Un autre désert

3 minutes de lecture

Perdu.

Tout autour de moi, une immensité de sable et de pierres, avec au loin quelques pics improbables. Ces paysages grandioses du Hoggar, que je devais parcourir pendant une semaine avec mes trois compagnons d'aventure, semblent maintenant se moquer de moi.

Pourtant, étrangement, je me sens plus calme et serein que jamais. Je suis si fatigué que je ne sens même plus ni la soif ni la brûlure du soleil, et j'ignore même quelle force me donne l'énergie d'écrire sur ce carnet. Maintenant qu'est apparue la certitude d'être vraiment perdu, dans ce désert où probablement la mort va venir me prendre ce soir ou peut-être demain, la peur a disparu, et à sa place je découvre émerveillé un repos intérieur que j'ai, il me semble, longtemps cherché sans le savoir.

Depuis toujours je ressens le besoin de la décharge d'adrénaline que procurent les sports extrêmes. Ski hors piste, parachutisme, plongée, trekking, escalade, ces activités sont pour moi comme une drogue, qui seule me permet d'évacuer la pression, le stress du boulot, du quotidien, de la vie familiale. Et un jour j'ai découvert ce désert du Hoggar. Cette immensité vide, écrasante, toujours changeante et pourtant immuable, a répondu au vide de mon désert intérieur. C'est comme si je l'avais toujours connu. C'est ce qui m'a poussé à proposer à mes amis une semaine de trekking dans le désert.

Avec Etienne, Robert et Maxime nous partageons cette même passion pour les sports extrêmes, et depuis plusieurs années nous nous organisons deux ou trois semaines d'aventure par an. Chaque aventure a sa part de risque bien sûr, et c'est aussi cela qui la rend exaltante. En général c'est un risque calculé, et je compte également souvent sur la chance qui m'a bien servie par le passé pour nous sortir de situations délicates. Mais cette fois, il semble que mon ange gardien se soit laissé débordé par la situation...

Etienne, Robert et Maxime arrivent demain à l'aéroport de Tamanrasset. Mon vol est arrivé hier, et plutôt que de les attendre sagement à l'hôtel j'ai voulu faire une petite balade... première erreur. Dans mon esprit, c'était sans danger, juste quelques heures de piste avec la Jeep, profiter du paysage et retour. Comme notre guide ne nous rejoint que demain, et que ce n'est pas ma première visite dans le Hoggar, j'ai cru pouvoir gérer tout seul... deuxième erreur. Enfin, bien sûr, je n'avais pas prévu la possibilité que la Jeep tombe en panne au bout de deux heures de route... troisième erreur. Comme j'étais à peine à 10 km de la ville, j'ai cru que je pourrais faire le chemin de retour à pied... une nouvelle erreur.

Le désert est tellement beau, bien plus que je ne l'avais perçu jusqu'à présent... Pour le voir il m'aura fallu cette longue marche, où la fatigue, la soif, la douleur libèrent et ouvrent l'esprit. Ainsi j'ai pu dépasser l'illusion de vide. Ici chaque caillou est un miracle, une œuvre d'art. Le vent danse avec le sable et écrit sur les dunes une histoire infinie et toujours renouvelée. La vie est présente, partout, contrairement à ce que j'avais cru. Des traces. Des graines. A l'ombre d'un rocher, de minuscules plantes, qui attendent l'offrande de l'eau pour s'épanouir et vivre leur vie en accéléré le temps d'un orage. Parfois un insecte bien caché se laisse apercevoir.

L'eau, bien qu'absente, marque le paysage. Elle a déplacé et érodé ces roches. Elle laisse sur son passage la trace d'un oued et la promesse d'un retour. Et elle enrichit le désert d'un espoir de puits. Mes deux gourdes sont maintenant vides depuis quelques heures, et l'eau continue à fuir mon corps de plus en plus déshydraté... Ici l'eau est la vie et la mort. Un grand cycle. Ici la vie prend tout son sens, toute sa valeur.

J'ai marché plus de sept heures en espérant rejoindre mon hôtel, et maintenant force est de constater que je suis perdu. Il n'y a plus trace de la piste, ni de la ville. Je suis également trop désorienté et trop fatigué pour retrouver la jeep. Je suis perdu. Etrangement, j'ai le sentiment de m'être retrouvé. Comme un randonneur qui, après une longue journée de marche, revient chez lui à la tombée de la nuit. Il est fatigué, il a froid, mais il sait qu'il va bientôt s’asseoir au coin du feu avec un bon thé et méditer sur son périple.

Ici aussi la nuit va bientôt tomber, aussi glaciale que le jour est brûlant. Dans le désert, ces deux extrêmes se rejoignent, peut-être pour purifier nos âmes. C'est la fin du chemin. Je vais gravir cette petite colline, et me reposer, enfin, en profitant du coucher du soleil.

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