Chapitre 17

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Le gamin divertissant

Philippe

Malgré les douleurs que je ressens à la jambe, j’ai décidé de profiter de ma matinée pour faire un tour du domaine et m’assurer que tout ce que j’ai lancé pour retrouver un fonctionnement normal a été mis en place. J’ai essayé de convaincre Louis de m’accompagner mais il m’a dit être trop occupé. A quoi ? Je ne sais pas trop, je n’ai pas posé de question, ne voulant pas me retrouver dans une situation où je serais obligé d’intervenir, mais c’est reculer pour mieux sauter. A mon avis, il va encore aller trousser Babeth, la fille d’Augustin. D’ici à ce qu’il l’engrosse…

Alors que je presse l’allure de ma monture pour me rendre sur un des champs du domaine, j’essaie de sortir mon ami de mes pensées pour me concentrer sur la tâche qui m’incombe désormais : redonner à la propriété des Valois tout ce qui faisait sa prospérité par le passé.

Je me souviens de tout ce que Charles a fait pour moi quand j’étais petit et cela me motive à faire de mon mieux, que ce soit pour le domaine ou pour sa fille. Rose, quoi que je fasse, où que je sois dans le château, je pense beaucoup à elle. Et pas que parce qu’une partie de ma mission est de lui trouver un mari. Pour ça, tout est prévu et dès cet après-midi, nous avons rendez-vous avec un premier prétendant. J’ai accepté de le recevoir avec son père qui a insisté pour qu’on les rencontre. Au moins, ce Guillaume a l’âge de Rose, elle ne devrait pas être trop dans le refus de lui parler parce qu’il est trop vieux. La jeune femme a un fort caractère et un charme fou et je ne peux m’empêcher de penser souvent à ces danses que nous avons partagées lors du bal, à ces sourires échangés dans notre quotidien, à ses piques acérées dès qu’elle affirme son caractère.

Comme d’habitude quand mes pensées se dirigent vers ma pupille, je ne vois pas le temps passer et je suis surpris quand mon cheval s’arrête et qu’un paysan se redresse, sa fourche à la main, pour me regarder.

— Bonjour, Citoyen. Je vois que mes demandes vous sont parvenues. Tout se passe bien ? Tu penses que vous allez rattraper le retard ou que ça va être difficile ?

— Bonjour Monsieur Maynard. Tout va bien, on est nombreux et ça devrait aller. Après, tout dépend du temps qu’il va faire. Avant la Révolution, j’aurais ajouté que ça dépend aussi de la grâce divine, mais de nos jours, on ne sait plus à quel saint se vouer.

Je grimace un peu en l’entendant parler de saints mais me dis que c’est normal vu son côté paysan. La Révolution n’a pas encore changé toute la société.

— Et niveau salaire, ce que je vous ai proposé vous va, à toi et tes compagnons ?

— Bien entendu, sinon nous ne serions pas là. C’est à la fois généreux mais raisonnable. Si ça pousse, tu feras un beau profit. Le pari est risqué mais avec un peu de chance, ça devrait bien se passer.

Je souris et me dis qu’il a bien compris mon idée. On est un peu en retard pour ce qui est semis, mais ce n’est pas non plus catastrophique. Avec justement un peu d’aide côté climat, ça pourrait nous donner de belles récoltes. Nous échangeons encore quelques instants et je comprends qu’il est content de voir le domaine revivre car il avait toujours eu de l’estime pour Charles. Je poursuis ensuite mon petit tour et rentre juste avant le dîner que je prends ce midi seul dans ma suite, avant de descendre dans le salon pour y attendre nos invités.

Alors que je suis perdu dans mes pensées et mes réflexions sur ce que je dois encore faire pour essayer de redonner tout son lustre au domaine, j’entends un petit coup donné sur la porte qui s’ouvre, laissant apparaître Rose qui a revêtu une splendide robe dont le le décolleté est encore renversant.

