12/52 - Terrisseur

2 minutes de lecture

 « Terre, prends la laideur et change-la en beauté. »

 L'homme prit les poignets de Lynneth et tira dessus pour lui plaquer les mains au sol. A la fois fascinée et terrifiée, elle retint son souffle, les yeux rivés sur celui qui prétendait la soigner de ses excroissances. Le visage de l'homme était parfaitement calme, les yeux clos, les traits détendus ; si elle ne sentait pas la violence de ses doigts qui la maintenaient dans cette posture inconfortable, elle aurait pu jurer qu'il somnolait.

 Fatiguée par son apnée, elle reprit brutalement sa respiration. L'oxygène lui fit tourner la tête une fraction de seconde, assez pour la pousser à incliner la nuque en avant. Son regard tomba sur ses mains pressées contre la terre nue. L'homme ne la tenait plus, il s'était redressé, assis sur ses genoux, les paumes sur ses cuisses. Mais Lynneth, elle, sentait toujours sa poigne. Elle la sentait nettement, même alors ses yeux lui prouvaient l'évidence de sa liberté. Sous ses doigts, la terre fourmillait. Lynneth eu l'impression que ses mains s'enfonçaient dans le sol, puis ses bras, et ses coudes.... et son corps tout entier !

 Elle ferma les yeux, muette de stupéfaction, partagée entre une rationnelle sensation de panique et un absurde sentiment jouissif. Son sang se mit à bouillonner comme un torrent de montagne, chacune de ses cellules se changèrent en molécule terreuse. Elle sentit les vers de terre glisser sous sa peau, les insectes lécher ses poumons, les rongeurs parcourir les galeries de ses sinus. Son cœur vacilla de plaisir, elle entendit son propre murmure comme une brise printanière :

 « Terre, prends ma laideur et change-la en beauté. »

 Lentement, une à une, les sensations disparurent, laissant Lynneth dans un état de plénitude totale. Libérée de toute tension, vidée de toutes ses questions, elle revint peu à peu à la conscience des choses qui l'entouraient. Là, ses paupières s'ouvrirent. L'homme en face d'elle lui souriait.
Il se leva et lui fit signe de l'imiter en lui tendant un bras pour l'aider. En levant la main vers lui, elle remarqua les excroissances sur sa peau, toujours présentes.

 « Ce n'est pas de la magie. La Terre travaille lentement. Soyez patiente. »

 Lynneth sourit. Elle s'inclina pour saluer l'homme et le remercia dans un souffle qui lui paru plus chaud que d'habitude.

 En prenant congé, elle eu l'étrange sentiment d'avoir changé de dimension. D'évoluer entre le rêve et la réalité, dans un espace merveilleux qui l'ouvrait au monde et la fermait aux codes sociaux. Mais chaque pas qu'elle fit vers son quotidien raviva les questions, les doutes, les peurs.

 Dans un soupir, elle ferma les yeux, et supplia :

 « Terre, prends ma laideur et change-la en beauté. »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Zosha ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0