IV

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Arrivée aux pieds des remparts mystérieux, Xena arracha son épée du fourreau et s'engagea dans la bouche béante du château fantôme. Lorsqu'elle parvint au centre de la cour, les lourdes portes se refermèrent derrière elle en rugissant, comme la mâchoire avide d'un piège sur sa proie. Elle s'y attendait. Elle progressa encore dans la cour dépourvue d'âme et s'arrêta à la hauteur du puits. Elle tenait son épée en avant, les deux mains fermement serrées sur le pommeau. La princesse guerrière balaya le périmètre du regard. De chaque côté, de nombreuses ouvertures évidaient les remparts de pierres taillées pour rejoindre soit les courtines et le chemin de ronde, soit les sous-terrains. Face à elle, un escalier à double volée menait à la demeure seigneuriale. Tout autour d'elle, les parois avaient été dévorées par une végétation à la croissance anarchique. Des rideaux de verdure exubérante alternaient avec des pans de murs vierges là où la pierre semblait avoir refusé la greffe.
Ces lierres, qu'elle ne connaissait pas, couraient par endroit sur le sol comme pour conquérir la cour dont ils avaient déjà englouti le puits.
Son attention se porta sur les hauteurs. Ça et là quelques fenêtres et meurtrières qui ne semblaient ouvrir que sur du vide. Plus loin, son regard ralentit en examinant la tour. Malgré elle son cœur battit plus vite. L'inquiétude grisa l'azur intense de son regard quand elle inspecta la petite fenêtre à barreaux sans y découvrir le visage tant espéré. Ses yeux bleus semblèrent sonder les murs pour voir par delà la pierre, en vain.
Le silence régnait toujours. Aucune présence n'était perceptible à la vue. Pourtant Xena « sentait » des cœurs battre d'excitation et de peur, tout près. Ses doigts se resserrèrent sur le pommeau.
Tout à coup quelqu'un hurla. Les lierres s'animèrent. La végétation s'arracha des murs. Ça et là des amas informes de verdure tombèrent au sol. Une métamorphose végétale faisait mouvement vers elle. De ces masses mutantes semblèrent pousser des têtes, des jambes, des bras, des épées menaçantes aussi. Des soldats-lierres marchaient sur elle prenant peu à peu forme humaine. Des soldats de chair et d'os, cette fois, une bonne douzaine au total, l'encerclaient.
La princesse guerrière ne laissa transparaître aucune surprise, tout juste arqua-t-elle légèrement un sourcil qui signifiait sans doute qu'elle avait apprécié ce tour de passe-passe végétal.

Le plus âgé des hommes de troupes vint se planter devant Xena. C'est avec une voix rauque et puissante qu'il lui dit :
« Je suis Dorgone, chef de la garde et je viens t'arrêter.
- Je suis Xena, princesse guerrière et je viens chercher mon dessert ! »

Lui aussi leva un sourcil, mais en signe d'incompréhension, et se dit qu'elle devait être folle. Il n'en fit pas cas et poursuivit :
« Tu es ma prisonnière ! Tiens-toi tranquille jeune fille et suis-nous sans faire d'histoire. »
Comme Xena ne broncha pas, il s'impatienta :
- On ne va pas remettre ça aux calendes ! Allons, donne ton épée à ce soldat avant de te blesser. »

Xena n'apprécia pas beaucoup cet accueil. Après avoir fait une moue simiesque qui n'augurait rien de bon, elle afficha son sourire le plus aguichant et se contenta d'un :

« viens la chercher, mon grand ! »

Peu habitué à ce traitement, Dorgone, rouge de rage faillit s'étouffer lorsqu'il aboya son ordre :

« Saisissez-là ! »

Les soldats fondirent comme un seul homme sur la princesse guerrière.
On entendit des fers se croiser, quelques coups de poings fusèrent, des lames chantèrent sans conviction, des cris s'échappèrent de la mêlée disparate. Seule la tête de la grande guerrière dépassait de temps en temps de l'innommable imbroglio.

Gabrielle entendit qu'il se passait quelque chose au-dehors, Xena, enfin ; elle grimpa sur le tabouret, seul meuble de sa geôle.
« Xena, cria-t-elle, je suis là.
- J'arrive mon coe..Gabrielle! », s'emmêla Xena.

