Chapitre 18
Il est riche, mais quand même…
Rose
— Il était plutôt joli garçon, non ?
La brosse que je passais dans les longs cheveux bruns de Jeanne s’immobilise tandis que son petit frère, Marcus, grimace en faisant rouler le vieux train en bois de mon père sur le parquet. Je soupire et reprends ma tâche en jetant un regard par la fenêtre qui donne sur l’avant de la maison. Il est certain que Guillaume était plutôt beau garçon… Si seulement cela suffisait.
— La beauté physique se fane avec les années, ce n’est pas l’essentiel.
— Tu dis ça parce que tu es très belle.
— Je dis cela parce que c’est la vérité. Regarde, Thérèse, par exemple. C’était une jeune femme tellement belle que son mari a dû se battre pour qu’elle l’épouse… et aujourd’hui ? Son visage n’est plus aussi lisse, ses cheveux blanchissent, sa peau se fripe… Les années sont cruelles avec un joli visage et un corps attrayant, alors qu’un esprit s’améliore jour après jour, il évolue et j’ose espérer qu’il se bonifie avec le temps, s’il n’est pas parasité par des idées stupides.
— D’accord… Alors, ton prétendant avait-il un bel esprit ?
Un gloussement m’échappe et ses yeux se lèvent dans le miroir pour croiser les miens. Aucun mot n’est utile, Jeanne comprend ce que j’ai bien pu penser de Guillaume. Non, ce jeune homme n’est définitivement pas fait pour moi. Oh, je ne doute pas que je pourrais faire ce que je veux de mes journées, il m’a semblé évident qu’il n’avait pas les épaules pour me gérer, mais passer ma vie avec lui ? Je m’ennuierais à mourir, c’est certain !
Nos babillages s’arrêtent lorsque nous entendons une carriole et ses chevaux approcher. Je m’approche davantage de la fenêtre tandis que Marcus monte sur la chaise que Jeanne a abandonnée pour faire comme moi. Nous observons un noble sortir de la voiture et s’étirer après avoir ôté son chapeau. Je poursuis mon observation en espérant voir sortir un autre homme, mais ce n’est absolument pas le cas et je grimace en me disant que tenir ce discours à la jeune fille concernant la beauté physique est une chose, mais je ne suis pas sûre de pouvoir envisager de vivre avec un homme qui ne me plaît pas du tout physiquement parlant. Sans compter que celui qui entre chez moi à cet instant doit certainement avoir le double de mon âge et ne présente pas vraiment comme un homme qui prend soin de lui.
J’entends Philippe m’appeler et hésite un instant à prendre l’escalier des domestiques pour fuir au plus vite les lieux. Finalement, Guillaume est peut-être un prétendant à envisager sérieusement. Au moins, il est agréable à regarder.
— Soyez sages et n’oubliez pas que Thérèse vous attend pour aller jardiner avec Aimée.
Je descends les escaliers après avoir remonté le corset de ma robe pour tenter de diminuer un peu le décolleté. Philippe est déjà au salon et je suis à deux doigts de faire une prière pour que l’homme qui l’accompagne ne soit que le représentant de son fils ou son neveu, tout mais pas lui. J’entre au salon en le détaillant. Ses cheveux grisonnants sont gras et il tient un mouchoir taché qui lui sert à éponger son front luisant. Il est engoncé dans sa chemise d’un blanc passé et j’ai déjà vu plus de peau que je ne l’aurais dû entre les boutons qui menacent de lâcher.
Les deux hommes se lèvent à mon approche et je me contrains à faire une révérence avant de m’installer aux côtés de mon tuteur qui me jette un regard avant de faire les présentations.
— Rose, laissez-moi vous présenter Auguste d’Orléans. Auguste fait partie de la famille du roi de France ! m’informe Philippe, visiblement impressionné. Et même s’il n’est pas venu au bal en raison d’une douleur au ventre, il était vivement intéressé pour vous rencontrer !
— La famille du roi de France, rien que cela ? Et vous vivez par ici ?
— Enchanté, chère Vicomtesse. Vous êtes aussi délicieuse que votre réputation le laissait entendre ! Un vrai plaisir de faire votre connaissance ! Mon domaine est de l’autre côté de Paris, ce n’est pas très loin. Et vous m’avez l’air d’avoir de larges hanches, c’est bien pour enfanter.
Je lance un regard entendu à Philippe. Je déteste ce genre de remarques tout autant qu’un regard lubrique sur ma poitrine.
— Vous pensez ? le questionné-je. Mais à votre âge, êtes-vous encore capable de faire des enfants ?
— Messire d’Orléans n’est pas si vieux que ça, me réprimande doucement mon tuteur. Il vient juste d’avoir cinquante ans !
— Et je vous assure que j’ai encore tout ce qu’il faut pour vous faire grimper aux rideaux, chère Vicomtesse. Surtout quand je fais face à une aussi jolie créature que vous.
Mon regard se porte à nouveau sur mon tuteur. J’attends qu’il intervienne pour réprimander l’homme d’avoir ce genre de propos devant moi, mais il ne dit rien et j’ai l’impression que le simple fait que cet Auguste ait étalé ses sous sous son nez a suffi à l’amadouer.
— Me faire grimper aux rideaux ? Je vous demande pardon ?
