Chapitre 6 : rêves et interprétations.
Fou de rage et ivre de colère, j'ai couru droit devant moi, toute la journée.
La nuit commençait à tomber et je me retrouvai au bord d'une paisible rivière, qui m'invita au recueillement. Toute l’atmosphère morbide, inquiétante, s’était dissipée.
Le soleil disparaissait lentement, agonisant dans un déluge de feu et de sang.
Une pensée s'imposa à moi : " Je suis un idiot" !
J'improvisai une poésie :
Idiot
Oui
Je suis
L'idiot
De Dostoïevski
C'est ma vie
Des coups
Du dégoût
Le sentiment
Troublant
D'une erreur
La torpeur
D'incompréhensions
La saveur
Des trahisons
Idiot
Oui
Je suis
L'idiot
De Dostoïevski
C'est ma vie
Ce qui me rend idiot
C'est évidemment
Mes sentiments
Car j'ai des sentiments
C'est évident
Et pourtant
Troublant
Dérangeant
Inquiétant
Je n'aime pas
Ma foi
Les montrer
Les dévoiler
Sois impassible
Roi inaccessible
Dans l'arbre je me cache
Parfois il faut bien
J'arrache
Le masque
Opaque
Je deviens
Chat
Timide
Ni chien
Intrépide
Ni rat
Chat
Timide
Fier doutant
De ses sentiments
Un chat debout en chat Hiboux
Qui craint tout
Craintif sans son ragoût
Hâtif dans ses dégoûts
Ses griffes dansent sur tout
Ses griffes sont ses atouts
Chat éternel
Immortel
Un jour je mourrai
mais le chat qui est en moi
pour toujours vivra
Éternité, oui j'avais atteint une forme d'éternité, mais seule la douleur devenait éternelle.
La nuit noire s’éclairait doucement sous la lueur de millions d’étoiles : jamais un tel ciel n’avait existé dans le monde « réel ». Mais cette notion de réalité devenait vague et insaisissable.
Écrasé de fatigue, je fis deux rêves étranges.
De toute évidence, dans mon premier rêve, nous n'étions pas sur une sœur jumelle de notre terre.
La radio ne cessait de cracher, une voie exaspérée répétait :
" Allô fusée interstellaire, ici la terre! Allez-vous, oui ou non, me décrire cette planète ? "
L'exploratrice ne savait que répondre, elle improvisa un poème :
Des hiboux envoûtés vont à la rencontre de larves stellaires
A l'intérieur du tube digestif d'un monstre
Des époux ravagés par maladie valvulaire
Jouent contre la trop méchante montre
Les larves hypnotisées ignorent les mariés
Et secouent l'estomac de la bête immonde
Le médiator continue hélas son cruel effet
Sur cette terre qui se croit souvent ronde
Un long silence fut la seule réponse.
Mon second rêve correspondait à un souvenir parisien déformé.
Gare de Lyon, 31 Octobre, 18h00.
Le RER est bondé, archi bondé.
L'ambiance est morne.
Et soudain: ils arrivent !
Revenant de vacances au soleil, impatients, ils rient et s'interpellent.
Un murmure parcourt la rame, et les vacanciers répliquent :
" Poussez-vous, poussez -vous les visages pâles. "
Le RER repart.
Prochain arrêt : Les Halles.
Les portes s'ouvrent et un murmure grossit :
" Dehors, dehors les bronzés en vacances ! "
La rame, remplie de zombies, repart : bousculés, interloqués, les vacanciers restent sur le quai..
D’autres rêves suivirent, je ne gardai d’autre souvenir, que celui de visions colorées et de masques grimaçants. La nuit fut, hélas, trop courte.
Tôt le matin, je sentis une présence.
J’ouvris les yeux et vis Viviane. Elle m’interpella d’un ton sarcastique :
« Hé bien, notre petit chat semble avoir bien dormi !
— Fort bien, belle-mère, répondis-je sur le même ton. C’est toujours un plaisir de vous revoir.
— J’espère que Julie va s’en sortir aussi bien que toi mon matou.
— Votre fille, dis-je plein d’amertume, est en train de prendre du bon temps.
— Sombre imbécile, explosa la fée, elle t’a sauvé la vie en se sacrifiant !
— J’ai connu des sacrifices bien plus désagréables, rétorquai-je.
— Sache, petit chat, que depuis le début de l’humanité les femmes savent simuler
un plaisir qu’elles n’ont pas, et cacher un plaisir intense.
— Qu’importe, je tuerai ce chevalier noir de mes mains, je veux dire de mes griffes.
— Non, petit chat, dit Viviane d’une voix étrange, tu ne le feras pas. Et c’est mieux ainsi, car ta victoire aurait un goût bien trop amer.
— Mais il faut délivrer Julie, répondis-je.
— Cela viendra, dit la fée, mais avant je voudrais connaître tes rêves. »
Interloqué, je racontai le rêve désordonné du hibou.
La fée m’écouta avec une attention extrême, puis se lança dans un long monologue :
« Petit chat, de l’autre côté, on néglige les rêves, Ici ce n’est pas le cas.
Les dieux nous parlent dans notre sommeil, leurs messages sont obscurs pour le simple mortel ou les âmes perverties, mais fort clairs pour une fée.
Le hibou c’est Zirki ; les dieux te font l’honneur de te dévoiler son identité.
Zirki c’est l’âme sacrée de cette fausse jumelle de la terre, où tu vis en ce moment.
Les larves c’est l’ennemi et vous êtes les époux ravagés.
Le message des dieux est clair : le combat sera atroce. Julie et toi vous allez souffrir.
Il faudra faire vite : la montre est méchante.
Avec Zirki, il faudra hypnotiser les larves, les âmes damnées, mais rien ne garantit votre victoire. »
Je restai bouche bée : je n’avais rien vu de tout cela.
Viviane me demanda de raconter mon second rêve.
Je m’exécutai, elle me regarda droit dans les yeux et me dit :
« Celui là me semble plus facile : tu devrais le comprendre tout seul.
— Certes, répondis-je, mais il me met terriblement mal à l’aise.
— C’est un souvenir, n’est-ce pas ?
— Oui, c’est même un souvenir amusant, mais il devient terrifiant dans le rêve !
— Quel est, selon toi, le message des dieux, me demanda la fée ?
— Si nous échouons, la porte va s’ouvrir et mon monde disparaîtra, détruit par
les zombies ?
— Tu as raison de dire « si », confirma la fée, ce rêve est une mise en garde et non la vue d’un futur inéluctable.
— Halloween c’est loin !
— Détrompe-toi, répliqua Viviane, le temps, ici, passe beaucoup plus vite !
— Ce qui veut dire ?
— Ce qui veut dire que le combat va bientôt commencer : il n'y a pas une minute à perdre ! »
Viviane disparut, et mon cœur fit un bond de joie : Zirki me regardait, en souriant.
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