Chapitre 1 Cela fait deux heures
Cela fait deux heures!
Deux heures que je n’arrive plus à dormir !
J’essaye pourtant de prendre mon mal en patience.
En vain! Mais rien à y faire. Et j’enrage, dans mon intérieur, de l’entendre dormir à mes côtés!
Son souffle entrecoupé ! Un léger souffle. Oh, pas grand-chose. Inspiration! Expiration! Inspiration! Expiration ! Non, non, je ne suis pas dans la salle d’accouchement d’une maternité, mais bien à côté de ma charmante épouse.
Un ronronnement plaintif, un nasillement grêle et harcelant! Une obsession lancinante et fixe. Je ne peux plus y détacher ma pensée. Manque plus que le léger sifflement de serpent et ce sera le bouquet ! Certes son nasillage ne m’a pas réveillé, mais il m’empêche de dormir. Je suis las, fatigué!
L’immeuble est tellement silencieux que ça amplifie son ronflement. Et j’ai beau secouer les pieds dans le lit, mais rien n’y fait. Et puis merde ! Plus j’entends son souffle, plus je l’écoute, plus cela m’énerve!
J’en ai marre ! Je n’ai plus que ça en tête : le léger ronronnement de sa respiration.
Elle est bien, elle!
Elle roupille! Elle dort! Elle ne sommeille pas, elle dort profondément! Dans les bras de Morphée! Ou alors d’un autre! Sûrement un grand mince, pince sans rire d’outre-Manche, brun, les yeux clairs malicieux, genre beau gosse londonien, que toutes les filles, dès qu’il leur sourit, ont la vulve qui les titille dans leurs petites culottes à dentelles et les tétons qui se durcissent sous leur soutien-gorge serré. Vous savez, ce genre de héros à qui tout réussit ! Vous n’avez pas vu “Holiday“ ou “Le Journal de Bridget Jones“ en DVD, les belles!!! Jude Law… ou Colin Firth, sans oublier le vampire Pattinson et le pro- fesseur (le pro de la tape sur le cul) Christian Grey.
La garce! Elle, au moins, elle dort!
Et ça m’énerve bien! Je ne suis pas jaloux. Je suis vénère tout simplement. Tout simplement!
C’est juste que... Qu’elle... Qu’elle me fait chier toute la journée! Et dorénavant, même la nuit! Ça ne lui suffisait donc pas.
Jamais contente. Toujours trouver à redire, à gémir, à se plaindre, bêler, chouiner, récriminer, croasser, protester, revendiquer (j’en arrive à vous faire Crisco, le site des synonymes). Des jérémiades sans fins, à n’en plus finir, à s’apitoyer sur son sort. Et encore ! Nous ne sommes pas en période menstruelle. Ok Ok!, lectrices, les hommes, nous ne sommes pas faciles. Nous avons le beau rôle dans cette société de macho. Je le conçois aisément. Reconnaissez mesdames, lors de vos règles, vous n’êtes pas faciles à vivre, non plus. Il faut faire avec.
Tout ce que je constate en ce moment : c’est bibi qui ne dort plus. Les soi-disants problèmes que je lui pose ne l’empêchent pas de dormir. Quelle quiétude tout de même! Pourtant, avec tout ce qu’elle m’a encore balancé à la figure, toute la journée de ce beau dimanche de juin, lorsque le soleil brille de mille feux sur les amants amoureux qui s’enlacent au bord de la Seine, sous l’odeur capiteuse des chênes. Aujourd’hui, pourtant, malgré le temps, c’était Verdun… les canons de Navaronne, Voyage au bout de la nuit, … ou de l’Enfer (tout dépend si on est fan de Michael Cimino ou Céline ; l’écrivain, évidemment). Vous avez cru que j’évoquais celle qui vocalise sur le pont du Titanic, bien qu’à force de gueuler My world will go one…il a coulé!, le Titanic, bien sûr, vous ne suivez-pas! )
Je crois que ça fait deux jours que la nuit caresse et ceint notre couple en pleine décomposition. Les senteurs délicieuses, séduisantes de miel de notre amour perdu, telles la rosée du matin, ont laissé place au breuvage d’absinthe et de fiel de nos humeurs acariâtres qui nous étranglent toujours un peu plus. Nous ne nous reconnaissons plus. Ce mélange de fatuité, d’ironie, d’amertume qui recouvre nos esprits qui furent si naïfs, déçus par la vie! Nous laissons échapper des paroles trop vives à la couleur du reproche, à la profondeur d’un puits dont nous ne voyons plus le fond. C’est la mort du couple, toute terrible qu’elle soit, et qui n’arrive pas pourtant d’un coup. Bien au contraire, c’est une dérive lente de la fuite du temps, une âcreté des humeurs, une aigreur biliaire des ressentiments jusqu’à ce que la solitude et l’indifférence s’installent.
