deux alors pas d’excuses. Quelle femme a pu détourner l’attention de ce cher Paul ? Laissez-moi deviner. Petite ? Avec une belle poitrine ? Ou alors une mini-jupe soulevée par un coup de vent, peut-être ? Non. Rien de tout ça ?
Vanessa n’a de cesse de m’interroger. Son monologue se poursuit jusqu’à ce que je la coupe. Je lui réponds encore agacé par la résistance de la jeune femme plus tôt.
— Non. Juste une rousse au caractère de tigresse.
Une furie à l’allure de feu.
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