Yiyiyiyiyiyyiiiiiiiiiiiiiiiiiiiyaaaaaaaaa

C'est par un saut périlleux des plus extraordinaires qu'elle s'extirpa de la mêlée. Les soldats de maladresse avaient emmêlé leurs épées, et se regardèrent comme des idiots. Xena elle, avait atterri sur les épaules du plus costaud d'entre eux. Elle lui ficha un bon coup de poing sur le heaume histoire de l'attendrir. Elle fit pivoter son casque d'un demi-tour sur sa tête pour le rendre aveugle. Xena arbora un sourire gourmand juste avant de lancer son attaque. Elle serra des cuisses pour diriger son improbable monture, grâce à des coups de reins elle lui commanda d'aller à droite puis à gauche ; elle sut parfaitement se faire obéir pendant qu'elle assommait par-ci, refoulait par-là.
Xena s'en donnait à cœur joie, ses pupilles brillaient d'excitation. Sentant son coursier au bord de l'éreintement, elle dut calmer ses ardeurs. Lorsqu'elle en eut assez, elle lui assena un grand coup de pommeau sur le heaume. Le « baudet » sonné plia sous le choc et tomba sur ses genoux avant de s'étaler sur le plat ventre, déposant ainsi sa cavalière d'infortune -comme une fleur- sur ses pieds.
Dorgone fulmina de voir ses hommes ainsi ridiculisés.

« Attrapez-la ! » Ordonna-t-il furieux.

Deux gardes en tout point semblables se jetèrent sur la guerrière. D'un saut épatant de grâce Xena se retrouva debout sur le puits. Les jumeaux durent tourner la tête de chaque côté avant de pouvoir la repérer tant elle avait été prompte. D'un même mouvement ils portèrent leur attaque, Xena tenait son épée d'une seule main et para les deux lames à la fois avec moult étincelles. Pendant qu'elle giflait l'un, elle écrabouillait le pied de l'autre. C'est avec une force époustouflante qu'elle les repoussa tous deux. Quatre soldats -tout juste désemmêlés- vinrent prêter main forte aux gardes. Les hommes d'armes forts de leur nombre attaquaient sur tous les flancs. Gagnée par la frénésie de la bataille Xena se déchaîna. Ses yeux avaient pris la couleur des eaux troubles, elle releva une babine menaçante et c'est avec la fureur d'une harpie qu'elle engagea à nouveau le combat.
Dans la cohue un soldat trébucha. Déséquilibré il partit la tête la première, emporté par son élan, il n'évita la chute que de justesse, se rattrapant d'une main au sol.
Lorsqu'il tenta de se relever, il ne prit pas garde où il se trouvait et sa tête vint s'engouffrer dans l'entrecuisse de la féroce guerrière qui lui tournait le dos. Xena sortit de ses gonds. C'est là qu'on frôla le drame. Heureusement pour l'inconscient, lorsqu'elle entendit la voix de Gabrielle l'appeler, elle se ravisa. Elle dut réfréner ses pulsions pour ne pas envoyer le maladroit rejoindre le Tartare. Il s'en fallut de peu qu'il ne déguste l'acier de sa lame par la cervelle.
Xena sentit qu'on l'attaquait par derrière et fit volte-face. Dorgone le sournois, déglutit bruyamment, vexé.

«  Mais qui es-tu donc ? s'inquiéta Dorgone.
- Par Zeus ! Tu n'es pas une femme c'est impossible! » maugréa-t-il.

La grande guerrière outragée s'empara de son fouet. La langue de cuir vengeresse s'enroula au cou du blasphémateur comme un serpent. Défiant avec insolence l'apesanteur elle l'attira contre elle d'un coup sec. Le nez du vilain pourfendeur -de courants d 'air- atterrit directement entre les deux seins dangereusement légendaires de la princesse guerrière. Là, il ne put que constater qu'elle soutenait fort bien ce qu'elle avançait.

« Je déteste que l'on remette en cause mes arguments ! » siffla-t-elle, entre ses dents.

