Steven

6 minutes de lecture

Je me tais, histoire de jauger un peu l’humeur de mes amis. Natacha qui connaissait déjà cette partie de l’histoire a exactement la même réaction que la première fois que je lui ai raconté : les larmes aux yeux et dans ces prunelles un étrange sentiment que je n’arrive pas à définir. Jonathan serre et desserre les poings, la mâchoire crispée, signes évidents d’agacement voire d’énervement. Je poursuis donc dans ma lancée.

La suite ne va pas, mais alors pas du tout, leur plaire.

  • L’histoire n’est pas finie. Mais avant de vous la raconter, il y a une chose que vous devez savoir : je n’ai pas porté plainte et je ne compte pas le faire.
  • Porté plainte ? Mais que… commence Nat.
  • Chhhuuut. Ce n’est qu’à titre informatif. J’ai déjà ma vengeance en tête, peut-être que je vous la ferai part, peut-être pas. Tout va dépendre de comment évolue notre amitié par la suite. Bien je continue.

Le soir même, je décidais d’aller parler à Virginie de toute cette histoire. L'accueil fut glacial.

  • Qu’est-ce tu veux ?
  • Vivi, je…
  • Ne m’appelles plus jamais Vivi, cette fille-là est morte. Assassinée tu m’entends !
  • Virginie ce n’est pas ma faute ! Je ne savais rien !
  • Tu parles de quoi exactement ? Du mariage ou du fait que tu sois PD ?
  • Je… peinais-je à lui répondre tellement ses mots crus me blessaient. Le mariage… je ne savais pas du tout. Et puisque tu en parles cela fait un peu moins d’un an que je supposais mon homosexualité. Je ne l’ai vraiment su que dernièrement, mes sentiments envers Jéré…
  • Tais-toi ! Je ne veux pas le savoir ! Tu me dégoûtes… C’est répugnant… Ce que je t’ai vu faire avec lui… Beurk !
  • Je t’interdis d’insulter ma relation et mes sentiments !
  • Tes sentiments ? Tes sentiments ? Et les miens tu y as pensé ?

Interloqué, je suis resté sans voix devant une Virginie en larmes.

  • C’est bien ce que je pensais, tu n’avais même pas remarqué… Et dire que je faisais tout pour attirer ton attention…

Et là je comprenais l’évidence : si elle passait des heures à se maquiller et à s’habiller… C’était pour moi ?

  • Je… Et tes petits amis alors ?
  • Qui, ces crétins ? Je voulais te rendre jaloux ! Que tu réalises enfin ce que tu avais sous les yeux ! Mais non. Monsieur a préféré le jardinier..., me répond-elle la voix pleine de sarcasmes. Mais ne t’inquiètes pas, je ferai mon deuil. Pour moi tout est mort : notre amitié, nos années passées ensemble, nos souvenirs… même mon amour pour toi. Dorénavant, nous allons faire comme si nous ne nous connaissions pas. Et c’est tant mieux. Nous allons entrer au lycée, et même si nous fréquentons le même, le public lui est différent. Seule une poignée de personne saura que nous nous connaissions. Mais dès que j’aurai appuyé sur ce bouton…

Elle lève vers moi des yeux remplis de haine pendant que les miens se posent sur son téléphone où elle télécharge LA vidéo sur les réseaux sociaux. Puis elle me met à la porte. Sans ménagement. Sans aucun regret. Adossé à celle-ci, je laisse mes larmes couler : des larmes amères, des larmes de haine, des larmes de regret. Je n’ai même pas la force de hurler ni de me débattre devant cette vie qui est la mienne. Qui sait ce qui pourrait se passer lorsque les autres auront vu la vidéo ? Qu’il sache que je sois gay peu m’importe… Mais des images aussi intimes ?

Il fait nuit. J’ai besoin de prendre l’air. Je sors de la maison et marche machinalement vers notre cabane, lieu qui a failli voir ma première fois. Elle est détruite. Le manguier a tout simplement été abattu. Je cours vers la maison du jardinier, un peu plus bas dans ma rue, en proie à un sinistre pressentiment. Vide. Partis dans la précipitation. La porte est encore ouverte. Quelques vêtements sont jetés à même le sol. Dans la cuisine, il y a de la vaisselle cassée par terre ainsi que des restes de nourriture. Le cuiseur à riz est encore branché, en position maintien au chaud. Je déborde de rage. Je remonte en courant à la maison et me dirige droit vers le bureau de mon père.