« Si j’avais su! », « j’aurais dû écouter ma mère », « T’as pas d’ambition », « C’est Cédric que j’aurais dû choisir ! » « Lui, au moins, il a réussi. » ; «Lui, il a des couilles!“» Bref, avec sa tronche des mauvais jours, ses réflexions de plus en plus grinçantes, désobligeantes, couinantes, elle a l’humeur acerbe. Il n’y a plus que de l’amertume dans ses propos. L’acerbité de ses phrases est un couteau aiguisé, tranchant qui me tue, quelque peu, chaque jour toujours plus.
Et moi, bordel!
Elle croit que je suis impassible, un monstre d’égoïsme, dénué de sentiments! Je manquerai d’audace. À l’écouter, je suis lâche et timoré. Je ne suis qu’un gagne-petit mêlé à un pisse-mou, si ce n’est qu’une sous-merde. Car la merde serait encore bien trop propre et odorante que moi. Mais en y réfléchissant d’un peu plus près ,qu’est-ce qu’une sous-merde…? Je suis devenu son indigestion. Je suis un cafard, une âme à la merde. Faut dire à ménager la chèvre et le chou… je m’enlise. Et le chou, ça fait péter ou déféquer. Je suis un chou d’une choucroute mal cuite, qui vous reste sur le ventre, vous donne des sueurs au front, car vous l’avez trop ingurgité, avec ces relents de gras de saucisses malaxés sur un pinot gris d’Alsace encore trop vert ou d’une bière indigeste. Voilà ce que je suis. Rien que d’y penser, j’ai envie de gerber. Oh là là… Avec ces ronflements en plus, c’est le roulis d’un rafiot sur une mer agitée. L’odeur vaseuse… C’est bien Titanic!!! African Queen lorsque Charlie et Rose s’égarent pendant que le bateau s’enlise.
Ce qu’elle aime à me balancer à la gueule! Et moi, toujours à m’effacer, à échapper à mes responsabilités.
Mais, s’est-elle déjà regardée dans une glace? Pourtant, elle y passe du temps. Tous les matins à se maquiller, se pomponner, se peloter le ventre pour voir si elle n’a pas pris un gramme. Elle croit quoi! Qu’elle vaut mieux que moi! Elle a une sacrée estime et opinion d’elle-même.
Selon ces dires, c’est elle qui a raté sa vie, qui est passée à côté du bonheur à cause de moi, de mon manque d’ambition. Elle est loin de ses rêves d’étudiantes de la fac de droit. Et moi! Je ne l’ai pas ratée, aussi ma vie! Elle a raison, je ne suis qu’un simple maquettiste pseudo-créatif dans une boîte de Comm’ à deux balles. Elle s’imaginait épouser le nouveau Séguéla, ou Mandino à l’époque de notre rencontre sur les bancs de la fac. Mais c’était quoi au juste ces putains de rêves!!!! Je ne lui ai jamais rien promis. J’ai toujours été égal à moi-même. Oui, j’ai pas d’ambition. Mais au moins, je suis droit dans mes basques, comme l’équerre et le compas1 (enfin presque, car je prends en ce moment, des libertés côté vertu avec Emmanuelle comme dans le film érotique des années 70). J’ai toujours aspiré à une vie simple, sans flon-flons ni trompettes et encore moins de fioritures. Je n’ai pas toujours élevé “des cachots pour les vices et érigé des temples à la vertu”, c’est vrai, mais bon, j’essaye, tant bien que mal, d’être libre, “ami du riche ou du pauvre, et d’être agréable à tous les hommes“. Mais, le soleil ne se lève pas toujours à l’Orient, et reste trop souvent au septentrion. Parfois, il éclaire une faible lumière dans cette partie du monde qu’est ma vie. Absence de fenêtre. Il faut une bonne dose d’humilité, travailler sa perpendiculaire, pour faire face à ses boniments. L’amour conjugal n’est-il pas une chaine de désunion ?
