5. Réflexions

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PAUL

*

30 avril.

Après l’accueil haut en couleur de Vanessa, il y a deux jours, celle-ci m’a pris dans ses bras comme une sœur le ferait au retour à la maison de son frère absent, depuis longtemps. Très souriante, élancée et chaleureuse, Vanessa est à l’aise avec mon caractère de cochon. Elle sait me remettre à ma place quand il le faut ou encore, se taire lorsque c’est nécessaire. Souvent son regard suffit à transmettre le message qu’elle souhaite. En conclusion : elle est géniale ! Et avec Arthur, ils représentent mon idée du couple idéal. C’est vrai que je n’ai pas eu de réel exemple avant eux…

Ma mère, célibataire, m’a toujours raconté que mon père a tourné les talons sans le moindre remords nous laissant, solitaires. Résultat ? Mise à part ma mère, Suzanne, et ses parents, je ne connais personne de ma famille. Maman étant enfant unique et mes grands-parents étant décédés l’un après l’autre il y a quatre ans, il ne reste que nous deux. D’accord, tout cela n’est pas joyeux, mais ce n’est pas ça qui m’a freiné.

Au contraire…

Pendant plusieurs années, j’ai cherché en vain dans des archives et autres documents des traces de mon géniteur. Et en même temps, Suzanne ne m’en a jamais parlé clairement… C’était mon but premier en devenant journaliste, avoir accès à des informations qu’en tant que « civil », je ne pouvais pas consulter. Et c’est cette ambition qui m’a mené où j’en suis aujourd’hui.

L’analyse du « pourquoi » est important, mais pour moi, le plus intéressant dans mes articles, c’est quand j’arrive à apporter une explication et une solution aux lecteurs, et consommateurs de tous les jours. Je sais, c’est barbant pour certains. Pourtant, j’adore ce que je fais et chaque mission que j’entreprends, me guide vers des découvertes et des réponses auxquelles je n’aurais souvent pas pensé.

Ces derniers temps, j’ai tendance à me perdre dans mes réflexions. Mélange de passé et présent, de nostalgie et envie. Un cocktail explosif pour moi. Peut-être est-ce parce que je reviens ici, à Bordeaux, pour un temps… Cette ville de mon enfance et de mon adolescence, qui m’a apporté beaucoup, va-t-elle une fois de plus faire basculer ma vie ? Enfin avant ça, il faudrait déjà que je crois au destin ou autres superstitions dans le genre. Une grosse connerie, si on me demande mon avis.

Rien n’arrive par hasard. Pour réussir, il faut travailler.

Un point, c’est tout.

Retrouver mes amis est un grand bol d’air frais, et ça depuis deux jours maintenant. Après de plates excuses à genoux à destination de Vanessa, nous avons ri ensemble de la situation. Il n’y a que moi pour entrer en collision avec une furie. Une furie rayonnante et superbe ! Je me dois de l’avouer… Aveu qui sans comprendre pourquoi rend mon visage écarlate. Ce qui ne manque pas d’attirer le regard malicieux de mon amie. Vanessa a un don pour reconnaître mes points faibles, surtout quand il s’agit d’une femme. Mais l’autre soir, elle ne dit rien.

— Qu’est-ce que tu fais, monsieur le journaliste ?

L’intervention d’Arthur alors qu’il pénètre dans la dépendance me remet face à l’instant présent.

— Pas grand-chose à ce que tu peux voir. Enfin…

Entouré d’une tonne de papier éparpillée devant moi, je me passe la main dans les cheveux et derrière la nuque avant de reprendre :

— Je mets un peu d’ordre dans mes recherches. Les « continents de déchets » sont plus imposants et présents que à quoi je m’attendais…

— Je te l’ai dit ! J’en aperçois de plus en plus ! Et les politiciens ne font rien pour arranger ça ! L’évocation même de ces continents n’a été faite qu’une seule fois aux informations.

— Une fois ! Ce n’est rien du tout !

— Comme tu dis. Et maintenant, seuls les navigateurs et autres experts en environnement et écologie se préoccupent des répercussions de ces montagnes d’ordures sur les eaux. Plus encore… sur notre planète, me confie un Arthur concerné.

Je le savais !

Mon ami est enthousiaste face au sujet de mon article. Il va être le meilleur des bras droits pour cette mission. D’abord parce que c’est un spécialiste des océans et ensuite parce qu’il connaît toutes les personnes à interroger pour avoir les bonnes réponses. C’est génial ! Les connaissances, ça change tout. Arthur s’installe à mes côtés autour de la table et commence à feuilleter mes recherches, le tout en y gribouillant de temps à autre des remarques. Pris dans le rythme, je l’imite et m’y mets également.

J’aime travailler dans cette ambiance, dans cette cabane au fond du jardin. Petite mais très jolie, elle est décorée avec finesse. Vanessa a un goût excellent en matière d’aménagement. Elle a su rendre ce lieu apaisant et confortable.

La dépendance s’ouvre sur une immense pièce à vire avec à son centre une table en ébène brute. Table autour de laquelle, il est tentant de se poser pour partager un repas ou travailler au calme. L’entrée s’ouvre sur le coin salon. Là, Vanessa y a disposé un canapé d’angle douillet. Moelleux à souhait, sur lequel plusieurs cousins sont jetés. Puis dans mon dos, la cuisine. Un fin comptoir la sépare du reste de l’espace. Et bien sûr, la chambre et sa salle de bain attenante toutes deux dans un style contemporain. Cocooning.

