Chapitre 7

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Bien qu’il ne soit que sept heures, Ken était déjà en pleine action. Lamont avait fait installer une salle de sports tout équipée au premier sous-sol de la Maison-Blanche. Pourquoi ? Telle était la question quand on savait que Lamont n’y mettait jamais les pieds. Ken compensait : tous les jours, avant les premiers rendez-vous et réunions, il y passait une heure à suer et à travailler ses muscles fatigués par l’âge. Tapis de course, vélo elliptique, barre de traction, banc de musculation, il s’astreignait à un entraînement militaire bien qu’il ait plus de soixante-dix ans.

Sa montre sonna huit heures quinze. Une nouvelle journée passionnante l’attendait. Car, contrairement à Lamont, il aimait discuter ― débattre souvent ― avec les conseillers et les secrétaires d’État pour décider ce qu’il y avait de mieux pour le pays.

Lamont aimait les effets d’annonce, faire le fanfaron devant les caméras, vilipender ses adversaires ― qui le restaient rarement longtemps, la mort ayant souvent raison d’eux ! Ken, lui, préférait mettre les choses en place, résoudre les problèmes, rester dans l’ombre.

Il abandonna le rameur et prit une douche rapide. Il enfila son costume austère et gagna la première salle de réunion. Une douzaine de personnes étaient assises autour d’une longue table en acajou. À son arrivée, elles se levèrent. Il salua chacun d’une brève poignée de main. Même Tess Dybove, la secrétaire d’État à la famille.

Qu’est-ce qu’il la détestait ! D’abord parce qu’elle était incompétente. Ensuite parce qu’elle était une femme. Elle n’avait rien à faire là, ferait mieux de s’occuper de ses deux enfants dont le plus vieux venait de fêter ses neuf ans. S’il avait eu son mot à dire, Ken aurait réclamé son éviction. Mais Lamont l’appréciait.

C’était une belle femme de quarante-quatre ans, blonde cendrée, avec un joli petit minois. Ken s’était demandé si Lamont ne l’avait pas un jour mise dans son lit. Ce dernier jurait que non. Ken en doutait.

L’ordre du jour concernait la loi sur la déontologie familiale. Au début de son mandat, Lamont avait déjà lancé une première loi. Elle incitait notamment les femmes à rester à la maison à s’occuper des enfants en leur versant sept cent cinquante dollars par mois ainsi que cinquante dollars supplémentaires par enfant de moins de seize ans. Cela avait conduit nombre de femmes à arrêter de travailler et ainsi de les remplacer à leur poste par des chômeurs. Autre conséquence : un bond de presque un point en six ans du taux de natalité.

La loi limitait aussi le nombre d’enfants des immigrés à deux. En effet, ceux-ci avaient tendance à se reproduire tels des lapins. Chaque femme avait donc l’obligation d’utiliser un moyen de contraception dès le deuxième môme.

Cependant, il arrivait encore trop fréquemment qu’un troisième marmot naisse. Aussi, le nouveau projet de loi prévoyait que, dans chaque couple, soit l’homme, soit la femme devrait subir une opération pour stopper leur reproduction : vasectomie pour le premier, hystérectomie pour la seconde. Sur ce point, tout le monde était d’accord.

Idem concernant l’adultère. Avec la première loi, celui-ci était puni d’une forte amende. Le prochain texte prévoyait de la prison à la première récidive. Un an. Cinq à la deuxième. Dix après.

Par contre, une proposition bloquait encore. Ken voulait que les Américaines n’aient plus le droit de travailler dès leur premier enfant, afin qu’elles s’occupent de son éducation plutôt que d’encombrer un poste qu’un homme était susceptible d’occuper avec plus de réussite. Les autres conseillers autour de la table étaient d’accord avec lui. Pas Tess.

― Les femmes ont toujours eu le droit de travailler, lança-t-elle.

― Pendant ce temps-là, les enfants sont laissés libres. Jusqu’à la première loi sur la déontologie familiale, la criminalité chez les jeunes n’a cessé d’augmenter, argua Ken. Depuis qu’on a incité les femmes à rester à la maison pour s’occuper de leur progéniture, le pourcentage de crimes a légèrement diminué.

― Rien ne prouve que les deux soient liés.

