III

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Gabrielle de son côté avait déjà compté et recompté plusieurs fois le nombre de blocs qui constituaient sa cellule. Elle avait testé la résistance de chaque pierre, en vain ! Elle ne s'en sortirait pas seule, cette fois encore : tous ses espoirs reposaient à nouveau sur son Amie.
Xena, je t'en prie, fais vite !
La pièce dotée d'un confort des plus spartiates ne comportait en tout et pour tout qu'un petit tabouret. Une ridicule ouverture sur le mur du fond faisait office de fenêtre et était pourvue de deux barreaux de fer forgé. La porte, quant à elle, semblait d'un bois des plus robustes apte à briser l'épaule la plus téméraire.
Elle détestait cet endroit qui la privait de sa liberté. Elle maudissait par dessus tout cet esprit perfide qui l'avait piégée. Elle s'en voulut d'avoir été si naïve et si prompte à se divertir, au détriment de toute prudence. Il n'avait pas été bien difficile de l'attirer au château ; il avait suffit de l'allécher avec une représentation théâtrale. Décidément elle n'avait rien appris et elle s'en rendait compte !
Elle avait pesté contre tout ce qui marche, rampe ou vole. Si les murs avaient eu des oreilles, ils auraient fait le vœux d'être sourds tant le débit de parole de la barde était torrentiel. Elle fut d'ailleurs rapidement gagnée par une soif peu commune qui aurait terrassé le premier quidam venu.
Xena ! ... que fais-tu ? ... j'ai confiance en toi ... je t'attends !

La jeune femme, s'adressant au plafond, entama un discours :

«  Hé ! oh ! ... tu m'entends ? ... je ne sais pas qui tu es mais je t'ordonne de me libérer, sur-le-champ !
On voit bien que tu ne sais pas à qui tu as affaire ! Tu vas le regretter, tu peux me croire ! »

L'aède inspirée faisait les cents pas pendant son laïus, et menaçait l'air de son doigt pour appuyer ses propos.

« Tu connais Xena n 'est-ce pas ? ... La terrrrible princesse guerrière !
Voilà à qui tu viens de t'attaquer, tout simplement !
Figure-toi que je suis son Amie ! Et je ne voudrais pas être dans tes bottes quand elle s'occupera de toi. »

Gabrielle fit volte-face, comme pour surprendre quelqu'un, au cas où ...

« Il est encore temps de sauver ta tête tu sais ? Libère-moi ! Et je plaiderai ta cause. »

La barde tendit l'oreille, espérant une réponse. Le silence qui suivit la fit sourire.
Elle prit une longue inspiration avant de poursuivre :

« Je sais que c 'est difficile pour toi ... tu viens de te rendre compte de ton erreur !
Ce n'est pas grave tu sais ! Tout le monde peut se tromper ! Moi-même cela m'arrive souvent !
Toute cette histoire restera entre nous ! Je dirais à Xena que tout ceci n'était qu'un simple malentendu !! »

(…)

« Hé oh ! Tu m'entends ? »

Je sais que tu es là, je le sens ! Pensa-t-elle.

« Bon attend, j'ai une meilleure idée ... si tu me ramènes toi-même auprès de ma princesse, je lui dirais que je me suis perdue et, que dans ta grande bonté, tu as tenu à me raccompagner en personne ! Les routes sont beaucoup trop dangereuses de nos jours ! Je ferai une ode à ton courage et nous prendrons un bon repas entre amis ! Qu'en penses-tu ? »

L'aède était volubile et semblait être un puits de paroles, sans fond.

« Tu pourrais au moins me dire ce que je fais ici ; si je savais ce que tu me reproches, je suis sûre que nous pourrions trouver un arrangement. Montres-toi que nous puissions parler affaires ! »

Se heurtant toujours au mur du silence, elle poursuivit :

« Je crois que je vais encore devoir parler un moment à ces stupides faces de pierres » vociféra-t-elle.

Les murs en représailles se mirent en mouvement et se rapprochèrent inexorablement pour enlacer, en leur cœur, la barde médusée. Le vacarme fut assourdissant. La chorale des pierres de la révolte s'était mis en branle dans une longue plainte capable de fendre tout aussi bien les âmes que les dents. Lorsque le volume de la pièce eut diminué de moitié les parois s'arrêtèrent. La fenêtre à barreaux ainsi que la porte avaient été englouties d'une traite. Gabrielle en était restée bouche bée. Les sourcils toujours levés de surprise, elle tourna sa tête à gauche puis à droite observant la pièce à la ronde en secouant un doigt en l'air comme pour s'aider à « digérer » ce qui venait de se passer. Elle ne voulut pas croire tout d'abord qu'elle pût être responsable de cette soudaine lamentation des murs. Elle devait en avoir le cœur net. L'aède fit quelques pas en fronçant les sourcils semblant se plonger dans une profonde réflexion. Puis, prenant son air le plus sérieux, elle se racla la gorge avant de déclarer :

« J'ai souvent entendu dire que vous étiez pourvus d'oreilles mais personne n'a jamais mentionné que votre humour était si ... disons, grinçant ! » osa-t-elle.

Aussitôt la terre trembla sous ses pieds et l'étau se resserra.

Elle dut se rendre à l'évidence : elle avait bel et bien affaire à des murs d'expression libre.

Elle inspira profondément et leur dit, avec humilité cette fois :

« J'ai été stupide. Vos parois sont lisses mais les insultes n'y glissent pas pour autant. Vous êtes des témoins de l'Histoire et vos pierres doivent abriter une grande sagesse. Veuillez pardonner mon impertinence. »

Comme plus rien ne se produisait, elle cru l'incident clos et se détendit. Elle tournait en rond dans le petit carré de liberté qui lui restait.

« Vous qui êtes ici depuis si longtemps, vous devez trouver le temps bien long !
... Vous ai-je déjà parlé de Xena, la ... »

Elle n'eut pas le temps d'en dire davantage. Les cloisons reprirent leur marche infernale. Lorsqu'elles stoppèrent enfin, tout mouvement lui était devenu impossible. L'étreinte murale était telle que Gabrielle ressembla à ces personnages égyptiens dont on voit la tête de profil.

« Oh ! Je parle trop c'est ça ? » marmonna-t-elle, les joues comprimées entre deux pierres.

Elle venait de comprendre que la patience minérale avait ses limites.

« D'accord, d'accord ! Entendu, je me tais, je me tais ! » poursuivit-elle avec quelques efforts.

Il ne se passa rien.

«  C'est promis ! Je resterais muette ! » tenta-t-elle d'articuler.

Les murs, satisfaits sans doute, reculèrent jusqu'à revenir à leur place initiale.

Gabrielle, par bravade, ne put s'empêcher de rajouter :

« Comme une pierre ! »

La réaction fut immédiate : les quatre murs de sa geôle ainsi que toute la construction, des fondations jusqu'aux remparts, jugea-t-elle, furent pris d'un gigantesque et assourdissant hoquet. La menace planait. La barde dut se résigner. Elle se laissa tomber lourdement sur le tabouret, vexée mais silencieuse, enfin !

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