Bref, en résumé, ça ne va jamais! Tu dis blanc, elle articule noir, tu lui répliques noir, elle te formule blanc, comme l’échiquier d’un pavé mosaïque ; tout ce que je constate, c’est que je vois désormais rouge avec elle. D’ailleurs, le rouge, étant dans l’antiquité, la couleur opposée au blanc. Ce blanc dédié au sacré et le rouge à la guerre. Il est évident que le couple est un échiquier rouge et blanc : les saints sacrements du mariage sont bel et bien une guerre. En tout cas, c’est vraiment pas la vie en rose, la vie conjugale, ma chère Edith. Oh que non!
La vie avec elle, c’est plutôt un olla-podrida de ternes nuances, un salmigondis de couleur marron verdâtre indéfini comme lorsqu’un gamin de 4 ans mélange toutes ses pâtes à modeler pour former une couleur inconnue et qui se met à chouiner car il n’a plus ses p’tites couleurs fluo. P’tit con va ! Ça fait n’importe quoi… et ça geint… Faites des gosses, ils disaient!
Amis lecteurs, petite parenthèse, j’emploie des mots savants pour frimer : Une ollapodrida est un ragoût espagnol fait de viandes et de légumes, et le salmigondis est aussi un ragoût de viandes réchauffées. Par extension, ce sont des mélanges disparates, informes et confus de choses, ou de personnes. Petit Robert ou Grand Larousse. Au choix. Je ne suis pas raciste, ni sexiste.
Ne croyez pas que j’aime étaler ma science.
En résumé, notre vie de couple se ternit d’une couleur insipide, vulgaire et prosaïque. Je la qualifierais de verdâtre. Et comme la pâte à modeler, j’en deviens vert, un vert de gris, un bon vert de gris, du pur jus vert de gris version Wehrmacht, année 1940. Celui de la Blitzkrieg, lors de la débâcle, où des milliers de gens furent jetés sur les routes de France à fuir “le boche“, sur des routes sans fin qui les ramenèrent au point de départ, comme dans le jeu des petits chevaux ou de l’oie.
De toute manière, depuis quelque temps, c’est la Gestapo à la maison.
Pourquoi tu rentres tard ? Des scènes de jalousie à n’en plus finir. Comme si j’avais que ça à foutre. Une à la maison, c’est déjà pas mal. Bien que, ou plutôt queue. Elle ne comprend toujours pas que j’ai du taf en ce moment. Merde ! Comme si j’avais le temps de soulever de la gueuse. Bien que la petite stagiaire qu’on a en ce moment, aux longs cheveux d’or ondulés… avec sa petite robe noire courte moulée qui dessine son corps bien fait, frais et jeune … son sourire d’ingénue dans un vent de liberté vous laisse croire que vous êtes important… Soupir… C’est vrai, il y a Emmanuelle, mais c’est différent. On baise, on libertine, mais en 5 à 7… (heures ou nombre, thats the question my chear readers)
Alors qu’ici, il faut toujours marcher au pas ! Elle oublie que j’ai pas fait mes obligations militaires. Déjà qu’au boulot, entre les sorties mondaines, les expos minables, courir tout Paris. Je reconnais trouver du temps à butiner dans des clubs spéciaux ou à bouffer la chatte d’Emmanuelle à pleine bouche, sans compter celle de Pauline.