― Les dernières études montrent que c’est le cas, intervint Louis Harris, l’un des conseillers du président.

― Qu’est-ce qui prouve que cette baisse se poursuivra si on interdit aux femmes de travailler ? s’enquit Tess.

― Les enfants ont besoin d’être surveillés, encadrés, dressés, asséna Ken. C’est la tâche qu’on assignera aux femmes. Mais pour cela, il faut qu’elles soient présentes auprès des enfants. Quand on choisit d’en avoir un, on l’assume.

― Mais…

― Ma femme a cessé de travailler à la naissance de notre premier fils. Aujourd’hui, mes six garçons occupent des postes importants. C’est grâce au dévouement de leur mère. Elle a toujours été là pour eux. Si elle avait travaillé, ça ne l’aurait pas été. Que seraient-ils alors devenus ?

― Vous pouviez vous permettre que Martha ne bosse pas. Vous pesez plusieurs millions. Mais la plupart des couples n’ont pas vos moyens. Ils ont souvent besoin d’un deuxième salaire pour vivre.

― Nous versons une indemnité aux femmes. Elles n’ont qu’à apprendre à gérer un budget !

― Donc, si je comprends bien, en tant que mère de deux enfants, je vais devoir démissionner de mon poste de secrétaire d’État ?

Finalement, elle n’est pas aussi bête qu’elle en a l’air ! se moqua Ken.

― Ce sera avec regret qu’on vous regardera partir, mentit-il. Mais la loi est la même pour tous et toutes.

― J’aime travailler. Nombre de mes consœurs aiment aussi leur boulot. Nous aimons nous occuper.

― Les enfants vous occuperont. Et si vraiment les femmes veulent une activité, elles n’ont qu’à faire du bénévolat. C’est un marché en plein essor. Les associations verront d’un très bon œil l’arrivée de nouvelles bénévoles !

― Qu’en est-il des femmes célibataires qui auront un enfant ?

Ken avait longuement réfléchi à la question. Il savait d’avance que sa réponse ne plairait pas à cette idiote de Tess. Mais il s’en contrefichait.

― Toute femme célibataire sera interdite d’enfant.

― Quoi ! Et si elle tombe enceinte accidentellement, vous l’obligerez à avorter ?

Ken fit une grimace. Il était hors de question qu’une femme avorte. La loi s’était durcie sur la question. Ainsi, seules les femmes violées ou handicapées étaient autorisées à avorter. Ken ne comptait pas revenir là-dessus. Mais la solution à la question de Tess était déjà trouvée.

― Elle devra donner son gamin à l’adoption ! asséna-t-il. Des milliers de couples stériles pourront ainsi satisfaire leur besoin d’enfant.

― Mais c’est…

― Prodigieux, je sais. Vous incorporez donc cette directive dans la loi.

― Et les femmes divorcées ? reprit Tess. Vous allez leur prendre leur enfant ?

― Bien sûr que non, je ne suis pas un monstre. Je suggère qu’on retire le droit de divorce. L’homme et la femme se sont jurés de vivre ensemble jusqu’à leur mort. Ils l’ont fait devant Dieu. Il va falloir qu’ils apprennent à respecter leurs vœux jusqu’au bout.

― Même les femmes battues ?

― Une bonne claque n’a jamais fait de mal à personne ! lâcha Ken. Chacun doit avoir sa place dans le couple. La femme est à la maison, à s’occuper des enfants et à servir son mari.

― Je ne sais…

Le secrétaire de Ken entra dans la pièce, interrompant Tess. Il murmura une quelconque information à l’oreille du vice-président. Celui-ci se leva, l’air contrarié.

― Madame, messieurs, on requiert ma présence de toute urgence. Heureusement, il me semble que nous avons fait le tour des questions restées en suspens. Madame la secrétaire d’État, vous savez ce qu’il vous reste à faire.

Il quitta la pièce et gagna un petit salon à l’écart des oreilles indiscrètes. Cinq minutes plus tard, il en ressortait et monta dans l’ascenseur, direction le premier étage.


***


Malgré l’heure avancée ― presque dix heures ― Lamont était encore au lit, Callista s’occupant de son membre durci. Il n’avait jamais été du matin. D’ailleurs, ses subordonnés savaient qu’ils n’avaient pas intérêt à le déranger avant onze heures sauf en cas de force majeure.

