Chapitre 11

7 minutes de lecture

Le bal des soucis

Philippe

Je jette un œil au tableau au dessus de moi comme si j’allais y trouver la réponse à mes questions mais, même si je me dis que les grands-parents de Rose avaient sûrement plus l’habitude que moi d’organiser des bals, ce n’est pas en me perdant dans cette contemplation que mon invitation va avancer. Je n’ai jamais fait ça de ma vie et je me demande bien ce que l’on met dans une telle missive. Dois-je parler des tenues à mettre ? Fait-on un bal masqué ? Comment faisons-nous pour savoir qui vient et qui ne vient pas ? Et puis, comment signé-je ? Philippe Maynard, Chevalier de la Légion d’Honneur ? Ces nobles à qui je m’adresse vont-il seulement daigner me répondre ? Je soupire devant la page blanche devant moi et je me tourne vers la fenêtre à travers laquelle je distingue des mouvements qui attirent mon regard.

Je constate que mes enfants sont sortis avec Rose et sont en train de courir dans le parc au pied du château. Ils ont l’air en pleine forme mais ce n’est pas eux que je détaille. Rose éclipse tout, il me semble, tant elle rayonne. Elle porte une robe légère, d’un jaune pâle qui réhausse la pureté de son visage d’ange. Elle est visiblement ravie de pouvoir courir avec mes enfants et j’essaie de détourner les yeux mais c’est compliqué, j’ai tellement envie de continuer à la contempler.

Je me mets enfin à écrire pour rédiger une invitation digne de ce nom mais ne parviens pas à aller très loin. Les rires de la jeune femme me déconcentrent vraiment et je suis presque soulagé quand Augustin frappe à la porte et entre. Je lui ai demandé de venir me voir pour finaliser l’organisation de ce bal qui m’ennuie déjà au plus au point alors qu’il n’a même pas commencé.

— Ah Augustin, je voulais vous voir pour vous informer que je compte organiser un bal ici, à la fin de la semaine. C’est bon pour vous ? Vous avez tout ce qu’il faut pour que ce soit un succès ? demandé-je alors qu’il lève les sourcils en entendant mes propos.

— Tout ce qu’il faut ? Eh bien… J’en doute, Monsieur. Il y a bien longtemps que nous n’avons pas organisé de bal ici, il y a une montagne de choses à prévoir en amont.

— Comment ça, une montagne ? Ce n’est pas bien compliqué, il me semble. La salle de bal est prête, il faut juste un peu de nourriture et de la musique !

— Eh bien, il faut la préparer, la nourriture. Et pour qu’elle soit prête, il faut aller l’acheter. Il faut également nombre de bougies, faire le ménage, des personnes pour le service. Quant à la musique, j’espère que vous connaissez du monde, Monsieur, parce qu’il n’y a pas de musiciens ici.

— Pas de musiciens ? Et embaucher des gens ? C’est quoi cette histoire ? Où sont passés ceux qui étaient là avant ?

Je suis un peu sonné par ce qu’il me dit. J’imaginais qu’il avait tous les contacts nécessaires mais s’il faut que je me débrouille tout seul, comment vais-je faire ?

— Les années ont passé, Monsieur, les gens partent, reviennent… La Révolution est passée par ici, au cas où vous l’auriez oublié. Certaines personnes refuseront de participer à ce bal. Je vais voir avec Thérèse pour le repas, permettez qu’elle vienne vous faire quelques propositions dans la journée.

— Vous pouvez voir aussi si les musiciens que vous connaissiez sont toujours là ? Sinon… à part faire appel à des anciens soldats que je connais, ça va être difficile… Je vais aussi demander à Louis, il a toujours de bonnes idées.

— Toujours ? Permettez-moi d’en douter, marmonne le vieil homme en se grattant la barbe. Il va falloir faire un tour dans la salle de bal, Monsieur, j’ai peur que le temps ait fait des dégâts.

— Eh bien, il faudra les cacher ! m’emporté-je. A quoi ça sert de vous entretenir ici si vous ne servez à rien ? Faites en sorte que tout se passe bien, le bal aura lieu samedi !

Je me lève, énervé, et ne lui laisse pas le temps de répondre en le bousculant presque quand je sors de la pièce. Je sais que je suis injuste mais là, la tâche me semble presque impossible à accomplir. Je ne passe pas par la salle de bal pour vérifier les dires d’Augustin qui a sûrement raison et sors dans le jardin où Rose et mes enfants semblent vivre leur meilleure vie. Ils rient aux éclats quand j’arrive et je me dis que certains ont de la chance, loin des soucis que je rencontre.

— Rose, je peux vous parler un instant ? demandé-je plus froidement que je ne comptais le faire, sûrement pris d’une jalousie mal placée face à ces problèmes que je dois gérer pour elle alors qu’elle s’amuse.

— Est-ce une réelle interrogation ou plutôt un ordre à peine dissimulé ? me demande-t-elle en approchant.

— Une invitation. Désolé, je ne voulais pas vous fâcher non plus, ajouté-je pour ne pas la froisser. Je peux repasser plus tard si ce n’est pas le moment.

— Je vous écoute… Un souci ?