Et elle croit qu’avec son joli p’tit cul bien rond de pétasse et ses tétons rosies qui pointent, je vais courber l’échine à lui lécher les pieds, à m’excuser comme une lavette. La conne ! Elle peut se le fourrer profond et bien profond. Je sais qu’elle aime ça. Me prendre pour une lavette, mais se le fourrer surtout. Se le fourrer bien profond. Le mien comme le sien. Par devant, par derrière… Et je ne parle pas de… Car côté cul. Y a pas à dire ! No comment ! Avec son air de secrétaire coincée, elle te débaucherait n’importe quel abbé. Je reconnais, c’est plaisir assuré. Coït ininterrompu. J’vous promets, une nuit avec elle, t’as le gland douloureux à la fin. Elle t‘écume l’intimité. Rien que d’y penser. J’ai le timon durci, prêt à fouetter sa croupe et lui donner pour boisson la sève de ma masculinité. De toute façon, de ma tronche, elle s’en barbouille le pourtour anal. Que j’suis con de dire des choses pareilles. J’vais passer pour un bon gros macho bien vulgaire. Parler de sa femme comme ça. Mais merde. Y en a marre! Elle pense qu’une bonne baise, ça remet ton couple d’aplomb. Je vous jure. C’est pas parce que je suis comme tout bon mâle qui se respecte, qui adore les choses frivoles du sexe, que je suis mené uniquement par la quéquette. Moi aussi, j’aime la tendresse. Attendez un peu les filles ! Je sais que le prince charmant c’est Pipo, mais la Belle au bois dormant c’est Mario. Nous aussi les hommes, on rêve de romantisme (peut-être pas tous), une petite poignée en tout cas. On n’est pas dupe pour autant. La vie de couple, c’est pas évident. Un dur labeur de tous les jours. Mais là. Non! J’en peux plus!
Faites vos jeux. Messieurs-dames, les jeux sont faits, rien ne va plus. Pair, impair, rouge noir, manque et passe. Résultat : 25 ans de vie commune, une gamine (mon rayon de soleil), une vie rythmée par cette “bille d’ivoire“ lancée inlassablement à contresens et à contre-cœur de ma vie. Entre le rouge stressant du boulot et du métro, le “noir“ des innombrables reproches et engueulades quotidiennes, les fins de semaine paires chez les beaux-parents Rive Droite, façon à te faire comprendre que tu ne viens pas du même monde, les fins de semaines “impaires “chez les parents dans le pavillon natal dans l’Aube, puis “passe“ la baise programmée après le film du dimanche soir, et “manque“ à espérer une future semaine meilleure et inattendue. Somme totale des numéros 666. L’apocalypse! L’enfer! The number of the beast!1 Le chiffre de la bête. Celle à deux têtes. Iron Maiden.
“Six six six le Nombre de la Bête
Le sacrifice se déroule cette nuit.
Vous allez me dire, cher lecteur, pourquoi continuer ainsi? Pourquoi ne pas se séparer, passer des paroles aux actes? Pourtant, on se le fout sans cesse à la gueule : «Si t’es pas content, tire-toi ! », «Je ne te retiens pas !». “Tu n’es pas le ou la seule sur Terre!» « Tu ne changeras jamais, continue, t’as ta valise sur le palier!» « Je serais mieux toute seule !“. Claquement de portière. Et à chaque fin d’épisode, on baise, on baise jusqu’à épuisement. Comme si la chevauchée fantastique des corps extériorisait nos rancœurs. Car je dois reconnaître qu’on ne fait pas l’amour, on baise. 12 minutes chrono, mais on baise. Branle-bas le combat ! L‘arrivéee la cavalerie à grands coups de clairon. Wagram, Austerlitz en 12 minutes, puis c’est la Bézérina. Je déconne…
À croire que le couple est le défouloir de ses propres obsessions, de ses propres peurs, intimes, personnelles et incoercibles, enfouies dans des souvenirs intangibles et permanents. L’autre est le pâle miroir de notre reflet, tel la fontaine renvoyant l’image de Narcisse. On aime uniquement par désir d’être aimé. Pauvre sentiment égoïste et vaniteux. Le couple est un autel d’autolâtrie. On a trop tendance à s’analyser dans sa petite personne physique et psychique. Le couple est la définition même de l’égotisme : l’exaltation du sentiment du moi dans son unicité. À travers l’autre, c’est soi-même que l’on aime. La vie de couple est le jeu du double je.
À trop essayer de s’aimer, on finit par se détester.
Le véritable amour, c’est l’abnégation totale de soi et l’abandon absolu en l’autre. Ne rien demander en retour. L’amour est un sacrifice, mais non un supplice. Une offrande et non un holocauste… OK, ce ne sont que des propos de romans à l’eau de rose de quai de gare.
Je philosophe.
Mes idées ne sont pas très claires.
Je vais commencer à vous ennuyer, mais l’heure tourne et je ne dors toujours pas !
Il est désormais 3 heures du mat. Deux heures trente à tourner et virer.
Je crois bien que je vais me lever.
Et je parle comme un Chartier. Il est beau, le directeur artistique. D’art antique. D’art caustique.
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