9/52 - Plus jamais
Lena n'ouvrira plus jamais les cuisses.
Des années durant, elle s'est laissée faire. Des années durant, elle a tu sa douleur. Elle a cru que ça passerait. Elle a cru que ce n'était pas si grave, qu'il ne s'agissait que de quelques minutes de temps en temps, qu'elle pouvait faire avec et revenir au monde l'instant d'après, sans en pâtir.
Et puis c'est devenu plus fréquent, plus fort. Le désir s'est changé en devoir. Le plaisir s'est changé en peur. L'éternité a remplacé les minutes. Il n'y a plus eu d'exception. C'était tout le temps. La douleur. Tout le temps. Le cauchemar. Les hurlements qu'elle ne poussait pas. Serrer les dents, chaque fois, se parer des attitudes les plus chaudes, pour qu'il finisse vite. Et qu'il ne sache rien.
Même aujourd'hui, Lena sait que c'est sa faute à elle. Rien qu'à elle. Lui, il ne forçait rien. Jamais. C'est elle, toute, seule. Si elle avait été plus détendue, si elle avait pu le dire, si elle avait su être plus claire dans son refus, cette horrible fois-là, dans sa jeunesse. Et si seulement elle ne se sentait pas obligée. Est-ce qu'un homme ne peut vraiment pas s'en passer ? Est-ce réellement cruel de la part d'une femme de s'arrêter à mi-chemin ? Combien de fois s'est-elle dit : « Je ne peux pas lui faire ça. » ? Combien de fois a-t-elle bougé les hanches en retenant ses genoux de se refermer d'un coup sec ? Les pieds à plat sur les cuisses de son homme, combien de fois s'est-elle empêchée de le pousser en dehors d'elle ? « TU ME FAIS MAL ! TU ME FAIS MAL ! ».
Sa faute à elle. Rien qu'à elle. Elle s'est auto-violée. Et maintenant, c'est lui, qui pleure de la voir partir, qui ne comprend pas, qui évoque des souvenirs qu'il croit merveilleux, quand ils ne sont pour elle qu'horreur et désespoir.
Lena est assise dans le train qui l'éloigne de lui. Elle s'étouffe dans des sanglots sans larme. Elle réalise l'ampleur des dégâts au-dedans d'elle. Elle comprend que l'amour d'un homme ne suffit pas, que le problème vient d'elle, que quel que soit son partenaire, le cauchemar sera toujours là. Et elle sent bien que plus jamais elle ne pourra...
Lena n'ouvrira plus jamais les cuisses.
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