— La rousse d’hier serait parfaite pour me détendre entre ses murs, soufflé-je.

— Calme tes ardeurs, tu veux ? Elle n’avait pas l’air intéressée du tout. Je dirais même qu’elle t’a fui plus qu’elle ne s’est accrochée à toi. Tu aurais dû voir ta tête à ce moment-là ! C’était hilarant !

Une respiration et c’est le coup de grâce.

— D’ailleurs, c’est la première fois qu’on te repousse, depuis…

— Ouais. La première fois depuis le lycée.

Ma réponse est lancée dans le vent. Elle nous souffle et c’est Arthur qui poursuit le fil de notre conversation vers un autre sujet. Il détourne mon attention de ces années d’humiliations.

Nous finissons ainsi par revenir sur nos analyses des océans. Et alors que je pensais que les « continents de déchets » étaient le problème principal de nos eaux, je me rends vite compte que la faune et la flore océaniques font aussi les frais de cette pollution invasive. Des tortues se retrouvent entravées par des emballages de canettes qui avec le temps déforment leur carapace. Tandis que certains récifs de coraux disparaissent, détruis par l’agressivité des produits qui composent nos fameuses matières plastiques.

Un vrai carnage…

La tête plongée dans les papiers et envahis par un nombre incalculable de notes – que je vais devoir remettre au propre pour mon article – nous n’apercevons pas Vanessa entrer dans la pièce. Cette mission ne va pas être de tout repos. Ma pensée est interrompue par l’apparition de deux assiettes pleines de chaque côtés d’Arthur et moi. Nous relevons d’ailleurs nos visages pour rencontrer celui souriant de Vanessa. Si son mari lui répond avec la même expression faciale, de mon côté, je me contente de les observer. Leur complicité me ramenant malgré moi à cette solitude, parfois pesante, que je tente de comblé avec des coups d’un soir, sans lendemain.

Je grogne, et me frotte le front quand la voix de Vanessa s’incruste à travers mes idées corrompues.

— Une certaine Laure a téléphoné.

Il ne m’en faut pas plus pour laisser une bombe explosée.

— Laure ? La furie ? Tu lui as dit quoi ? Elle voulait quoi ? Elle a demandé à me voir ? Je te l’avais dit ! Aucune femme ne peut résister à mon charme !

Enthousiaste, je suis refroidi par la réaction de mon amie.

— D’accord… Je suis désolée mais, ce n’est rien de tout ça. Elle a juste souhaité nous prévenir par rapport au compte rendu de son assurance sur la prise en charge des dégâts de l’accident. Que tu as causé, je te rappelle.

Quoi ? C’est tout ? Dans l’incompréhension totale, je rejette l’évidence qui me fait face. Cette femme ne désire pas me parler, n’a pas demandé à m’adresser la parole, n’a pas voulu de mon numéro de portable. Rien… nada, niet. Son appel était juste pour être polie envers Arthur et Vanessa. Ni plus ni moins. Et moi, alors ? Je ne lui ai donc pas tapé dans l’œil… Grognon, j’agis comme un enfant capricieux, boudeur. Je n’ai pas eu le jouet que je souhaitais et suis prêt à me rouler par terre pour supplier mes parents de me l’acheter. Mais ça ne fonctionne pas comme ça.

Et je me demande même comment cette Laure peut me résister. Se pourrait-il qu’elle soit insensible à mes charmes ? Non… Elle aurait quelqu’un alors ? Des raisonnements tordus presque douteux font surface dans mon esprit. Je me claque la joue mentalement pour me remettre les idées en place. Sérieux, Paul ! Tu es un vrai connard !

Et si… je me faisais des films ? Laure, cette femme à la chevelure de feu, elle ne m’a peut-être pas bien observé. En tout cas, pas dans ma totalité. Ce qui explique son absence d’intérêt pour moi. Oui ! Bien sûr ! Ou… ne suis-je plus en forme ? Depuis combien de temps, n’ai-je pas fait face à une résistance ? Je manque de pratique en séduction, et surtout en drague de gentleman, il faut bien l’avouer. Mais, tout de même ! Jongler entre la mise en page de mon dernier article et l’amorce de ma nouvelle enquête, n’a pas été de tout repos.

Serais-je rouillé ?

Ah, quel enfer !

Vivement que mes recherches se tassent. Nous pourrons reprendre, comme à l’époque, le rythme des sorties en club. Et qui sait, j’aurais peut-être une chance de tomber sur une magnifique rousse au tempérament digne d’une furie. Merde alors… créer mille et un scénario dans l’espoir de conquérir une seule femme est nouveau. Cette révélation m’assomme. Mon stylo m’en tombe des doigts attirant l’attention de mes amis.

— Tu viens de réaliser que tes charmes sont grillés ?

— Je veux cette Laure. La conquérir, la séduire… son image m’obsède.

C’est un aveu. Un cri de mon cœur qui pour une raison inconnue bat à un rythme effréné depuis plusieurs jours. Ma tête bouillonne des images de la belle. Je suis foutu. Et ce désir ardent qui se loge en moi, ne m’annonce rien de bon. En vérité, ai-je une chance de revoir cette femme ?

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