— Bonjour, Rose. Votre ponctualité vous honore. Et vous êtes ravissante encore, aujourd’hui. Je suis content de voir que vous ne prenez pas ces rendez-vous à la légère.

— Ai-je vraiment le choix ? Même Louis m’a rappelé ce rendez-vous lorsque je l’ai croisé… tout comme votre charmante gouvernante.

— Louis était avec Aimée ? demandé-je, surpris. Il n’était pas avec Babeth ?

— Comment ? Mais non enfin, vous extrapolez, je n’ai jamais dit qu’Aimée et Louis étaient ensemble. Pourquoi, vous préférez garder la gouvernante rien que pour vous ?

— Ah non, du tout, Aimée ne m’intéresse pas, en tout cas dans ce que vous impliquez. J’avais mal compris vos propos, c’est tout. Vous allez vous montrer moins incisive avec nos hôtes, j’espère ?

— Me posez-vous réellement cette question ? rit-elle. Nous verrons. Avez-vous demandé à Thérèse de faire des petits gâteaux et de préparer du thé ? Je compte bien prendre quelques kilos avant le mariage pour vérifier l’intérêt de tous ces hommes.

— Oui, elle nous les amènera dès que Guillaume et son père arrivent. Et je ne doute pas de l’intérêt de vos prétendants devant vos charmes. Cette robe vous va à ravir.

— Evidemment, puisque vous avez fait en sorte que mes toilettes fassent ressortir mes atouts, grimace-t-elle en baissant les yeux sur sa poitrine.

— Comme dans tout ce que j’entreprends, j’essaie de faire de mon mieux pour parvenir au résultat que je vise. Je n’aime pas échouer, vous savez. Vous êtes parfaite, en tout cas, souligné-je en l’invitant à s’installer sur le fauteuil près de moi tandis que des chevaux arrivent devant le château.

— Ne me mettez pas au défi de vous faire échouer, j’aime ce genre de challenge, sourit-elle en s’asseyant.

Je préfère ne pas répondre et nous nous observons l’un, l’autre, en silence mais sans gêne, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Quelques instants après, Thérèse arrive et introduit dans le salon un jeune homme qu’on dirait à peine sorti de l’adolescence et son père, un individu bedonnant mais qui semble habitué à diriger et commander. C’est clairement un ancien militaire et je me dis que cela peut aider dans nos échanges, en raison de ces expériences que l’on a en commun. Son fils a l’air timide et n’ose même pas s’avancer sans avoir l’accord de son père.

— Messire Guillaume, enchanté de faire votre connaissance, le salué-je. Messire de Clairmarais, un honneur de vous recevoir au domaine. Je vous présente Rose de Valois, la propriétaire de ces lieux où nous nous trouvons.

L’intéressée fait une petite révérence polie et les présentations sont faites rapidement. Les échanges se concentrent d’abord sur l’état des chemins, le temps qu’il fait et d’autres banalités, mais dès que Thérèse nous laisse après avoir déposé de magnifiques tartes à la rhubarbe, le colonel de Clairmarais attaque et prend la parole.

— Guillaume est un jeune homme posé et réfléchi, très mature pour son âge et conscient des responsabilités qui incombent à un homme. Je suis certain qu’il pourrait très bien s‘entendre avec la vicomtesse.

Le jeune homme semble pourtant loin de ce que nous présente son paternel. Il est tout rouge, présente encore des traces d’acné juvénile sur son visage imberbe et on dirait qu’il veut se cacher derrière les coussins du canapé sur lequel il s’est assis.

— Vous n’avez encore rien dit, Guillaume, l’interpellé-je, sous le regard amusé de son éventuelle promise. Vous souhaitez réellement épouser Rose ou bien vous n’êtes là que parce que votre père vous l’a demandé ?

— Euh… je veux l’épouser, oui, bégaie-t-il avant que le militaire ne reprenne la parole d’un ton affirmé.

— Peut-être pourrions-nous les laisser échanger tous les deux ? J’en conviens, mon fils peut se montrer assez réservé dans certaines circonstances et ce rendez-vous le rend nerveux. Je suis sûr que lui permettre de discuter avec Rose ne pourra que leur être bénéfique.

