À midi, je retrouve Stev dans les gradins. Il ne me parle pas de notre escapade de ce matin. Jonathan nous rejoint, l’air soulagé de nous voir. Sa matinée a dû être longue, le pauvre. Lorsqu’il nous parle de sa rencontre avec Vincent, je sens Stev se raidir près de moi avant de reprendre une contenance rapidement. Les cris annonçant le début des répétitions des Red Shot sonnent le glas pour Steven. Il s’en va tout en me donnant discrètement la permission de tout raconter à Jonathan.

• Attends… Comment ça promis ? Ça ne se fait plus de nos jours ça !!
• Il y a quelques petites choses que tu dois savoir avant tout. Steven est l’unique héritier de la seconde plus grande fortune de l’île malgré les déboires que sa famille a connus dernièrement… et Virginie est la fille de l’un des plus grands banquiers. Ils sont nés la même année à quelques mois près. Leurs parents étaient des proches en affaires : ils se fréquentaient souvent. A la naissance des enfants, ils ont émis l’idée que les deux familles pourraient se réunir à travers un mariage. Ainsi, les deux mères ont tout fait pour que leurs enfants se fréquentent depuis le plus jeune âge.
• On se croirait dans un mauvais film…
• Mais carrément… c’est là que je vois que nous ne venons pas du même monde avec mon chat… Jusqu’au collège, Virginie et Steven étaient inséparables. Ils leur arrivaient de tomber malade s’ils ne se voyaient pas ! Seulement, voilà…
• Steven est gay.

Oui, mais il n’y a pas que cela. Cette partie de l’histoire ne sera pas racontée par mes soins. Ou alors après avoir eu l’autorisation du principal intéressé. Je repense à la fois où il m’a tout avoué : sa douleur et son dégoût n’étaient que trop palpables. J’en frissonne encore.

• Il y a des choses dont je ne peux pas te parler sans avoir demandé à Stev avant… Son histoire ressemble à une télénovela mal ficelée… Regarde-les… dit-elle en embrassant du regard les élèves autour de nous, pour changer de sujet. J’ai grave l’impression de ne pas être à ma place ici...
• Je fais tâche tout autant que toi tu sais…
• Sympa pour la tâche, fait-elle tout en me frappant le dos. Je ris.
• Je ne vous ai pas menti au sujet de mon QI… C’est grâce à ça que je suis ici aujourd’hui. Certainement pas à cause de mon compte en banque.
• Rassure-toi, nous sommes environ une centaine à être boursier d’excellence. 133 hein ? Chapeau…
• Oui, si on veut… Il n’empêche que j’ai dix-neuf ans et que je n’ai toujours pas le bac…

C’est vrai ça… Comment cela se fait-il ? Être aussi intelligent et…

Aurais-tu oublié ce que Stev a découvert ? Il a fait de la prison Nat…

Ah oui… La prison : cela expliquerait bien des choses.

Et obscurcirait d’autres. Jamais M. Van der Bund n’aurait accepté un ancien détenu parmi ses élèves d’élites ! J’attends avec impatience les infos que Loïc pourra me fournir !

• Jonathan ! Youhou !

Le cri de Virginie me sort de ma réflexion. Elle s’est douchée et l’eau dégouline encore de ses cheveux mouillés. Elle lui fait de grands signes de la main. Lorsque Jo la regarde, elle lui envoie un baiser du bout des doigts. Il lui fait un simple signe de tête. Virginie ne semble pas apprécier son manque d’enthousiasme car elle accourt vers nous. Sans crier gare, Nathan se lève, me prend la main et se met à courir dans la direction inverse.

Je rêve ou il fuit là ? En m’entrainant avec lui en plus !

Il nous fait entrer dans les escaliers du bâtiment principal et nous grimpons les marches jusqu’à atteindre le premier palier. J’ai le cœur qui bat à tout rompre.

• Mais qu’est-ce qui t’as…
• Chut !

Il pose sa main sur ma bouche et un délicieux frisson me parcourt.

Quoi ? Mais n’importe quoi !

Je le fusille du regard et il m’indique de la tête le bas des escaliers. J’écoute : effectivement, j’entends des pas qui se rapprochent. Je sens que Nathan est prêt à fuir encore une fois si jamais il apercevait Virginie. Il jette un œil et j’en profite pour faire de même. Deux ombres se découpent dans l’encadrement de la porte. Jonathan me pousse dans un recoin. Me voilà coincée entre trois pans de murs et... son corps. Il est proche, très proche... Ma température augmente sensiblement sans que je puisse me contrôler. Mes mains deviennent moites.

• Merde ! Je l’ai perdu de vue ! siffle Virginie.
• Virginie ce n’est pas grave tu le verras tout à l’heure !
• Sauf que je ne vais pas en cours ! Je dois préparer la réunion pour le prochain voyage ! Si cette petite pute espère me le voler, elle se fourre le doigt dans l'œil !
• Qui Natacha ? Cette morue ? Tu crois vraiment qu’il la préfèrerait à toi ?
• Cette fille n’a rien pour elle… Elle n’est capable que d’écarter ses jambes de toute façon…

Aïe… Comme un air de déjà vu…

Je me laisse aller contre le mur jusqu’à me retrouver par terre. Des souvenirs remontent à la surface…

Sale pute !

Non!

Je me noie...

Disparaît !

Des mots, des paroles cruelles…

Non !

Jonathan pose sa main sur mon genou et son contact me fait revenir à la réalité. Je relève la tête et croise son regard. Ses yeux trahissent un sentiment d’incompréhension mais aussi autre chose. Quelque chose de chaud et de réconfortant. Ma respiration se calme et mon angoisse se tait. Sa main se rapproche de mon visage pour y essuyer des larmes traîtresses.

Je m’étais jurée de ne plus pleurer pour ça…

Je n’entends plus qu’un silence assourdissant, rythmé par les battements de mon cœur dans mes tempes. Je pose ma main sur la sienne et lui souris faiblement. Il rapproche son visage… Nos souffles ne font plus qu’un et...

DDDDRRRRIIIIIIIINNNNNGGGGG !