Nous sommes des êtres bicéphales
Nous sommes des êtres bicéphales. Nous avançons sur des cases noires et blanches d’un pavé mosaïque. Au grand seuil du portique de mon temple intérieur, à force de travailler ma pierre brute, malaxer ma materia prima, cette glaise adamique qui fait de nous un être humain, je suis à la croisée des chemins. Ma vie va basculer, je le sais. Je vais devoir enfin ôter ce manteau sombre qui a rendu secrets mes angoisses, mes peurs, un manteau de protection qui a pourri pourtant ma vie, dans le sens que je dois enfin être celui que je suis. Oui, je dois assumer et faire face à mes cauchemars, à mon passé, qui a fait de moi un homme résigné parfois, en colère de temps à autre.
Ôter ce cache (de ma) misère. Nous sommes à la fois singuliers, uniques et si conventionnels. Malgré tout, le monde n’est ni noir ni blanc, 50 nuances de Christian. On le met vraiment à toutes les sauces, celui-là. Il spiritualise ma pensée.
Les propos que je vais tenir, chères lectrices et chers lecteurs, seront cash, directs, mais surtout sans fard, sans gants, ni tabliers et encore moins blancs. Ils surprendront, choqueront, tant pis.
Lorsque nous accouchons de lignes sur les pages d’un cahier ou d’un logiciel de mise en page, nous cachons en dévoilant à demi-mot ce que nous sommes ou ce que nous pensons. Finalement, le lecteur ne sait pas la part de vérité de l’écrivain. Ce pauvre personnage que je maltraite à ma guise. C’est l’avantage de tout écrivain. Nous faisons ce que nous voulons de nos personnages. Nous les aimons, nous les détestons. Ils sont nos souffre-douleurs. L’écrivain se prend ainsi pour Dieu le père. Le Grand Architecte de l’Univers. À y réfléchir, je pense que ce dernier s’est bien foutu de notre gueule. Nous avons beau équarrir dans tous les sens nos matériaux, les placer horizontalement à côté des autres et à angles droits, rien n’y fait. L’homme reste un loup pour l’homme, surtout pour lui-même. Quoiqu’il en soit, un romancier ne fait que transposer ses angoisses et ses fantasmes. Il joue de la psychanalyse. De l’auto-psychanalyse. En dévoilant ce qu’il veut à ses lecteurs et lectrices, ils pensent soulager ses peurs, comme je le fais en ce moment. Et après, se sent-il mieux pour autant ? J’en doute. D’autant qu’il y a une sorte d’exhibitionnisme, ne trouvez-vous pas ? Et de voyeurisme de votre part, contraint certes, car je vous impose une réalité que je vous propose de lire. Sur ce point, adepte d’une sexualité bien débridée, je trouve surprenant que de nombreuses personnes jugent de certaines mœurs et se délectent de lire l’intimité d’autrui dans des magazines pourris. Assumez !!! Assumons.
Par Antoine, j’ai découvert le libertinage, j’ai ainsi “découvert“ toute sorte de plaisirs à travers des jeux qui développent nos 5 sens, des jeux entre adulte consentant au bord de l’inavouable. Et peu à peu, il m’a entrainé avec délices dans l’art de la domination, et du sado-masochisme. Mais il trouve que je suis un dominant à part, toujours à défier les codes comme en maçonnerie où je suis toujours libre penseur et critique. Je déteste entrer dans une case et y rester. Depuis quelques mois, je trompe Anne avec une jeune femme de 29 ans, grande, mince, blonde, les cheveux long, sortie tout droit d’un magazine de papier glacé. Une chance inouïe. Genre de femme que je ne pensais pas séduire un jour. Elle dénote avec son style très classique de jeune femme des beaux-quartiers tout en arborant fièrement un somptueux tatouage qui lui couvre le bras gauche. Elle est à la fois ma confidente, ma meilleure amie, ma salope, car côté cul elle m’emmène dans des jouissances inouïes. Il n’y a pas forcément des prouesses mais une symbiose des corps.
Emmanuelle est une jeune femme indépendante, sans attaches sentimentales, mais souvent attachée dans nos parties de jambes en l’air. Bi, elle aime autant les plaisirs féminins qu’être prise par les 3 orifices par de bonnes queues vivaces. Switch, elle aime alterner soumission et domination. Avec moi, elle est entièrement soumise, en laisse, mais sans collier.
