Chapitre 14

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A la queue leu leu

Rose

Je me penche légèrement pour gratifier mon partenaire de danse d’une révérence et m’éloigne sans plus attendre en priant pour ne pas être interceptée. J’ai besoin de prendre l’air, de reprendre mes esprits et d’analyser mes émotions.

Je ne sais trop par quel miracle je parviens à éviter les quelques hommes apparemment décidés à m’inviter à danser. Je passe derrière plusieurs femmes occupées à discuter entre elles, bifurque lorsqu’un homme d’un certain âge se plante devant moi et j’atteins finalement la terrasse. J’inspire profondément l’air frais, gonflant mes poumons avec un plaisir certain. Les fleurs odorantes qui bordent la terrasse m’apaisent et me rassurent, un peu comme si ma mère et son amour pour le jardinage étaient dans les parages. Si seulement…

Je ne suis pas sûre de pouvoir gérer tout ceci. Il est évident que nombre d’hommes sont ici pour me faire la cour… et je ne suis pas certaine de pouvoir rester polie et disciplinée. De même, j’ignore quel type de réaction je pourrais avoir avec un homme trop entreprenant. Sans parler de mes émotions en dansant avec Philippe. J’ai un peu trop apprécié le moment, je me suis un peu trop lâchée. Jusqu’à présent, je mettais un point d’honneur à le provoquer et ne pas lui montrer qui je suis réellement, je n’ai imposé aucune barrière durant ces quelques minutes de valse.

— Permettez que je vous dérange un instant ?

Je sursaute et me retourne vivement, la main posée sur mon cœur. L’homme qui me fait face doit avoir plus de trente ans et son regard vogue de mon visage à ma poitrine comme s’il évaluait la qualité athlétique d’une jument, me donnant instantanément la nausée même si je me retiens de montrer quoi que ce soit. Je plaque un sourire sur mes lèvres et glousse comme une jeune fille un peu niaise.

— Vous m’avez fait peur. Puis-je savoir à qui j’ai affaire ?

— Vous ne me remettez pas ? Je suis pourtant votre voisin ! Les cerises quand vous étiez petite, vous devez vous en souvenir, n’est-ce pas ? me demande-t-il toujours sans vraiment se présenter.

— Ah oui, les cerises ! Permettez que je vous appelle monsieur Cerise alors, parce que c’est tout ce dont je me souviens, malheureusement.

— Ah mais quel humour ! Je vous adore déjà ! J’ai l’impression de retrouver la complicité qui nous liait quand vous étiez petite ! Je suis le vicomte d’Estampuis. Victor pour vous si vous le souhaitez. Une danse plus tard, peut-être ?

N’y a-t-il que moi qui trouve que tous ces hommes qui m’ont connue enfant et cherchent potentiellement à m’épouser sont tordus et écoeurants ? Parce que c’est vraiment compliqué pour moi de me projeter quand ils ont un certain âge et ne semblent intéressés que par ma poitrine et mon domaine.

— Volontiers, si vous voulez bien m’accorder quelques minutes pour me remettre de cette valse rythmée…

— Bien entendu, très chère Rose. Je reviens vous voir dans quelques instants.

J’ose espérer pouvoir m’échapper avant qu’il ne revienne à la charge, mais j’ai à peine le temps de m’asseoir sur un banc qu’un autre homme se présente à moi et m’offre une révérence et un baise-main qui m’obligent à garder une attitude guindée que j’aurais appréciée abandonner durant quelques temps.

— Pitié, épargnez-moi un peu ces mondanités, lancé-je sans me départir de mon sourire. Du naturel ne fera de mal à personne.

— Bien, Madame. Je suis venu vous demander l’honneur d’une danse ce soir. Comme vous, je suis de retour d’exil et il me semble que nous avons beaucoup de points communs dont nous pourrions échanger. Je m’appelle Jean du Mercantois. Pour vous servir, Madame, conclut-il de ce ton pédant qui a tendance à m’horripiler quand il est à ce point forcé.