— Calmez-vous, Rose. Messire d’Orléans peut se permettre un peu de familiarité, il ne vous veut pas de mal. Et puis, vu sa fortune, c’est un beau parti. Avec son argent, m’informe-t-il comme s’il s’adressait à une gamine, le domaine pourrait à nouveau rayonner.
— Et donc, je dois m’écraser et le laisser me parler comme votre ami Louis parle à Babeth ? Quoi d’autre ? Souhaitez-vous que je me déshabille dès maintenant pour nous assurer les bonnes grâces de Messire d’Orléans ? Ou dois-je m’agenouiller devant lui ? Quelle est la prochaine étape pour vous assurer que Messire d’Orléans revienne avec une demande en mariage, dites-moi ?
— Rose, maîtrisez votre langage et ne soyez donc pas impertinente ! Où est passez votre éducation ? Je suis désolé, continue Philippe en se tournant vers le bellâtre. Je crois qu’elle doit avoir une indigestion ou que c’est cette période du mois où elle est indisposée, cette attitude ne lui ressemble pas du tout.
— Ne vous inquiétez pas, j’ai l’habitude des jeunes femmes un peu rétives. Une fois le mariage consommé, elle se pliera à mes volontés, je n’en doute pas.
— Combien en avez-vous épousées pour prétendre savoir comment je pourrais me comporter après un hypothétique mariage qui, soyons clairs, n’aura pas lieu ? lui demandé-je sans me démonter, ignorant le grognement de mon tuteur, visiblement contrarié.
— Mademoiselle de Valois, je n’ai eu que deux épouses ! Mais je ne compte plus les partenaires de jeu, c’est de ça dont je voulais parler. Je suis un homme, il est bien normal que je laisse libre cours à mes envies lorsque le désir est là.
— Et le mariage aura lieu si je le décide, je vous le rappelle, Rose, grogne Philippe, visiblement courroucé et qui se maîtrise malgré sa colère sourde.
— Prévoyez une date de mariage avec cet homme et je vous assure que je cours m’encanailler avec le premier paysan venu, le menacé-je en le fusillant du regard. Sérieusement ? C’est ce genre d’hommes deux fois plus âgés que moi que vous allez me présenter ? L’argent est donc tout ce qui compte pour vous, au point de me marier de force à un vieux vicieux irrespectueux ?
— Moi ? Vicieux ? Mais en quoi vous ai-je manqué de respect, petite impertinente que vous êtes ? C’est la fessée que vous méritez !
— Messire d’Orléans, je vous en prie, n’écoutez pas ces propos qui n’ont aucun sens, bafouille Philippe qui voit la situation lui échapper.
— La fessée ? m’esclaffé-je, en en rajoutant ouvertement. J’avais donc raison sur le fait que je finirais sans ma toilette dès à présent pour satisfaire Messire et nous assurer ses bonnes grâces ! Vous pouvez rêver, mon cher, c’est hors de question.
— Si ce n’est pas lui qui vous met la fessée, ce sera moi ! Messire d’Orléans a raison, vous êtes d’une impertinence folle ! Je ne vous reconnais pas, là !
— Me reconnaître ? Mais vous ne me connaissez pas, monsieur Maynard, sinon jamais vous n’envisageriez de me faire épouser cet homme, cinglé-je en me levant. Vous pouvez penser ce que vous voulez de moi, messieurs, je ne suis pas désolée de vous décevoir. Ne comptez pas sur moi pour vous laisser me punir de la sorte, mais peut-être pourriez-vous, Philippe, vous mettre à genoux à ma place étant donné que vous semblez très attaché à lécher les bottes de Messire d’Orléans. Je vous laisse toute l’intimité nécessaire pour cela si vous le souhaitez.
Je leur offre mon plus beau sourire et une révérence tandis que je vois Philippe fulminer. J’ai bien peur de l’avoir poussé à bout, aussi je me dépêche de quitter la pièce et manque de percuter Thérèse et son plateau de thé au passage. Je quitte la maison et cours me réfugier dans le jardin des fleurs que ma mère entretenait avant la Révolution. J’ai commencé à y mettre de l’ordre avec l’aide d’Augustin et Léon, mais la tâche est lourde et fastidieuse. Autant le jardin d’hiver est comme avant, autant les allées de celui-ci laissent encore à désirer, mais j’aime m’y promener comme lorsque j’étais enfant. J’y trouvais souvent ma mère, à genoux, en train de planter des fleurs. Parfois, nous y passions l’après-midi, mon père occupé à lire à quelques pas pendant que je l’aidais dans ses plantations. J’ai l’impression que c’était dans une autre vie et je me demande ce qu’ils penseraient tous les deux de mon comportement. Il m’est cependant impossible d’imaginer me laisser faire, et encore moins pour finir mariée à un vieil homme qui a déjà consommé deux mariages et couché avec un nombre incalculable de femmes. Je préfère encore épouser Guillaume et vivre avec un homme sans intérêt plutôt que d’être obligée de concevoir avec cette horreur qui me répugne. J’ose espérer que Philippe va retrouver la raison. J’ai bien conscience que ma tante l’a appâté avec une jolie somme d’argent et que tout son intérêt est de me marier, mais je ne compte pas me laisser faire simplement pour qu’il ait un meilleur train de vie. Il s’agit de mon avenir, quand même !
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