Jonathan

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J’ai toujours voué une adoration sans borne pour mon père : travailleur, bricoleur, il avait toujours quelque chose à nous apprendre à Mathéis et à moi. Vivant dans le sud sauvage de l’île, nous avons toujours été dans la nature : très souvent nous allions à la pêche sur les falaises volcaniques qui bordaient l’océan ou alors nous partions dans les forêts de bois blancs. Ma mère était mon dieu : belle, gentille et tellement pleine de joie de vivre ! L’arrivée de Myra fut aussi un grand bonheur ! Enfin une autre fille dans la famille !

Lors de mon entrée au collège, maman est tombée malade : elle était pâle et avait souvent des migraines ou encore des somnolences. J’étais inquiet, mais en bonne mère qu’elle était, elle nous rassurait au mieux. Le collège se situait assez loin de la maison, malgré tout je voulais absolument rentrer tous les soirs ! Pas d’internat qui tienne ! Vers le milieu de l’année, un jeune garçon prénommé Alain fit son entrée dans ma classe.

Le choc.

Il me ressemblait trait pour trait. La seule différence notoire était que sa peau était couleur chocolat. Je ne comprenais pas. En revanche, les autres se sont occupés de le faire pour moi. Les ragots ont alors commencé : mon père aurait trompé ma mère, Alain et moi sommes jumeaux mais comme il est noir ma famille l’avait rejeté… À l'époque, on ne touchait pas à mon père ni à sa réputation. Je me battais systématiquement pour le défendre. J’avais à peine onze ans et me faisait ratatiner presque à chaque fois.

Alain s’en fichait comme de sa première chaussette. Mais un jour, je m’en suis pris à lui : je lui ai demandé s’il n’avait pas honte que sa mère se fasse insulter de la sorte. Ce qu'il m’a répondu m’avait choqué à l’époque.

  • T’es vraiment con ma parole. Ma mère a effectivement couché avec ton père, pauvre tâche. Et pour ta gouverne ce n’était pas une aventure sans lendemain. Louis passait des week-end entier à la maison jusqu’à ce qu’il choisisse de vivre avec vous plutôt qu’avec nous. Et ouai… Je suis bien ton demi-frère !

Ces paroles crues m’ont révulsées et je lui ai sauté à la tête. Malheureusement pour moi, nous nous sommes battus dans l’enceinte de l’établissement. Nos mères ont donc été convoquées le jour même. Quel n’a pas été le choc de maman en découvrant son ancienne amie Krishna et son fils Alain. La ressemblance avec mon père était on ne peut plus frappante. Ma mère en est tombée malade. Cette dépression n’a clairement pas arrangé son état de santé déjà fragilisée par son cancer. Cancer que nous ne connaissons pas encore l'existence, nous ses enfants. A partir de là, ma mère a fait des allers et retours à l’hôpital.

J’en ai voulu à mon père. Énormément. C’est là que la dégringolade a commencé. Je me battais presque tous les jours, me faisant exclure des établissements scolaires. J’ai commencé à voler, à sortir la nuit… Bref, j’ai clairement déconné. Tout ce que je voulais, c’était faire payer le prix fort à mon paternel. Je ne voyais pas du tout les efforts qu’il faisait pour maintenir notre famille à flot.

Puis j’ai commencé à dealer : un joint par ci, quelques cachets par là. Je me suis ensuite attaqué aux voitures : j’ai été pris plusieurs fois et mon père a dû souvent payer des cautions ou des amendes pour me faire sortir.

Financièrement, ça n’allait pas fort. Je l’ai compris lorsque Myra n’a pas pu s’inscrire à la cantine scolaire à cause des sommes non payées. Or c’était le seul endroit où elle pouvait manger à sa faim. Mathéis n’a pas pu renouveler sa licence d'athlétisme, nous n'avions plus les moyens. Faire payer mon père oui mais pas mon frère ni ma soeur. J’ai donc utilisé mes connaissances et mes compétences de voyou pour avoir de l’argent facile et ainsi payer les frais pour eux. Mon père n’a jamais compris d’où cela venait jusqu’à ce que la police débarque à la maison ce fameux jour.

Je ne suis pas allé en prison pour ça. Vu mon jeune âge et à cause de mes antécédents, j’ai quand même écopé d’un an de sursis avec mise à l’épreuve et obligation de soins. J'ai du voir un psy pendant des semaines. Une horreur. C’est d’ailleurs lui qui m'a fait passer les tests de QI.

Un soir, je suis rentré plus tard que d’habitude et j’ai trouvé mon père en pleurs dans le garage. Je devais avoir seize ans. Je ne l’avais jamais vu dans cet état. Je me suis approché, assez pour qu’il comprenne que j’étais là. Dans sa main, il tenait un avis d’expulsion et diverses factures. Je les ai prises et les sommes étaient astronomiques : nous devions plus de sept mois de loyer, les frais de chimiothérapies étaient exorbitants, sans compter les sommes à payer pour l’eau et l’électricité.

Nous avions alors plus de cinquante milles euros de dettes.

J’étais sidéré. Plusieurs pièces du puzzles se sont alors mises en place : la vente de la voiture, de ses outils, des meubles, pièces uniques qu’il avait fabriquées de sa main… et moi… Et moi qui faisait le con. Je l’ai immédiatement regretté et je me suis mis à genoux pour lui demander pardon. Il m’a giflé. La seule et unique claque que j’ai reçue de mon paternel.

  • Tu ne te mettras à genoux devant moi que lorsque je serai mort. Pas avant.

Je pris la décision ce soir-là de tout faire pour l’aider.

Malheureusement, quelques semaines plus tard… Il a débarqué.

Je m’arrête pour reprendre un souffle que je n’avais même pas conscience d’avoir perdu. Parler de lui me révulse encore. La haine que je lui porte est phénoménale. Je réalise que pour une fois je ne pleure pas en repensant à cette histoire. Nous sommes de retour sur le lit - comment je n’en ai aucune idée - je suis assis dos à la tête de lit, Natacha entre mes jambes, blottie contre mon torse et Steven assis en tailleur en face de nous. C’est sûrement leur présence qui fait que je me sente en confiance.

Je vais pouvoir leur raconter la suite. Oui je le peux.

Nat se tourne vers moi, le visage grave.

  • Nathan. C’est qui ce il ?

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