Officiellement, elle n’a aucun maître et remet sa laisse à qui le veut bien. Officieusement, je suis son dominant attitré et je suis le seul qui possède le droit de jouir en elle, sans préservatif, à qui elle avale le sperme et qui offre son beau petit cul à la sodomie. Avec moi, c’est une vraie petite chienne, lascive et en chaleur, qui adore le jeu. Nous repoussons sans cesse nos limites et nos retranchements.
Mais avec les femmes, elle adore jouer la dominatrice et parfois, nous nous abandonnons à des jeux pervers envers une soumise enclin à être notre objet sexuel. Nous aimons jouer de la cravache, de la badine, du martinet et des liens. Notamment avec Pauline. Je reviendrais sur cette dernière, car elle est une pièce essentielle de l’échiquier de cet imbroglio romanesque que je vais vous narrer, le fou, libre, manipulatrice et manipulée. Tout un jeu de dupes dans cette romance érotico-porno-psychologique.
Emmanuelle n’est pas uniquement mon alter ego de la luxure. Non, elle est aussi ma meilleure amie, ma confidente. Nous nous aimons certainement d’un amour sincère fraternel en couchant ensemble. Nous pansons nos plaies intérieures mutuellement. Malgré le respect l’un pour l’autre, nous ne sommes pas faits pour partager le quotidien. Nous nous aimons certes, mais pas d’un amour passionnel. Celui auquel nous aspirons tous les deux. Du moins, je le pensais, à mon erreur. Imaginez le nombre de fois que j’évoque l’amour fraternel, une sorte d’amour incestueux tout droit sorti d’une séance chez le psy. Je l’apprendrais plus tard, Emmanuelle m’aime. Elle m’aime d’un amour vrai, sincère et profond, mais une personne lui interdit, du pseudo-ridicule le Commandeur.
Je l’ai, à ses dires, réconcilié avec les hommes. Je la domine, mais toujours avec respect. Cela peut vous paraitre paradoxal. Comment jouer du martinet ; lui donner une fessée, la flageller, la prendre sexuellement comme un objet, l’obliger à ramper, marcher avec une laisse, la démonter, l’attacher, jouir dans sa bouche, l’exhiber, la partager à d’autres hommes, femmes ou couples, l’humilier, l’enfermer quelques heures dans un placard, poings et pieds liés, la fister ou lui introduire toute sorte d’objet et l’admirer, l’aimer, la cajoler et surtout la considérer comme une femme exceptionnelle en la respectant, en étant toujours avec elle attentionné. À nos petits jeux entre amis, je suis le plus accro et dépendant d’elle. Qui est le plus soumis finalement ? Je ne me suis jamais senti supérieur à elle. Elle se donne avec consentement, elle me donne son corps comme le terrain de nos jeux, mais son âme vagabonde, erre et demeure libre. Je remarque, en dehors de moi, qu’Emmanuelle aime de moins en moins les rapports hétéro. Je me demande parfois si elle n’a pas une aversion envers les hommes et ne serait pas lesbienne. Excepté moi, bien entendu.
Mais ne croyez pas que ce fut simple pour moi. Admettre ma perversité, qui n’emmerde personne d’ailleurs, et être un vrai féministe. Ce sont des histoires de cul, d’extase et d’intensité. Je n’ai jamais levé la main sur une femme. Ne confondez pas tout. Le BDSM n’est pas un défouloir pour bourreau, même si l’histoire que je vais vous conter par la suite passe par l’initiation contrainte d’une femme. Mais nos ébats sulfureux ne font pas tout. Nous avons un manque : celui d’être aimé, comme tout le monde. Je souhaite tellement rencontrer celle qui deviendra, en plus d’être ma soumise, ma chienne, ma confidente, surtout la femme de ma vie à laquelle je désire me damner.
Bâtir des cachots pour les vices et élever des temples à la vertu, comme nous dit notre rituel de compagnon. Je suis mal emmanché.
Aujourd’hui, nous aimons n’importe qui et n’importe comment. Nous aimons comme nous consommons au supermarché. En vitesse ! Sans tenir compte de l’heure, du lieu, de nos prédispositions. Nous nous marions en ne considérant que les aspects sociaux dans l’union, sans savoir si notre conjoint est en corrélation avec nous ; nous faisons des enfants, sans nous soucier si nous sommes capables de les éduquer, juste pour satisfaire notre égo. Nous les faisons pour nous et non pour eux. Les familles se dispersent, les villes ne résonnent que dans un brouhaha continuel, peuplé de gens de toute sorte, sans passés, ni attaches, ni nationalité. Nous devenons des anonymes, des entités fantomatiques et nous agissons tels des machines perfectionnées. Alors pourquoi parler d’amour, de volupté, de plaisir ? Nous consommons l’amour et les plaisirs de la chair comme un forfait téléphonique, au point qu’internet est devenu un amas d’amour virtuel. Nous vivons à travers des romans, des films et des histoires. Puis l’homme, depuis qu’il a bâti la dame de fer, s’est mis à ériger des tours de plus en plus hautes, des phallus du progrès, c’est à celui qui possèdera la plus grande, de Dubaï à Pékin. Où sont passées les neiges d’antan, ces temples dédiés à Vénus, à la chair, aux délices des corps ?