Je lui fais signe de me suivre et nous nous retrouvons à marcher l’un à côté de l’autre, le temps de nous éloigner un peu de mes enfants que je trouve trop turbulents pour avoir une conversation digne de ce nom. Je sens qu’Aimée aimerait nous suivre et jalouse un peu Rose, mais en tant que gouvernante, elle est obligée de rester à sa place.

— Rose, j’ai décidé d’organiser un bal ce samedi, mais il semblerait que je ne sois pas le mieux placé pour m’occuper de ce type d’événement. Je… c’est toute une histoire d’essayer de vous trouver un mari !

— Et vous espérez que je vous plaigne ? rit-elle.

— Me plaindre ? Je n’en espère pas autant, non, répliqué-je, le sourire aux lèvres malgré moi. Mais peut-être pouvez-vous me conseiller ? Je ne sais même pas ce qu’on doit mettre sur une invitation. Je… je ne suis pas de votre monde, si vous voyez ce que je veux dire.

J’ai un peu de mal à avouer ce genre de choses mais c’est la triste vérité. Tous les titres et honneurs que je pourrais obtenir ne rattraperont jamais cette différence. La Révolution est certes passée par là, mais je ne serai jamais noble, ça, c’est évident.

— C’est donc une chance que ma mère m’ait initiée dès mon plus jeune âge aux joies de l’organisation de festivités à la maison ! Thérèse sera votre plus gros atout pour tout préparer, Monsieur, elle gérait cela d’une main de maître à l’époque, tout en laissant penser à ma mère qu’elle était la maîtresse de l’organisation.

— Ah oui ? Augustin n’avait pas l’air très au courant par contre. Il semblait perdu pour l’organisation. Et pour la musique, il faut quoi ? Il parait qu’il n’y a plus de musiciens par ici depuis la Révolution. Et pourtant, l’Empereur n’a rien contre un bon orchestre, je peux vous l’assurer.

— Augustin est un homme, que voulez-vous qu’il connaisse à l’organisation d’un bal ? La seule chose qu’il pourra gérer concerne le mobilier ou l’organisation des attelages le jour J. Peut-être pourriez-vous solliciter l’école de musique de la ville voisine pour la musique, s’il n’y a plus d’orchestre…

— Ah oui, bonne idée. Je n’y aurais pas pensé tout seul. Vu que nous recrutons dans l’armée des musiciens, il doit y avoir des jeunes qui apprennent. Et pour recruter du personnel, vous savez à qui je peux m’adresser ? On va juste voir en ville pour demander qui veut venir ? Les gens de votre standing s'échangent des listes de noms de personnes pouvant faire l’affaire ?

— Voyez avec Thérèse si elle a des cousins, des cousines, à embaucher… Sinon, faites passer l’information au village, il est toujours bon d’offrir du travail aux personnes qui vivent près du domaine, cela peut être utile.

Nous continuons à marcher quelques instants en silence. Je suis impressionné par la facilité avec laquelle elle semble pouvoir résoudre tout ce qui m’apparaissait comme une montagne il y a quelques instants encore. Lorsque je reprends la parole, j’ai conscience de m’être beaucoup adouci.

— Vous avez réponse à tout, c’est agréable. Et concernant le bal en lui-même, je ne vous ai pas demandé, mais cela vous intéresse d’y participer ? Samedi vous convient ?

— J’ai toujours adoré les bals, sourit-elle en effectuant quelques pas de danse devant moi. Lorsque j’étais trop petite pour y assister, j’attendais que mes parents passent me souhaiter bonne nuit puis je me faufilais dans la salle et me cachais sous une table pour observer tous ces gens danser et sourire.

Quelle grâce ! C’est merveilleux de la voir esquisser ces quelques pas. J’ai l’impression qu’elle a fait ça durant toute sa vie et qu’elle fait ça à la perfection.

— Je vois ça, vous allez avoir du succès avec une telle élégance. Samedi, c’est bon pour vous, alors ?

— Bien entendu, mais c’est simplement parce qu’il y a une éternité que je n’ai pas dansé, et non pas pour satisfaire votre besoin de me trouver un mari.

— Oui, oui, bien sûr. Mais je vous avoue que si vous dansez, cela va faciliter ma tâche. Merci pour cette riche conversation, Rose. Je me permettrai de revenir vers vous si j’ai d’autres questions. Vos conseils sont précieux.

— Affirmeriez-vous que je ne suis pas qu’une gamine capricieuse, Philippe ? me demande-t-elle, le sourire aux lèvres.

— Je n’affirmerai rien du tout, j’attends de voir la suite, répliqué-je en retenant le sourire qu’elle a réussi à faire naître chez moi.

Je presse le pas pour la distancer rapidement avant de me laisser aller à plus de sentimentalisme ou de gentillesse que je ne souhaite le faire. Rose n’est pas mon amie, je suis son tuteur et j’ai la responsabilité de lui trouver un mari. Au plus vite, au mieux. Et ce n’est pas en entrant dans son jeu que je vais accélérer les choses. A moi de rester droit dans mes bottes et de ne pas tomber dans ses manipulations si je veux que cette mission aboutisse dans les plus brefs délais.

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