Chapitre 12

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Les grands préparatifs

Rose

— Apporte la robe bleu nuit, Julie.

— Mais Monsieur a demandé…

— Julie, la coupé-je, la bleue. C’est moi qui vais devoir la porter durant des heures et la rouge est des plus inconfortables. Si Philippe a un problème avec la robe choisie, il n’aura qu’à me déshabiller devant l’assemblée pour m’enfiler la rouge lui-même.

Je souris à cette idée, quand bien même j’imagine la honte de vivre cela. Philippe souhaitait que je porte la robe rouge ramenée de Paris, mais son décolleté est trop profond à mon goût et surtout, le corset est un véritable outil de torture. D’ailleurs, si Julie est plutôt frêle, elle montre une sacrée force lorsqu’il s’agit de serrer cette horreur.

Je ne le devrais pas, mais l’idée de vivre le premier bal de la saison m’excite outre mesure. Ma mère organisait toujours des événements très réussis et, si je ne doute pas que cette soirée ne sera pas à la hauteur de celles qu’elle donnait, revoir la salle de bal pleine de convives et bruyante me fait très envie. De plus, je dois avouer que j’ai toujours beaucoup aimé danser, aussi, j’ai bien conscience que mon carnet de bal sera vite rempli de prétendants, mais je compte surtout profiter de chaque homme qui pourra m’offrir une danse digne de ce nom.

— Sais-tu si Thérèse s’en sort avec le menu ? demandé-je alors qu’elle m’aide à enfiler le corset.

— Elle trouve qu’elle n’a pas préparé assez et que les personnes qui sont venues l’aider ne sont pas à la hauteur, mais je suis sûre que tout sera parfait.

Je gémis lorsqu’elle tire fortement sur le fil qui resserre l’engin de torture que je porte et inspire fortement pour l’empêcher de m’étouffer.

— Je n’en doute pas. Est-ce que tu as croisé Philippe ? Il semblait sur les nerfs, ce matin.

— Si je peux me permettre, on aurait dit un oiseau à peine sorti du nid qui essaie de voler dans tous les sens sans parvenir à décoller. Il avait l’air un peu perdu mais toujours avec… une belle prestance, avoue-t-elle en rougissant légèrement.

— Une belle prestance ? gloussé-je. Le genre mâle dominant qui se croit supérieur parce qu’il a un truc qui pend entre les jambes ? Moui… Si tu le dis.

— Il a quand même réussi à organiser ce bal et vous êtes superbe dans cette jolie robe. Quelle chance vous avez ! déclare la rousse, enthousiaste.

— Il était paniqué à l’idée d’organiser ce bal. Je t’en prie, ne vante pas trop ses mérites, je trouve qu’il a déjà suffisamment pris ses aises dans ma maison.

— C’est surtout son ami Louis qui prend ses aises. Il a essayé de me charmer, hier soir, mais je l’ai renvoyé vers la fille d’Augustin qui semble amoureuse folle ! Quel goujat, cet homme.

— Je suis ravie de voir qu’il ne te mettra pas dans son lit. Cet homme n’a aucune gêne, mais… il est plutôt drôle.

— Oh, il lui manque un bras mais il n’est pas vilain non plus. Moins beau que votre tuteur, mais il a du charme. Babeth est folle amoureuse, on dirait.

— Babeth est folle tout court… Comment peut-on tomber amoureuse en si peu de temps et s’offrir à un homme qui saute sur tout ce qui bouge ? grimacé-je en m’asseyant pour qu’elle me coiffe.

— Il en a peut-être une très grosse, pouffe ma domestique avant de se reprendre. Pardon Madame, c’est juste que c’est ce que nous nous disons, entre nous dans la maison.

— Et c’est censé tout faire ? Je veux dire… J’ai des doigts fins et je suis pourtant bien mauvaise en couture, alors… est-ce une garantie que les choses sont bien faites, d’en avoir une grosse ?

— Eh bien, ça ne fait pas tout mais ça aide à mieux ressentir les choses, je dirais. Vous… enfin, je ne devrais pas parler de ça avec vous…

— Je ne vois pas pourquoi. C’est totalement ridicule de laisser les femmes dans l’ignorance, soupiré-je en mettant le collier de perles de ma mère.

— Si vous le voulez, je vous raconterai mes expériences, mais je ne suis pas sûre que ce soit le meilleur moyen d’apprendre. Rien ne vaut la découverte en vrai.

— Il va m’être bien difficile de découvrir quoi que ce soit puisque Philippe ne me laisse même pas aller seule aux écuries, de peur que je fricote avec Léon, soupiré-je. Je n’ai pas le droit de faire la moindre expérience, rends-toi compte, si je n’étais pas pure pour mon futur époux… Quel drame !

— C’est important dans votre situation. Il ne faudrait pas que le château et nous tous qui y travaillons tombons dans les mains de n’importe qui parce que vous n’avez pas de prétendant…

— Le domaine ne devrait pas tomber dans les mains de quiconque, bon sang, il m’appartient et je n’ai besoin d’aucun homme pour s’en occuper à ma place, marmonné-je en repoussant sa main alors qu’elle sculptait une de mes boucles.

Je me lève en soupirant, agacée par cet échange qui, quand bien même a lieu avec une femme, se termine de la même façon que si je l’avais eu avec mon tuteur et j’apprécie moyennement cela.

Je quitte ma chambre sans un mot de plus et me poste en haut des marches, observant le bal des allers-retours du personnel. Le petit Marcus est relégué à sa chambre pour la soirée, tout comme sa grande sœur qui, pourtant, sort de sa chambre et me rejoint, non sans avoir observé les alentours, sans doute pour s’assurer que sa gouvernante n’est pas dans les parages.

