Chapitre 5

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La vicomtesse tant attendue

Philippe

Je m’approche du petit boudoir près de ma chambre où Aimée a installé les différents jeux pour occuper et instruire mes enfants. J’entrouvre la porte pour ne pas me faire remarquer et observe la scène. Je pourrais mentir et dire que ça m’attendrit de les voir tous les trois regroupés autour de la petite table en train de travailler leurs écritures mais ce n’est pas du tout ce que je ressens. Je me dis que c’est leur mère qui devrait être là, pas cette jeune femme aux cheveux blonds bouclés qui fait son travail sérieusement, qui aime sûrement mes enfants, qui aimerait que je l’invite dans mon lit… mais qui n’est pas Isabelle. Mon épouse me manque toujours autant, quoi que je fasse, quel que soit le temps qui passe. Alors que je vais refermer la porte, Marcus relève la tête et son visage s’éclaire quand il m’aperçoit. Il se lève immédiatement et court pour se jeter dans mes bras. Je le laisse faire et le serre un instant contre moi, profitant de sa tendresse avant de le repousser et de reprendre mon air sévère.

— Jeune homme, vous oubliez vos manières ! L’heure n’est pas aux effusions mais bien à l’éducation. Aimée, il faudra lui donner deux lignes de plus à copier, je compte sur vous.

— Vous êtes sûr, Monsieur ? Enfin, je veux dire… D’accord, ce sera fait, vous pouvez compter sur moi.

— Deux lignes parce qu’il est heureux de vous voir, Père ? Vraiment ? m’interroge ma fille en grimaçant. Si c’est le prix à payer, autant rester enfermé dans vos quartiers comme avant.

— Eh bien, Aimée, ce sera deux lignes de plus aussi pour Jeanne pour son impertinence. Bon courage avec ces deux enfants. On voit que la présence d’une mère leur fait défaut.

Je soupire en refermant la porte car Aimée semble plus occupée à me faire les yeux doux en rougissant qu’à s’occuper de ma progéniture qui semble incapable de comprendre que même si je les aime beaucoup, je ne suis pas en capacité de leur montrer. Le traumatisme de la mort de leur mère est encore bien trop présent dans ma mémoire.

Je descends l’escalier principal et retrouve Augustin qui s’est installé en cuisine pour aider son épouse à préparer le repas. Ces derniers jours, j’ai pu un peu le découvrir et je le trouve à la fois efficace et discret. Il semble être loyal à la famille De Valois et au domaine. Je suis sûr que malgré la Révolution et tous les événements qui ont suivi, il n’a jamais dérobé ne serait-ce qu’une bricole dans le manoir.

— Augustin, vous pouvez m’accompagner dans la chambre de Rose ? Je crois que tout n’est pas prêt et il faut s’en assurer. Ils arrivent aujourd’hui, normalement.

— Bien sûr, Monsieur. Il me semble que le ménage a été fait ce matin, il ne restait plus que la literie lorsque j’ai demandé à ma fille.

— Quand je suis passé, je n’ai pas vu la literie justement. C’est étrange. Pour le reste, on a bien travaillé, je crois que la vicomtesse sera satisfaite. Allons voir. Thérèse, je vous enlève votre mari le temps de faire un dernier contrôle.

— Vous pouvez le garder un peu plus longtemps, Monsieur, sourit la vieille femme, il commence à radoter et se permet de critiquer ma cuisine.

— Inadmissible ! Depuis que nous sommes arrivés, j’ai déjà dû prendre un ou deux centimètres de tour de taille à cause de votre succulente cuisine !

Elle rougit et se remet à travailler alors que je retourne à l’étage, précédé par Augustin qui se dirige tout droit vers le coin où la jeune Rose pourra s’installer. Lorsqu’il ouvre la porte, il s’arrête net et je lui rentre dedans.

— Eh bien, Augustin, vous pourriez prévenir quand vous vous arrêtez brusquement ! commencé-je avant de voir la raison de son arrêt soudain et ce n’est pas parce que la literie n’est toujours pas installée.