— Cela vous convient, Rose ? Vous pouvez emmener Guillaume dans le bureau, peut-être.

— Nous nous contenterons du jardin d’hiver, plus agréable et surtout à la portée de votre vue, Monsieur. Je n’aimerais pas que nous soyons accusés de quoi que ce soit de compromettant en restant seuls, me lance Rose en se levant.

Vu la rougeur et la confusion de Guillaume, j’avoue que cette idée ne m’était même pas passée en tête. Elle a raison cependant et je les regarde sortir en m’amusant de voir que le jeune homme n’arrive pas à la regarder en face, les yeux fixés sur la naissance de la poitrine de Rose. Ce n’est pas gagné.

Suite au départ des jeunes gens que nous observons du coin de l'œil en discutant, nous en arrivons vite à échanger nos souvenirs militaires. Le colonel est particulièrement intéressé par la bataille d’Austerlitz et la stratégie adoptée par l’Empereur pour l’emporter avec brio. Je réponds à ses questions et constate que Rose semble prendre un malin plaisir à mener Guillaume par le bout du nez. Ou plutôt des fesses car il la suit comme un petit chien alors qu’elle déambule et fait de grands gestes tandis qu’il semble emprunté et maladroit. Lorsqu’ils nous rejoignent, ils ne font aucun commentaire mais à peine ont-ils pris congés que Rose éclate de rire et m’interpelle en prenant place sur le canapé où était notre jeune invité il y a peu.

— Je crois que si vous me présentez ce genre de garçons, je vais vraiment beaucoup m’amuser à ces rendez-vous ! Quel divertissement !

— Comment ça, quel divertissement ? Il vous plaît, finalement ? la questionné-je sans comprendre où elle veut en venir.

— Certainement pas ! Pour une petite heure, c’est un plaisir, mais pour la vie, ayez pitié, épargnez-moi !

— Que s’est-il passé dans le jardin ? Il a été aussi pathétique qu’en présence de son père ? Pauvre garçon, s’il savait comme votre entrevue vous met dans une telle hilarité…

— Pathétique est presque un mot gentil… Mon Dieu, ce garçon est… niais, peu dégourdi et surtout totalement inintéressant, je n’y peux rien, moi ! Un garçon de mon âge, pourquoi pas, mais avec une vraie maturité, de la conversation, de la culture ! Le concernant… je n’ai même pas les mots.

— A ce point-là ? rigolé-je. L’éducation militaire ne lui aurait donc pas réussi ? Son père a affirmé qu’il était mature pour son âge, pourtant. Est-ce que vous impliquez qu’on m’aurait menti ? En prenant quelqu’un de votre âge, je pensais avoir fait le bon choix pour ces rencontres arrangées

— Il faut croire que j’ai besoin d’autre chose que d’un garçon. Soit vous me trouvez un garçon avec… tout ce que n’a pas ce Guillaume, soit vous me trouvez un homme, un vrai, capable de ne pas me prendre pour une plante verte malgré son âge. J’allais dire un homme comme vous, mais sans les idées très rétrogades de la femme, vous voyez ? Plutôt agréable à regarder, pas stupide, avec du caractère et un instinct de protection. Il me faut du répondant mais de la douceur aussi. Je n’aimerais pas que ce soit la guerre au domaine.

Je ne sais pas quoi répondre à ça. Elle aimerait vraiment un homme comme moi ? C’est plutôt agréable à entendre, même si elle y a ajouté des petites piques. J’avoue que ça me touche qu’elle m’estime assez pour se servir de moi comme étalon de comparaison dans ses recherches. Par contre, ça n’augure rien de bon pour le rendez-vous de demain. En attendant, elle me fait une petite révérence et s’éclipse sans attendre de retour de ma part, laissant derrière elle ce parfum fruité qui m’enchante à chaque fois que je croise son chemin.

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