C'est mon fils, il a des yeux bleus, une barbe brune et des cheveux longs tressés. C'est mon fils. Il n'est pas très grand, un peu trapu, on lui a donné des vêtements trop petits, son pantalon le serre et il souffre du frottement des coutures sur sa peau. C'est mon fils, il est mort. C'est mon fils. Il a un peu plus de vingt ans et doit se marier après la guerre. C'est mon fils. La guerre, il ne la fera pas. C'est mon fils. Mon fils mort bêtement, au premier assaut, piétiné par les siens. Piétiné par les siens qui hurlaient pour se donner du courage en bondissant vers l'ennemi. Peut-être qu'il a fait pareil, mon fils. Peut-être qu'il a hurlé. Et puis il a trébuché, engoncé dans ses vêtements, il n'a pas su se rattraper. Mon fils. Il est tombé en avant, le visage dans la boue, et les autres n'ont rien vu, aveuglés par la peur et la rage, aveuglés par la foule. Ils ont marché sur lui comme sur un corps ennemi. Ils ont marché sur mon fils. Ils l'ont étouffé dans la boue, ils ont brisé tous ses os. Et il est mort. Mon fils. Sur la photo, il a encore les yeux bleus, une barbe brune, et des cheveux longs tressés. Sur la photo, on ne voit pas bien qu'il n'est pas très grand, mais il est trapu, ça oui, et ses vêtements sont trop petits. C'est mon fils. Aujourd'hui, mon fils, il est depuis longtemps dévoré par les vers. Mon fils, il n'a plus les yeux bleus, sa barbe s'est dissoute, ses cheveux ont fait le nid d'un insecte. Il n'a plus ni taille ni corpulence et ses vêtements bien taillés sont tombés en poussière. C'est mon fils. Mais ce n'est qu'une photo.