Par contre, Louis est bien présent, tout comme Babeth, la fille d’Augustin dont le corsage dégrafé et la jupe relevée laissent peu de place au doute quant à l’activité qui se déroule sous nos yeux. Et le pire, c’est que mon ami ne semble pas s’être rendu compte que nous avons débarqué car il ne relève pas la tête de l’entrejambe de la jeune femme qui s’efforce de le repousser.

— Louis ! tonné-je en pénétrant dans la pièce pour le tirer et le faire se relever. Tu fais quoi, là ? Tu as perdu la tête avec ton bras ? Tu ne peux pas te tenir à carreau ici au moins ? Et dans la future chambre de la vicomtesse, en plus !

Le pauvre a déjà son pantalon défait et manque de tomber sous la violence de mon assaut. Augustin m’a suivi et s’en prend à son tour à sa fille qu’il somme de se rhabiller, ce qu’elle fait fébrilement.

— Détendez-vous les amis, nous ne faisions que nous amuser un peu, lance Louis en remontant son pantalon comme il le peut. Tout va bien !

— Avec tout mon respect, je vous prierai de garder vos sales pattes loin de ma fille !

— Vous amuser ? Tu n’as pas ce qu’il faut au village ? Et pourquoi faire ça dans cette pièce ? La maison n’est pas assez grande ? m’énervé-je alors qu’Augustin lui lance des regards noirs de colère.

— Pour l’amour du ciel, détends-toi et respire, Philippe ! Cette pièce ou une autre, cette fille ou une autre, je n’allais pas la repousser non plus ! Je vous prie de m’excuser, Augustin, mais vous devriez savoir que votre fille n’est pas si innocente qu’elle le prétend à première vue.

La jeune femme ne semble en effet pas très farouche et plutôt déçue de la tournure des événements. Son père, agacé, la saisit par le bras et s’excuse auprès de moi avant de l’emmener avec lui, la forçant à le suivre alors qu’elle jette des regards enamourés vers mon ami.

— Tu ne changeras donc jamais, Louis ! Comment tu crois que ça va se passer pour elle, maintenant ? Heureusement que tu ne l’as pas déflorée sinon il l’aurait mise directement au couvent. Tu n’as pas compris qu’ils étaient encore dans les fonctionnements de l’Ancien Régime ? Est-ce que ça t’arrive de penser avec ta tête plutôt qu’avec ton phallus aux envies démesurées ?

— Je trouve toute cette histoire de virginité très surfaite, personnellement. C’est vrai, quoi, pourquoi n’auraient-elles pas droit de s’amuser avant de se retrouver dans un mariage arrangé qui ne les satisfait pas, d’enchaîner les gosses et de finir frustrées et aigries comme le sont toutes les dames de la Haute ?

— Ce n’est pas à nous de juger, je te rappelle qu’ici, nous ne sommes que les invités. Une fois que je serai officiellement le tuteur de la vicomtesse, ce sera différent mais pour l’instant, on se tient à carreaux ! Tu veux quoi ? Qu’on se retrouve à la rue parce que tu auras mis ton engin dans la fille des domestiques du domaine ?

Je n’ai pas le temps de continuer à l’invectiver que les chiens du chenil se mettent à aboyer et que des bruits de chevaux se font entendre. Je me précipite à la fenêtre de la chambre et constate que trois carrosses sont en train de franchir l’entrée du domaine.

— Et il suffit d’en parler pour qu’elle se pointe ! Je te jure que tu as intérêt à ce que cette pièce soit prête avant qu’ils ne viennent à l’étage ! Et l’absence d’un bras ne sera pas une excuse vu ce que tu es capable de faire avec le membre qui pend entre tes jambes. Compris ?

— Quel rabat-joie tu fais, soupire-t-il théâtralement avant de me faire un salut militaire. A vos ordres, Monseigneur de Valois.

J’ai bien envie de lui montrer physiquement qu’il devrait arrêter de se moquer. Une poussée de violence s’insinue en moi même s’il est mon meilleur ami, mais je n’ai pas le temps de m’attarder et me dépêche de redescendre afin d’accueillir dignement Rose et surtout sa tante qui va me la confier officiellement, me permettant ainsi de justifier ma présence ici mais également de me donner le contrôle temporaire sur le domaine de manière plus concrète.