— Mademoiselle. Est-il utile de vous rappeler que je ne suis encore qu’une jeune fille sous la tutelle de monsieur Maynard et suis encore loin d’être considérée comme une dame ?

— Mais pourtant, vous avez tout d’une grande… dame !

— Vous me flattez, gloussé-je en forçant mon amusement, mais mon tuteur ne serait pas d’accord avec vous.

— Eh bien, si vous le souhaitez, je peux vous libérer de votre tuteur. Cet homme horrible n’est même pas de notre monde ! A votre service, comme je vous l’ai dit, Mademoiselle.

— C’est bien aimable, mais je prends pour le moment un malin plaisir à taquiner monsieur Maynard, rétorqué-je avec moins de chaleur que prévu dans la voix.

Sa condescendance m’agace prodigieusement. S’il se sent supérieur, grand bien lui fasse. Cependant, je déteste ce genre de personnages.

— Messire, si vous en avez terminé avec Rose, j’aimerais l’inviter à danser. C’est un bal, ici, pas un salon de thé. Les discussions, ce n’est pas le moment ! Que diantre, vous m’avez l’air bien empoté ! Faut-il vous apprendre comment on parle à une jeune femme ?

Une partie de moi meurt d’envie de rire aux éclats, mais je n’offre qu’un petit sourire amusé en glissant ma main dans la sienne après m’être levée. Je ne saurais dire si j’ai le sentiment d’avoir été sauvée ou si, au vu du comportement de l’ami de Philippe, je me jette dans la gueule du loup. S’il pense que je vais avoir le lever de jambe facile comme quelques-unes des femmes du domaine, il rêve profondément.

— Je vous prie de m’excuser, soufflé-je poliment.

Je ne me fais malgré tout pas prier pour regagner la salle de bal et me retrouve rapidement guidée sur un rigaudon rapide. Louis se montre un excellent danseur au rythme assuré. Bien que l’usage des deux mains ne soit pas une obligation, il est toujours plus aisé d’avoir de l’équilibre et une certaine prestance avec tous ses membres. Pour autant, Louis est à l’aise, ne manque aucun pas et se montre prévenant et souriant.

— Philippe est-il d’accord pour que vous m’empêchiez de discuter avec tous ces hommes ? lui demandé-je lorsque nous nous retrouvons au centre de la pièce, main dans la main.

— Eh bien, vu la tête du dernier qui vous courtisait, je me suis dit que moi aussi, je devais prendre ma chance ! Et au moins, ça vous fait une pause de tous ces courtisans imbus d’eux-mêmes et qui, je suis prêt à mettre le bras qui me reste en jeu, ne m’arrivent pas à la cheville pour donner du plaisir à une dame ! Vous pouvez me remercier d’un simple baiser, ajoute-t-il avec un sourire complice, cela calmerait certains et me permettrait de faire de jolis rêves.

J’éclate d’un rire bruyant et absolument pas contrôlé à ses propos. Son culot et sa légèreté sont plus que rafraîchissants.

— C’est une mauvaise idée. Philippe nous achèverait tous les deux.

— Ah mais si c’est après vous avoir eue dans mes bras, je pourrai mourir en ayant eu l’assurance d’avoir connu le meilleur ! Mais c’est vrai, il ne faut pas le fâcher, j’espère que ce petit interlude vous aura divertie, au moins. Bon courage pour la suite, Rose. Je vous ai fait gagner quelques précieuses minutes et, je le répète, cela mérite au moins un baiser !

Je lève les yeux au ciel en secouant la tête, amusée. Cet amusement croît encore lorsque mon regard tombe sur celui, agacé, de mon tuteur. Au lieu d’effectuer une petite révérence, j’approche de Louis et me hisse sur la pointe des pieds pour poser mes lèvres sur sa joue durant quelques secondes.

— Merci. Cette pause était très agréable.

