29. À la croisée des chemins

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Kallian.



Kallian s'agrippa à la bride de son nouvel étalon noir, louvoyant à travers la foule près des portes de la ville. Le cheval était une bête majestueuse, tout juste arrivée de Pargos, et le bruit rendait l'animal nerveux. Le prince s'aperçut bientôt qu'il faisait peu de progrès.

— Écartez-vous, ou faites-vous piétiner ! cria-t-il à plusieurs hommes devant lui.

L'étalon secoua sa grosse tête et bondit d'agitation. Kallian s'avança et regarda les badauds s'éloigner rapidement.

À l'extérieur des murs d'Aetherna, la route était bondée de voyageurs désireux d'entrer dans la ville. Les plus pauvres étaient à pied, transportant tout ce qu'ils possédaient dans un sac sur leur dos, tandis que les hommes riches étaient maintenus en l'air sur des litières ou tirés dans des calèches agrémentées de rideaux multicolores.

Kallian chevaucha vers le sud. Il laissa l'animal galoper, la tête fière et haute. La route était encombrée d'ambassadeurs de provinces lointaines, de fonctionnaires, de légionnaires, de marchands, d'esclaves d'une douzaine de localités. Il traversa les faubourgs et croisa un groupe de construction, tous occupés à améliorer une section de route qui menait à de nouvelles villas dans les collines.

Il respirait mieux au fur et à mesure qu'il avançait. L'agitation de la ville, le bruit incessant et les obligations ennuyeuses avaient fini par l'agacer. À la demande d'Ikarus, Kallian avait aidé le Maître Bâtisseur du Conseil à achever la construction de deux galères que Kratheus souhaitait offrir à son épouse Pandore. L'Empereur avait baptisé la première Aigle Farouche, et avait demandé l'avis de son cadet pour le nom de la seconde.

Farouche Radasse, avait-il immédiatement pensé.

Mais, avec un grand sourire, le jeune prince avait proposé à son souverain le nom de Légionnaire des mers.


Ses frères faisaient pression sur lui pour qu'il prenne plus de responsabilités dans le secteur de l'ingénierie, mais ses propres entreprises marchaient si bien et prenaient tellement de temps que Kallian rechignait. Quel défi y avait-il à prendre ce qui lui revenait de droit ? Il voulait construire son propre nom et son propre petit empire au sein de l'Empire. Et c'est ce qu'il faisait.


Prendre de la distance avec Eos s'avérait aussi nécessaire. Kallian avait mis de façon univoque un terme à leur petit idylle. La pimbêche avait fini par découvrir qu'il entretenait une relation avec Pandore, et il ne souhaitait pas que ce problème inconvenant s'ajoute à ses épaules.

Il grimaça, se souvenant de la douleur et de la colère d'Eos. Piquée par son rejet, elle avait commencé à répandre la rumeur de leur liaison, que Kallian s'était empressé de rejeter en bloc. Sa persévérance embarrassait, surtout que son mariage avec le fils de l'Archonte était proche.

Il y avait certains avantages dans le statut de célibataire, à savoir faire ce que l'on veut, quand on veut, et avec qui on le veut. Pendant quelques jours, Ilona, une fille d'esclave libre, ancienne pupille de Kastor servant désormais l’Empereur, lui avait changé les idées. Kallian l'avait rencontrée pendant un détour au palais impérial, alors que le conquérant de Shulam faisait l’objet de tumultueuses discussions au sein du Conseil.

Kastor avait étrangement changé. En plus de posséder une propension inquiétante d'esclaves shulamites mêlés à bien trop d’hommes libres dans sa maisonnée, le prince puîné était sorti émacié par la fin de sa guerre à Tel-Sayaddin. Pris d’affection pour la princesse shulamite Malqa, il avait refusé de l'exécuter. Kratheus et Ikarus étaient furieux.

Le cadet Valerian n'y avait pas cru jusqu'à ce qu'il rencontre Kastor et voit la Garde Impériale se saisir de cette princesse déchue avant de lui trancher le chef dans les arènes d’Aetherna. Le message de l’Empereur était clair : l'insubordination se payait au prix fort.

Kallian approuvait ses deux frères aînés. Un tel comportement à l’égard d’une femme d'aussi basse extrace relevait de la folie. Peut-être était-ce le séjour prolongé dans le désert rouge de Shulam, en compagnie de ces Fanatiques, qui avait altéré la raison de celui que le peuple surnommait jadis avec affection le Circaète.

Les femmes sont faites pour être conquises et montées, pas pour mettre la vie d'un homme sens dessus dessous, ou menacer la stabilité d'un Empire.


Quand il était plus jeune, Kallian se rappelait pourtant à quel point Kastor avait le sang chaud, un trait de caractère que leur père, Sa Majesté Theodon, décrivait comme du « sang de rapace ». Le troisième né avait toujours été le meilleur épéiste de sa fratrie, et un excellent cavalier. Son glaive demeurait constamment affûté. Il n'avait jamais hésité à prendre ce qu'il voulait, y compris les femmes, et pour ça Kallian lui vouait une admiration sans borne. Si Ikarus, sous la tutelle duquel le jeune prince avait été emprisonné dès la mort de leur mère, avait possédé une once des qualités de son puîné au lieu d'être ennuyeux, bouquineur et aigri à cause de son infirmité, alors peut-être que les choses auraient pris une autre tournure dans la vie de Kallian.



Mais tout cela semblait remonter à des millénaires à présent. Un malheureux jour, il fallut que le royaume de Shulam rejette le protectorat égéen et déclare la guerre. Le Kastor Circaète mourut dans les dunes de sable, et un fantôme revint à sa place.



Kallian pensa soudainement à Amarys, à l'image de son doux visage, ses mains levées vers le ciel en l'honneur de son dieu invisible.

Secouant la tête, il fixa les carrières rocheuses. Il avait acheté deux d'entre elles, à une journée de voyage d'Aetherna, après avoir entendu une rumeur qui lui avait été transmise par l'un de ses espions. Celui-ci avait entendu une conversation entre l'Empereur et plusieurs Conseillers au sujet du lac Theodon près de la Maison d'Or. Kratheus réfléchissait à l'idée d'assécher le lac et d'en faire le site d'un Théatron assez grand pour accueillir plus de cent mille plébéiens. Des tonnes de pierre seraient nécessaires, et quel meilleur endroit pour s'en procurer que dans les carrières les plus proches de la capitale ? Certes, le jeune prince ne possédait qu'une très petite part, mais qui vaudrait une fortune une fois le projet colossal mis en œuvre.

En souriant, Kallian lâcha la bride de l'étalon qui galopa sur la route. La vitesse et la puissance de l'animal l'exaltèrent, et son sang s'emballa en réponse. Il ralentit son rythme après plusieurs étapes, buvant à l'air frais de la campagne.

Il se demanda comment Julia s'en sortait avec son vieil époux Nikanor. Il ne l'avait pas vue depuis des mois. Elle ne l'attendait pas, et la perspective de la surprendre complètement lui plaisait.

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