— Ne fais pas cette tête, tu as bien le temps avant d’être obligée d’assister à ce genre d’événements. Estime-toi heureuse que ton père ne te cherche pas déjà un mari.

— Mais elles sont trop belles, les robes ! J’en veux une comme la tienne !

Un gloussement s’échappe d’entre mes lèvres tandis que je me place derrière elle et tire sur le tissu de sa robe de chambre pour lui donner un léger aperçu des joies du corset. Son père apparaît au rez-de-chaussée et je baisse d’un ton en la faisant reculer de quelques pas pour qu’il ne la repère pas.

— Les robes sont belles, mais elles sont tout sauf confortables. J’espère que certains invités savent faire du bouche-à-bouche parce que je risque d’en avoir besoin d’ici la fin de soirée.

— Et tu vas pouvoir danser, aussi. Tu m’apprendras ? Je ne connais que la valse pour l’instant… Enfin, je ne connais pas vraiment…

— Ton père ne te fait pas prendre de cours de danse ? m’étonné-je. Et ta gouvernante ne t’apprend pas ? Mon père me faisait parfois danser dans la salle de bal, lorsque les musiciens se préparaient avant un bal…

— Mon père ne s’occupe pas beaucoup de nous, non… Mais il a promis que ça changerait ici et je le crois. Tu m’apprendras, toi ? redemande-t-elle.

— Je ne suis pas professeure de danse, mais… j’imagine que je pourrai te montrer quelques pas, oui. Je suis sûre que Marcus se fera un plaisir de se joindre à nous, souris-je. File dans ta chambre, jeune demoiselle, il est l’heure pour moi de faire tourner ton père en bourrique !

Un sourire apparaît sur ses lèvres alors qu’elle fait demi-tour et regagne ses quartiers. Je dois avouer que j’ai trouvé chez Jeanne une jeune alliée de poids. Cette demoiselle est intelligente et, malgré ses onze ans, déjà ouverte d’esprit. Bien loin de ce que son père laisse à voir, il semble qu’elle pourrait aisément remettre tout en question et cela risque de gravement nuire à la santé mentale de son paternel.

Je descends les marches en marbre qui m’amènent dans le hall et me faufile dans le couloir jusqu’à la salle de bal, où Augustin et Thérèse ont fait des miracles. Certaines tentures abîmées ont été changées ou réparées, les lustres scintillent autant que les divers tableaux accrochés aux murs, le sol en bois brille de mille feux, prêt à accueillir les danseurs. Et mon tuteur est très élégant dans son costume sombre qui dénote avec son visage légèrement rougi par le stress de cet événement, comme s’il jouait sa vie sur ce bal. Je ne sais d’ailleurs pas si cela me donne envie de faire n’importe quoi ou plutôt de me tenir à carreau.

— Dites-moi, Monsieur, l’interpellé-je alors qu’il ordonne à l’un des domestiques d’aligner les fauteuils, avez-vous pris le temps d’apprécier les lieux ? Je crois qu’il vous faut vous détendre au plus vite sous peine de faire une syncope.

— Il faut que tout soit parfait, je suis très exigeant. En parlant de perfection, vous l’êtes presque ce soir. Vos prétendants vont apprécier.

— Grand bien leur fasse, mais… venez-vous de me faire un compliment ? Quand bien même il s’agit, encore et toujours, d’un compliment sur mon physique, je prends et je vous en remercie.

Il ne répond pas tout de suite mais son regard appréciateur parle pour lui.

— Vous n’aimez pas les compliments ? Vous allez en avoir de nombreux ce soir, j’en suis certain.

— Oh je n’en doute pas. On va me dire combien ma toilette est magnifique, combien je ressemble à ma mère, comme je suis belle et désirable, mais aucun de ces prétendants ne prendra le temps d’apprendre à me connaître, moi. Aucun d’eux ne saura combien je déteste jouer la demoiselle sage et bien éduquée, combien il m’est difficile de ne pas leur dire que je suis autre chose qu’une paire de seins et un ventre pour engendrer leur descendance. A quel point je hais n’être qu’une femme et n’avoir aucun droit. Mais pourquoi s’y intéresseraient-ils après tout ?

— En effet, pourquoi devraient-il s’y intéresser ? Mais vous vous trompez. Avec votre caractère et votre détermination, vous allez effrayer les moins valeureux. Une sélection naturelle va s’opérer. Il ne restera que les meilleurs, vous verrez, vous allez trouver chaussure à votre pied.

— Si vous le dites… Et vous, est-ce que je vous effraie ? l’interrogé-je, un sourire en coin aux lèvres, tandis que je lisse le pan de sa veste.

— Moins que l’Empereur, me répond-il en se reculant un peu tout de même.

— Ne me sous-estimez pas, vous risqueriez de le regretter, mon cher, soufflé-je en le gratifiant d’une révérence appuyée. J’ose espérer que vous n’êtes pas trop rouillé, il est de rigueur que les hôtes ouvrent le bal, alors gardez-moi votre première danse.

Je m’éloigne pour rejoindre la cuisine où Thérèse est affairée aux derniers préparatifs. Voir à nouveau la maison en effervescence me donne un peu l’impression qu’elle revit et mes parents avec. Je ne sais pas si j’aime ce que je ressens, entre excitation de vivre cette soirée et mélancolie de ne pas les avoir à mes côtés. Est-ce que mon père comptait me marier pour conclure un accord commercial intéressant ? Ou m’aurait-il laissée tomber amoureuse et épouser un homme qui me plaît réellement ? La question ne se pose pas vraiment, en définitive, puisqu’il n’est pas là et que l’objectif de ce bal est de me trouver un époux, ou tout du moins montrer à la noblesse que je suis prête à être mariée.

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