On frappa à la porte. Sans attendre que le président l’autorise en entrer, Ken investit la chambre.

La tête de Callista sortit de dessous la couette. Quand elle avisa le visiteur, elle se leva, nue. Elle ne semblait pas le moins du monde gênée de se retrouver dans le plus simple appareil devant le vice-président. Ken, par contre, se retourna et attendit qu’elle quitte les appartements présidentiels.

― Alors, tu as encore passé une nuit avec une de tes putes ! lâcha Ken d’un ton de reproche.

― Ce n’est pas une putain, c’est une de mes femmes.

― Ce ne sont pas tes femmes. Tu n’en as qu’une. Elle s’appelle Mary.

― La seule chose que j’aime chez les Arabes, c’est leur polygamie. Tu sais bien combien je les exècre. Mais je leur envie leur harem. Une belle invention !

― Tu vas à l’encontre de Dieu.

― Laisse Dieu là où il est. Il n’est pas pour le divorce et pourtant, j’y suis passé deux fois. J’ai épousé trois femmes sans qu’il s’en offusque. Ça fait longtemps qu’Il ne s’occupe plus de nous. Sans quoi, Il n’aurait pas permis aux musulmans de vivre. Tu devrais te décoincer un peu. Tiens, je t’offre une de mes filles pour cette nuit.

― Tu joues au proxénète maintenant !

― Tu exagères toujours. Tu n’as jamais eu envie d’une autre femme que la tienne ?

― J’aime Martha, assura Ken. Elle me satisfait pleinement.

― Ben moi, j’en voudrais pas. Tu l’as bien regardée ?

― Tous les jours. Et je l’aime de plus en plus.

― On entendrait presque les violons jouer la sérénade ! Oh ma chérie, je t’aime plus qu’hier et moins que demain ! minauda Lamont.

― C’est la vérité.

― C’est de la niaiserie ! Mon pauvre Ken, je te plains.

― Je suis droit dans mes bottes, parfaitement serein quant à ma foi. J’aime ma femme et elle m’aime. C’est ce qu’attend Dieu de nous.

― Et blablabla, et blablabla ! Allez, tu n’es pas venu pour me ramener dans le droit chemin. Qu’est-ce que tu veux ?

― La Lake View High School a été victime d’un attentat il y a une heure.

― Ce nom me dit quelque chose !

― La Lake View High School de Chicago, là où va ton fils adultérin. Ça te revient ?

― Comment va-t-il ?

― On en sait rien. Il a disparu.

― Quoi ?! s’écria Lamont. Qu’est-ce qu’ont foutu les gardes du corps qui sont dévolus à sa sécurité ?

― Morts !

― Ça m’évitera de le faire.

― Il y a quatre autres jeunes qui ont perdu la vie et une dizaine de blessés plus ou moins graves.

― Je m’en fous des autres. Je veux qu’on retrouve Nick.

― C’est bien la première fois que je te vois t’inquiéter pour lui depuis sept ans que je travaille à tes côtés.

― C’est mon fils, la chair de ma chair. C’est normal non ?

― Un vrai père s’occupe de son gamin. Il ne se contente pas de lui envoyer de l’argent et tout ce qu’il veut.

― Je l’aime !

― Tu n’aimes que toi !

― Tu oublies à qui tu t’adresses ! hurla Lamont. Je suis ton président. Tu me dois le respect.

Mon respect, tu peux te le foutre où je pense, railla Ken.

― Au temps pour moi, s’excusa-t-il finalement.

― Je veux que tu mettes tous nos agents sur le coup. Je veux que tu me retrouves Nick. Vivant.

― Comme si tu avais besoin de le préciser ! Nous allons faire tout notre possible.

― Tu as intérêt à le retrouver. Et en vie, répéta-t-il en insistant sur les deux derniers mots. Sans quoi, tu pourrais bien être une des attractions des prochaines commémorations de la Saint Justin. Compris ?

Ken tourna les talons et quitta les appartements de son chef. Il attrapa son portable, dénicha le numéro de son correspondant et patienta que la communication se fasse.

― Mettez la main sur le gosse, ordonna-t-il.

― Vous le voulez comment ? mort ou vif ?

― D’après vous ? Mort bien sûr !

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