Je regarde encore et encore ce fleuve si noir qui coule lentement, devenu atone au fil du temps.
Il est 6 h. J’ai deux messages en attente d’Antoine. Je dois le voir ce soir. Deux urgences qui, selon lui, vont bouleverser ma vie. Il doit me faire rencontrer les dirigeants d’une société en pleine mutation. Il aurait un secret à me dévoiler. Je sais qu’un avenir incertain se présente à moi, sûrement initiatique. Une nouvelle destinée. Une nouvelle route. Sera-t-elle serpentée, accidentée, parsemée d’embuches et d’obstacles comme je l’ai toujours connu ou, au contraire, une belle route rectiligne au macadam lissé donnant accès au bonheur et au repos ? La femme est-elle l’avenir de l’homme ? Est-elle mon avenir ou ma perte ? Je me la pose toujours sans pour autant trouver la réponse. Elle est, j’en suis convaincu, ma fuite en avant.
Je pose mes mains sur la rambarde du pont qui domine la Seine. Mon cœur se met à battre de plus en plus fort. Mes mains s’engourdissent par le métal de ma rambarde verte, si froid que le reste de mon corps se fige instantanément. Peu à peu, cette sensation algide s’ingère doucement à travers ma chair. Mes muscles se tétanisent, et à chaque battement de mon cœur, je ressens cette froidure me posséder. Tandis que quelques gouttes d’une sueur âpre et chaude glissent le long de mes tempes. Mon corps réagit et essaye de rejeter cette incursion psycho-chimique.
Et c’est dans cette opposition de sensation, de cette double contradiction physiologique et dialectique que tout mon organisme, toute ma substance physique, mais aussi spirituelle, se met à convulsionner. Est-ce la peur, le froid ou l’angoisse de mes réflexions qui me met dans cet état de douce névrose avancée ?
Le souffle entrecoupé, j’ai du mal à respirer. Des vertiges latents se font ressentir. Arrête de penser, non de non ! L’angoisse me possède. Ma vie ! Quelle vie ! Ma vie sans point de départ ni d’arrivée. Une vie à la dérive, dans un esprit de liberté mais cruellement en manque d’éternité, de passions, d’étincelles. Je me sens si seul. La cinquantaine bien passée, ma vie s’échoue au bord de cette ville au fleuve atone. Ce fleuve qui me ressemble tant. Ce fleuve ! Ce fleuve qui me ressemble tant ! Nous sommes tous les deux des êtres dans la force de l’âge, impavides et solitaires, n’attendant rien de quiconque et éprouvant une lassitude des choses et des personnes que seule la fin éternelle pourrait nous arracher de cet abattement immuable des sentiments. Je me sens si petit face au monde, si grêle devant l’immensité d’un monde que je ne comprends plus.
Quelle bouffonnerie ! Savoir que toutes les âmes terrestres, volubiles et foisonnantes s’échapperont un jour et à jamais en un battement de cil. Il a dû rigoler là-haut, le grand maître du jeu. Le donneur de carte. Il pioche, il donne et fait danser le grand singe blanc. Le grand singe blanc qui chante être l’élu du maître, le grand singe blanc qui se pavane, le grand singe blanc qui imite son maître sans jamais l’égaler, mais le maître, pour s’amuser, jette son dévolu sur un autre singe semblable au grand blanc, alors celui-ci crie, alors celui-ci tue. Monkey’s killing. Le grand singe blanc jaloux et se remet à danser. Le grand singe blanc danse, habillé d’un habit rouge, et le grand singe danse, imite, danse et tue. Le sang est son breuvage, et la jalousie son venin. Et le grand maître triture sa réplique dans tous les sens. Il s’amuse encore comme un enfant gâté avec son jouet. Puis un jour, il en a marre et le jette, le jette dans le grand gouffre de l’oubli.
Au loin, un cri de sirène sort des entrailles de la ville. Je me ressaisis, oubliant un instant ces pensées dépressives.
Allez ou, au boulot mon gros ! ! ! Une journée de labeur t’attend.
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