37/52 - Mièvrerie ou "Gnagnagna"
Qan ne sent qu'il s'est endormi qu'à l'instant où il s'éveille. Les vapeurs d'un calme profond s'évaporent doucement, il perçoit la lumière du jour au travers de ses paupières closes. Il y a du bruit autour de lui, un bruit sec et doux à la fois, très discret, comme les pas d'un chien sur un carrelage en terre cuite. Le souvenir revient à mesure que ses perceptions s'ouvrent. Ses cils battent, il voit au-dessus de lui le plafond haut de la chambre. Sa bouche s'ouvre et se pince pour réveiller son visage. Lentement, il remplit ses poumons d'air... et une vague d'émotion lui tord le ventre. Est-ce réel ? La question le traverse, mais il la sait absurde. Il sent encore dans son corps et les battements de son cœur les événements de la nuit dernière. Et il n'est pas chez lui. Il n'est pas dans son camion, dans son lit encadré de parois qui craque à chaque mouvement. Il ne fait pas chaud, il fait frais comme dans une maison en pierre.
Un autre bruit achève de le sortir du sommeil. Qan se redresse sur ses coudes, les cheveux tombant sur son front. Et il la voit. Oya, debout, le dos tourné, nue. Il frissonne en observant la courbe imparfaite de son dos, ses fesses minuscules, ses hanches étroites et ses épaules carrées. Il frissonne au souvenir de l'aspect de sa peau, douce à certains endroits, un peu rugueuse à d'autres. Il frissonne à l'idée de son odeur.
Bon sang de loup. Comment est-ce arrivé ?
Qan est troublé. Voilà plus d'un an maintenant qu'il se garde des relations, qu'il s'applique à n'avoir que des aventures d'un soir, en laissant s'approcher les si nombreuses filles qui se jettent à son cou sans jamais faire lui-même de pas en avant. De cette façon, les choses sont plus simples. Et puis... elles sont toutes si belles, comment se contenter d'une seule ?
Oya enfile une jupe. Une de ses jupes courtes qu'elle porte tout le temps, un peu volante, légère. Et puis, en sursautant, elle se tourne vers lui. Ses yeux bleus s'ouvrent grand, son visage s'éclaire d'un sourire magnifique. Le plus beau sourire que Qan ait jamais vu, sans aucun doute. Elle rit un peu, et s'approche, juste comme ça, simplement, torse nu, une pierre plate qui pend au bout d'un cordon entre les deux seins, et le petit ventre qui dépasse au-dessus de la jupe. Qan ne peut s'empêcher de répondre à son sourire.
« Tu as bien dormi ? »
La voix d'Oya est douce sans être mielleuse, elle est d'une gentillesse sincère, fraîche, et sort d'une bouche souple qui attire le regard.
Qan se redresse un peu mieux, et Oya s'assied près de lui. Il la regarde, il la regarde comme il n'a jamais regardé personne. C'est donc ça, qu'ils veulent dire, quand ils parlent de dévorer quelqu'un avec ses yeux. Il pourrait se repaître de cette simple vue.
Une chaleur lui prend le visage, il sourit, et laisse échapper un rire un peu bête, en baissant enfin la tête vers les draps.
« Qu'est-ce qu'il y a ? »
Oya rit aussi. Elle reste sagement là, la main posée à côté d'elle pour maintenir son équilibre. Qan observe les doigts un peu courts et striés de marques, de cicatrices, de crevasses. En tremblant un peu, il approche sa main à lui, si lisse, musclée, pas très grande mais bien formée. Il mêle ses doigts aux siens, sans savoir si son geste sera bien reçu. Sans savoir si c'est une bonne idée. Mais sachant qu'en faisant ça, il l'invite à rendre cette aventure d'un soir un peu plus longue que prévu.
Qan doute, il a peur. Mais c'est plus fort que lui. En relevant les yeux vers le visage souriant d'Oya, il sent son cœur s'affoler comme un fou. Et sans plus rien pouvoir contenir, il se penche vers elle pour embrasser cette bouche débordante de vie et de Beauté. Et tant pis pour le risque. Tant pis pour la mièvrerie. Tant pis pour tout le reste.
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