J’ai à peine le temps de faire quelques pas qu’un nouveau prétendant me fait me stopper. Ma surprise est de taille, si bien que je n’ai pas le réflexe de la masquer, lorsque je croise ces yeux bleus cernés de longs cils que j’ai déjà aperçus. Mon cerveau se met en branle pour retrouver le nom de notre invité tandis qu’il se penche légèrement et frôle le dos de ma main de ses lèvres.

— Quelle surprise de vous voir ici. Edouard, si je ne m’abuse ? J’ai une très mauvaise mémoire des noms, ne m’en veuillez pas, je vous en prie.

— C’est bien ça, Rose, jolie fleur de Valois. Moi qui pensais que les bouffons n’étaient plus à la mode, je constate qu’ils s’en sortent toujours bien auprès des jolies femmes, ajoute-t-il en souriant tandis que Louis s’éloigne de nous pour aller essayer de dérider mon tuteur. Vous avez besoin d’une petite pause ou bien puis-je vous demander votre prochaine danse ? Cela me ferait grandement plaisir et nous permettrait de faire un peu plus connaissance. Mon père disait toujours qu’on apprend plus en une danse qu’en dix années de vie commune.

J’acquiesce et prends place sur la piste, posant ma main dans la sienne lorsqu’il fait de même. J’hésite sur la conduite à tenir. Notre rencontre à l’auberge m’a plu, mais ces retrouvailles me laissent un sentiment mitigé. Cette façon de considérer les gens ne me plaît pas, c’est un fait, et j’ai bien conscience que ce sont des idées partagées par la noblesse, malheureusement.

— Vous apprendrez donc, durant ces quelques minutes de danse, que j’ai été élevée à respecter tout être vivant, peu importe ses ancêtres ou sa classe sociale, Edouard de Quincampoux. Aussi, il n’y a aucun bouffon chez moi, juste des hommes et des femmes, certains travaillant, d’autres invités, annoncé-je avec politesse.

— Oh, je ne me moquais pas, j’étais admiratif de sa capacité à vous soutirer un baiser. C’est un talent que je n’ai pas, malheureusement, j’avoue que vous arrivez à me faire perdre tous mes moyens… Et dans ma famille, les Quincampoix, me corrige-t-il en souriant avec honnêteté, on a ce même respect de l’autre et nous avons toujours traité tout le monde le mieux possible. Cela ne nous a pas préservés pendant la Révolution, mais que faire face à cette marée humaine qui s’est levée contre tous ces privilèges dont les pires d’entre nous ont abusé ? Merci pour la danse, en tout cas, cela réchauffe mon coeur et je sais d’ores et déjà que la soirée aura été parfaite.

Je me retiens de lever les yeux au ciel et poursuis la chorégraphie avec un sourire vissé sur le visage. Je ne sais pas trop s’il cherche à marquer des points ou s’il est totalement honnête avec moi, toujours est-il que sa compagnie est suffisamment agréable pour que je prolonge le moment en l’accompagnant au buffet après avoir partagé une seconde danse en sa compagnie qui m’a, malheureusement, obligée à passer de bras en bras à certains moments.

Bien que mes échanges avec Edouard soient des plus agréables, j’avoue apprécier encore davantage les regards agacés de Philippe lorsque je refuse une danse à l’un des célibataires du coin en recherche de chair fraîche… Je crois que je pourrais faire ça tous les jours, rien que pour la satisfaction ressentie à l’énervement croissant qu’il semble éprouver. Je ne sais pas si je pourrais m’entendre avec Edouard sur le long terme, mais nous discutons de tout et de rien et, pour un moment, je ne me sens pas courtisée outre-mesure car il ne se montre ni rustre ni lourd, si bien que je ne vois pas la fin de soirée passer. Je suis presque déçue de devoir mettre un terme à notre échange, d’ailleurs, même si j’avoue avoir hâte de me retrouver seule et d’ôter tous ces artifices. Finalement, la soirée a été plaisante, je le reconnais.

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