Il grommela et hocha la tête, plus pour chercher de l'air que pour marquer une quelconque approbation. Elle lui choqua les oreilles de ses deux mains puis le libéra du fouet. L'ignominieux cloporte misogyne tituba. Sa bouche avait dessiné un sourire béat, il chancela avant de s'écrouler avec fracas ; il gargouilla dans un parfait galimatias puis, emporté par le doux souvenir d'une senteur exquise, rêvant d'une poitrine exotique, il sombra dans l'inconscience.
Pendant ce temps, les soldats avaient repris leurs esprits. Ils étaient revenus en force à la charge. Xena ne cachait pas son plaisir d'en découdre à nouveau et affichait un sourire éclatant.
Elle para à gauche, esquiva à droite, attaqua devant, toucha derrière, feinta de tous bords. Elle assommait à tour de bras. Harassés, ses adversaires haletaient. L'un d'eux, désespéré sans doute, tenta de la mordre. Elle frappa si fort du pommeau sur sa tête qu'il s'enfonça d'au moins une semelle dans le sable. Il resta planté ainsi. Inerte. Les hostilités se poursuivirent sans lui.
Au plus fort de la bataille, la princesse guerrière semblait étincelante. Elle irradiait.
Xena se déplaçait à une vitesse qui dépassait leur entendement. L'un des soldats fulminait. Aucun de ses coups n'avait touché une seule fois sa cible alors que c'était risquer mille périls que de tenter de s'approcher de l'épée de cette furie brune. Chaque fois elle avait ruiné tous ses efforts avec une facilité humiliante pour un guerrier tel que lui bercé par des rêves de hoplite. C'était encourir de dangereuses estocades d'être à moins de trois pas de la redoutable guerrière, pourtant il s'acharna et mit un point d'honneur à riposter du tac au tac. Il ne supportait plus ce sourire narquois. C'est alors que la rage le prit et c'est avec la fureur d'un minotaure qu'il fondit sur elle. Ses yeux semblaient gagnés par la folie. Sa face déformée exsudait la rage à tel point qu'il fit une peur bleue à ses camarades qui tout d'abord ne le reconnurent pas et s'écartèrent de lui croyant sauver leur vie.
D'un coup sec du pied Xena fit sauter le baquet du puits dans sa main. D'un magistral revers de seau elle stoppa net le furibond dans sa course. Elle ressaisit l'anse pour s'offrir l'autre joue cette fois. Le coup fut si violent qu'il ne lui resta plus que la poignée en main. Le furieux fit un demi-tour gracieux sur lui-même.
Xena fléchit sa jambe droite et l'étendit avec une force époustouflante sur le postérieur ainsi offert ; le minautore volant fut propulsé au loin. Il atterrit la tête la première dans le seau qui l'avait précédé.
Là, il pourrait tranquillement cuver sa colère quelque temps.

Gabrielle vivait le combat depuis son tabouret. Elle mimait des coups à droite, des esquives à gauche. Elle manqua plusieurs fois de se casser la figure, emportée par sa fougue. Une fois même, le petit siège de bois s'enfuit sous ses gesticulations et sa mâchoire heurta douloureusement le bord de la fenêtre. Serrant des dents sur un menton endolori, elle remonta sur son escabeau de fortune se promettant de tempérer son enthousiasme.

Déjà occupée à en découdre avec deux adversaires, Xena en vit un troisième se ruer sur elle en hurlant. Il portait son épée si haut au-dessus de sa tête qu'on eut dit qu'il partait pour la fendre entièrement. Elle lui envoya dans le bas ventre le plus fabuleux coup de botte de sa panoplie. Le « découpeur » tomba à genoux sous la douleur. Il avait lâché son arme pour prendre en main sa soudaine fragilité. Incrédule, il leva la tête pour interroger Xena du regard.
« Et encore je chausse petit ! » jugea-t-elle, en souriant.
Elle acheva de s'occuper des autres en envoyant le premier embrasser violemment le second. Ils s'écroulèrent plus loin, épuisés, après quelques pas d'une danse pitoyable.
Le plus jeune des soldats vint à son tour tenter sa chance et provoquer la guerrière au combat. Il s'avança l'épée au clair, prêt à en découdre. L'ardeur se lisait sur son visage pubère et son inexpérience aussi ; la guerrière sut tout de suite que son épée était vierge. Elle eut à cet instant une pensée émue pour Joxer et elle décida de le renvoyer dans les jupes de sa mère.

Tout ceci est ridicule, pensa-t-elle, cette farce commence à me taper sur les nerfs.

Xena ne s'amusait plus ; ce petit jeu allait devoir cesser.

La plupart des soldats étaient de piètres combattants. Ils s'efforçaient de faire bonne figure pour ne pas décevoir leur chef, le redoutable Dorgone. Tous ferraillaient bien plus qu'ils n'engageaient réellement le combat. Certains s'appliquaient à mugir ou grimacer en effectuant des grands moulinets et ils tiraient le plus souvent dans le vide quand ils ne chassaient pas les mouches.

C'est au moment où sa patience l'abandonnait que son instinct de guerrière l'alarma.

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