26. Insoumis
Oldric.
Ce matin, les gardes découvrirent dans sa cellule le corps sans vie d'un esclave. Les entrailles lacérées, il avait subtilisé puis mangé des tessons de poterie sans que quiconque ne s'en aperçoive. On le jeta vite fait dans une fosse au pied des courtines, et la journée reprit son cours normal.
Oldric estimait qu'il n'y avait aucun honneur à se suicider. S'il fallait que son dernier jour advienne au sein de l'empire, ce serait le javelot au poing, au-dessus d'une pile de cadavres égéens. Ingvar le verrait mourir en guerrier.
Tharacus ne le fit pas courir cette fois-ci. Au lieu de cela, l'instructeur l'emmena dans la petite arène d'exposition. Il le rejoignit pour une série d'exercices d'échauffement et d'étirement. Oldric s'étonna des quatre licteurs qui se dressaient à équidistance à l'intérieur des murs, et jeta un coup d'œil vers la tribune des spectateurs. Skorpio se tenait aux côtés d'un Xher au teint brou de noix, de grande taille, vêtu d'une tunique rouge bordée d'or.
— Voyons si tu peux me battre, barbare.
Tharacus lança une longue perche épaisse. Il se plaça sur le côté, retournant le bâton d'une main experte, attendant.
— Allez. Attaque-moi si tu l'oses. Montre-moi si tu as appris quelque chose.
Le poids du chêne était agréable dans les mains, les extrémités émoussées par du cuir. Skorpio avait commandé cette exhibition pour l'une des deux raisons suivantes : soit l'homme était riche et cherchait un peu de divertissement, soit il s'achetait un Monomaque.
Se déplaçant lentement et prudemment, Oldric chercha une ouverture. L'instructeur donna un coup sec, rapidement bloqué, et le craquement du bois sur le bois résonna dans l'arène. Tharacus changea de main, se retourna et frappa sur le côté, atteignant la pommette de son apprenti.
Le sang d'Oldric bouillonna, mais, à force de conditionnement, il parvint à se maîtriser. Il encaissa deux autres coups, puis en porta deux à son tour, faisant basculer le maître sur la pointe de ses pieds. Utilisant la chaleur de sa colère pour lui donner de la force, il passa à l'offensive. On lui avait appris à regarder les yeux plutôt que les mains pour prédire les mouvements de son adversaire. Il bloqua une attaque et enfonça le bâton dans le rein de son opposant, ce qui le fit sursauter puis trébucher. La verge estanienne pivota en un cercle véloce et se dirigea vers la tête. Tharacus expira brusquement, ses pupilles se voilèrent de douleur et ses doigts se desserrèrent.
Du coin de l'œil, Oldric vit un garde bouger alors que Tharacus tombait. Il savait qu'il avait peu de temps. Le bâton fermement agrippé dans sa paume, le guerrier se laissa tomber sur son instructeur, retira son heaume de sa main gauche et ramena sa main droite en arrière. Les yeux du maître s'écarquillèrent et il tenta d'esquiver le coup en criant un ordre.
Trop tard.
Oldric enfonça le bout de la perche dans la base du nez de Tharacus, fracassant le cartilage. Le cuir, le bois, les os et le sang se mélangèrent en une bouillie rougeâtre.
La seconde d'après, deux licteurs l'éloignèrent du corps convulsé du maître. Oldric rejeta la tête en arrière, criant de jubilation. L'adrénaline parcourant encore son corps, il jeta un reître au sol et enfonça son poing dans l'abdomen de l'autre, arrachant le glaive de son fourreau au moment où il s’écroulait.
Le troisième et le quatrième accouraient déjà, l’acier au clair.
— Ne le tuez pas ! ordonna Skorpio depuis l'exèdre.
L'autre homme sourit, dit quelque chose au seigneur Karpophoros, puis s'en alla.
Les gardes utilisèrent un filet pour le faire tomber. Enchevêtré comme un animal sauvage, Oldric fut plaqué face contre terre dans le sable.
— Bande de porcs, vociféra-t-il en égéen alors qu'il se débattait. Je vous tuerais ! Tous ! Toi, Skorpio, je t'étranglerai avec tes viscères ! Tu m'entends ? Je t'étranglerai !
Pour toute réponse, l’aristocrate secoua la tête, l'air dépité. L'un des soldats tira son bras gauche hors du filet pour qu'il soit bien en extension, avant de dégainer à nouveau sa lame.
Ils cherchent à m'effrayer.
Avec des gloussements ravis, le soldat s'avança sous l'œil scrutateur de son Seigneur.
Ils veulent m'entendre implorer merci, mais c'est un plaisir qu'ils n'auront plus.
Il était prêt à mourir. Plus aucun égéen n'allait encore lui arracher un cri. Jamais.
Un rayon de soleil argenta fugitivement le fil de l'épée lorsque, presque trop vite pour s'apercevoir, celui-ci s'abattit avec un froufrou soyeux. Et Oldric hurla.
Son auriculaire gauche en moins, L'Estanien fut dans l'heure enchaîné seul dans un autre chariot, à la suite d'un convoi. L'homme en rouge se prélassait à l'avant dans une litière portée par six esclaves.
Il s'appelait Bammon. Il appartenait à Sa Majesté Impériale Kratheus Ier Valerian, et occupait le poste prestigieux de maître instructeur à la caserne personnelle de l'Empereur, à Aetherna.
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