Le fait d'avoir reçu une solide formation musicale et d'avoir une expérience extensive de la scène améliora le sort de Kairii. Le Kikuya voulait faire du profit : les patrons se rendirent rapidement compte qu'ils en ferait plus en faisant de leur nouvelle acquisition un acteur qu'un vulgaire prostitué. Les kagema étant au départ d'apprentis acteurs qui vendaient leur corps en attendant d'avoir l'âge et le talent de monter sur les planches, il n'y avait aucun mal à faire entrer la nouvelle recrue directement au théâtre, puisqu'il connaissait déjà les bases du métier. Au lieu de le mettre au travail, ils l'envoyèrent donc compléter sa formation chez un maître de kabuki. Kairii saisit l'occasion à bras le corps : il fit de son mieux pour maîtriser rapidement les rôles qu'on lui donnait. Si ça pouvait lui éviter d'avoir à tendre les fesses aux clients !

Le jeune homme fit bientôt ses débuts sur les planches du Nakamuraza, dans une pièce traitant du suicide amoureux. Ses airs stoïques et défiants de « garçon d'Edo », son physique atypique et son aura sombre collèrent parfaitement avec la pièce : ce fut un succès. On lui attribua rapidement des rôles de méchant et de bandit d’honneur dans les pièces à la mode, où il excellait, au grand bonheur des edoïtes.

Jusqu'ici, le Kikuya n'avait pu financer la formation artistique que d'un seul de ses kagema : Shiragiku, considéré comme la perle de la maison, qui vit d'un très mauvais œil l'arrivée d'un rival sur son territoire. Le jeune homme, âgé lui aussi de dix-sept ans, avait une solide clientèle, dont la majorité était déjà féminine. Les patrons furent ravis de pouvoir se vanter d'avoir désormais deux acteurs professionnels sous leur toit.

— Nous avons désormais deux beaux arbres dans notre jardin, se félicitait le patron à qui voulait l'entendre. Un magnifique érable rouge (il s'agissait de Shiragiku) et un superbe cerisier au début de sa floraison !

Ce cerisier, c'était Kairii.