  • Où sont passés Jérémy et sa famille ?
  • Virés.
  • Pardon ?
  • Tu m’as bien entendu. Virés. Si ce minable n’a pas été capable d’élever son fils correctement, il n’a rien à faire chez moi. La maison m’appartenant je les ai sommés de partir sur le champ. Ils me devaient trois mois de loyer de toute façon. Je n’aurais même pas à lui verser des dommages de licenciement. Et c’est tant mieux.

Je n’arrive pas à contenir ma colère et hurle.

  • Pour qui tu te prends ? Je te signale que moi aussi je suis gay ! Tu vas faire quoi ? Me virer aussi ?
  • Ne soit pas stupide. C’est juste une mauvaise passe. Tu es faible d’esprit et t’es simplement laissé entraîner par ce vaurien. Je t’ai justement pris rendez-vous avec la meilleure des spécialistes, une amie à moi. Elle te guérira à coup sûr. Après tu adoreras les femmes, fais-moi confiance.

Je n’en revenais pas. Ma colère a laissé place à l’incrédulité. J’éclatais d’un rire nerveux qui a fini en quinte de toux irrépressible. Excédé, mon père m’apporta un verre d’eau de sa carafe. Je l’ai pris, espérant calmer cette toux qui me déchirait la gorge. Une fois passée, je me suis relevé et sans un regard ni une parole pour cet homme, je suis sorti de la pièce. Arrivé dans le couloir, ma tête a commencé à tourner et j’ai été pris de vertige. Je me suis écroulé sur le tapis.

Je me suis réveillé avec une migraine carabinée. Mes bras et mes jambes étaient ankylosées et pour cause. Je n’étais pas dans ma chambre mais sur un énorme lit à baldaquin aux rideaux rouge grenat brodés de fil d’or, les bras et les jambes attachés avec un écarteur de sorte que j’étais allongé sur le drap de satin froid, en croix, nu et exposé. Pris de panique, j’ai essayé de crier mais aucun son ne sortait de ma bouche. C’est comme si ma voix avait décidé de me quitter. Une jeune femme d’une vingtaine d’années s’approcha de moi, dans une tenue digne d’une maison close : de la dentelle en veux-tu, en voilà.

  • Ainsi, c’est toi le patient que je dois soigner ?

Soigner ? Comment ça soigner ? Non…

  • Aller, laisse toi faire mon mignon…

La vérité éclata à mon visage : c’est comme ça que mon père voulait me soigner ? En me payant une call girl ? J’étais sidéré. La jeune fille déploya tous ses charmes afin qu’elle puisse se satisfaire de mon corps. Rien n’y faisait. Je n’étais absolument pas attiré par elle, même mon corps le criait ouvertement en restant impassible. Pas qu’elle n’était pas belle, elle était sublime mais tout en elle me dégoûtait : ce qu’elle représentait, ce qu’elle était capable de faire avec son corps pour de l’argent. Passablement agacée par mon indifférence, elle se leva et quitta la pièce. J’étais soulagé. Je supposais qu’elle avait rendu les armes. J’avais tort.

Lorsqu’elle est revenue, elle portait un peignoir de soie et tenait un plateau avec une bouteille d’eau fraîche posée dessus.

  • Tu as soif ?

Je fis oui de la tête, n’ayant toujours pas retrouvé ma voix. Elle me sourit et porta le goulot à mes lèvres. Je bus avidement, finissant presque les 500 ml d’eau d’une traite. Un sourire triomphant scotché au visage, elle s’approcha de moi en mode féline avant de recommencer son manège d’excitation sexuel.

  • Maintenant que tu as pris tes médicaments, on va pouvoir s’amuser… Tu es plutôt bien membré pour un gosse de quinze ans…

Mes… médicaments ?

Je ne comprenais pas. Persuadé que mon corps ne réagirait de toute façon pas, je ne m’en faisais guère. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque j’ai senti mon érection ! J’étais sidéré… Mais pas autant que lorsque j’ai vu la jeune fille se débarrasser de son peignoir où elle était nue en-dessous avant de venir s’asseoir directement sur mon érection. J'aurais voulu hurler, me débattre mais cela m’était impossible… Je… Je...

La main de Natacha s’est alors abattue sur ma bouche. Perdu dans mon histoire, j’avais fait abstraction de ce qui m’entourait. Jonathan s’était levé et faisait les cent pas : il s’est stoppé net. Natacha pleurait à chaudes larmes en hoquetant.

Tout comme moi...

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