Je descends les marches aussi rapidement que mes jambes me le permettent et me précipite, un peu à bout de souffle, sur le parvis extérieur pour accueillir la propriétaire des lieux et ceux qui l’accompagnent. La première calèche s’est déjà arrêtée et une brune d’une quarantaine d’années est à côté. Elle est fine et élégante et vu l’air d’autorité qu’elle dégage, je comprends qu’il s’agit de Marie de Valois, la tante de la vicomtesse avec qui j’ai échangé différentes missives.

— Bienvenue dans votre domaine, lancé-je en m’approchant. J’espère que vous avez fait bonne route.

— Il était grand temps que nous arrivions. Ravie de vous rencontrer, depuis le temps que j’entends parler de vous.

— J’espère que je serai à la hauteur de vos attentes, Madame. L’Empereur a bien fait de permettre le retour de dames de votre rang au sein de notre pays, même si j’ai cru comprendre que vous ne resterez pas, contrairement à votre nièce.

— Je vous conseille d’éviter d’invoquer l’Empereur devant la vicomtesse, soupire-t-elle. Déjà qu’elle n’est pas très aimable, il s’agit là d’un sujet qui la fait sortir de ses gonds bien trop facilement à mon goût.

— Et pourtant, sans l’Empereur, la France serait aux mains des puissances ennemies et le chaos règnerait encore et toujours dans notre nation. Je lui dois tout, Madame, répliqué-je vertement alors que la porte de la calèche s’ouvre, manquant de m’assommer.
— Il faut croire que vous devez beaucoup de choses à beaucoup de personnes alors, Monsieur Maynard. J’ai cru comprendre que vous deviez la vie à mon père, mort à cause de votre second sauveur, lance une voix féminine particulièrement froide tandis qu’on pose pied à terre dans mon dos.

Je me retourne, prêt à continuer à affirmer mon soutien indéfectible à notre Empereur, mais la vision qui s’offre à moi me laisse sans voix. Je m’attendais à voir une jeune adolescente prépubère et je me retrouve face à une jeune femme dont le charme et la beauté rendraient fou n’importe quel homme normalement constitué. Si Louis était présent, il serait déjà en train d’essayer de lui conter fleurette. Je dois faire un effort pour refermer ma bouche alors qu’elle semble satisfaite de l’effet qu’elle produit sur moi.

J’essaie de prendre la parole mais je ne trouve aucune réplique à lui apporter. C’est comme si la surprise m’enlevait toute capacité à parler. Je ne peux qu’admirer sa façon de marcher, toute en confiance. Cela devrait me révolter de constater qu’elle se croit ainsi supérieure à moi du fait de son rang mais au contraire, cela ne fait qu’attiser mon admiration. Ses cheveux châtains clairs forment une crinière autour de son visage d’ange qui semble avoir été créé par un peintre voulant décrire une déesse. Le corset qu’elle porte dessine des courbes qui me semblent encore plus voluptueuses que celles de Babeth tout à l’heure et sa robe, même si elle est froissée par le voyage, semble coller à ce corps qui va faire tourner les têtes, c’est certain. Il faut que je calme ce désir insensé qu’elle me fait immédiatement ressentir car je vais devenir son tuteur et qu’il va me falloir la côtoyer jusqu’à ce que je trouve un mari qui convienne à sa situation. Rose n’a pas l’air d’être dans le même état d’esprit que moi. Elle m’ignore royalement et se désintéresse totalement de ma personne. Elle se précipite vers Augustin qui lui ouvre les bras, sous les regards de toutes les personnes présentes. Je suis frustré d’avoir eu l’air aussi empoté et imbécile en face d’elle. Alors que tout le monde descend des calèches, je m’écarte un peu, essayant de garder une attitude de sérénité et de dignité que je suis loin de ressentir au fond de moi. Suis-je vraiment la personne idoine pour devenir le tuteur d’une telle créature ?

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