V
Xena avait déjà vu par trois fois le ciel s'obscurcir furtivement ; pourtant elle était sûre de n'avoir vu aucun nuage. Quelque chose se tramait. Elle aurait juré avoir entendu des murmures étouffés et fugaces. Depuis peu, un point névralgique le long de son épine dorsale la « chatouillait ». Ce n'était pas Ares, c'était différent. Elle savait qu'un événement dont elle ignorait encore la nature allait se produire. Elle se tint prête, restant sur ses gardes. Elle se plaça stratégiquement le dos dans un angle de murs pour limiter les possibilités d'attaques adverses et elle continua de se battre de pied ferme.
Soudain, une épée gigantesque, brandie par un bras sans tête, vint se planter au milieu d'eux. Tous se figèrent ! Puis, les soldats disparurent avec force précipitation par tous les interstices permettant une fuite éclair.
Ce bras céleste et si menaçant était le mien : la rencontre inévitable avait enfin lieu.
Xena se déplaça le long de la paroi, cherchant à s'éloigner de ma lame au fer émoulu. Pour tenter d'évaluer au mieux la situation elle grimpa sur le puits. Elle dut se tordre le cou pour essayer de voir au-delà de mon bras, mais les murs du château l'en empêchèrent.
« Bonjour Xena ! Bonjour Gabrielle ! » dis-je, en me penchant par-dessus les remparts.
Je fis bruisser mes ailes d'une blancheur immaculée en me courbant. Ceci interpella la guerrière qui fronça les sourcils et me questionna sans détour :
« Tu es une titanide ? Qui es-tu ?
- Pour les grecs, je suis Phème ; pour les romains, je suis Fama, la déesse de la renommée et ...
- Et des ragots ! m'interrompit Xena avec un sourire en coin.
- C'est exact ! » repris-je.
Dévorée par une impatience fébrile, je triturai déjà mes trompettes. Les milliers de bouches ainsi que les mille paires d'yeux et d'oreilles qui ornent ma cotte d'écailles frémirent.
« C'est donc à toi que je dois ce grotesque traquenard ! Que me veux-tu? Et, qu'as-tu fait de Gabrielle ?
- Je suis là, Xena ! lança la barde, en agitant le bras par la fenêtre de sa geôle avec moult gesticulations.
- Gabrielle va bien , poursuivis-je. Jolie guerrière, tu fais bien de veiller sur ta petite blonde ! Sans vouloir lui jeter la pierre, il semble qu'elle ait des prédispositions à s'attirer les ennuis. »
L'aède me lança un regard orageux et dit :
« J'aime beaucoup ton sens de l'humour Fama ! Rappelle-moi à qui je dois d'être ici pour voir ? »
Je lui souris, amusée et ajoutai :
« Je ne vous veux aucun mal, soyez sans crainte. Mais toi, Xena, tu m'obliges à venir en personne voir de quoi il retourne. Je sais que tu caches un secret, je le veux mien. Tu connais l'ampleur de ma tâche alors ne me fais pas attendre plus longtemps ».
Les murmures incessants qui m'accompagnent en permanence s'agitèrent. On était proche du but.
« Je n'ai que faire de toi et de tes trompettes mal embouchées! Je dois changer la face du monde et tu me fais perdre mon temps » railla cette cachottière de guerrière.
Puisqu'elle ne semblait pas décidée à coopérer, je lançai un filet pour la capturer. Elle se débattit avec force et vigueur, s'agita en tout sens tentant de s'échapper. J'entrepris de remonter ma proie, arrachant ainsi Xena à son monde.
« Laisse-la, je t'en prie ! me supplia Gabrielle. Libère-là ! Mais qu'est-ce que tu nous veux à la fin ? »
La barde s'acharna désespérément sur ses barreaux.
« Patience Gabrielle ! Je n'en ai pas encore fini avec ta compagne. Rassure-toi, ce ne sera plus très long ! répliquai-je.
- Fama ? Xena suffoque ! s'inquiéta l'aède. Fais quelque chose vite! Elle est en train de s'étouffer dans ton filet !... Xena ! » hurla-t-elle.
Gabrielle était défigurée par l'effroi ; elle réussit à crier, malgré sa gorge serrée par la douleur :
« Xena ! Nooooon !... Déesse ô grande déesse, sauve-là ! »
Ce n'est qu'en voyant la détresse de la barde que je compris de quel drame je me faisais l'auteur ! Ce constat me tourna les sangs ! Soudain, la guerrière chavira et tomba sur le sol.
« Xena ! Qu'ai-je fait ! » gémis-je, en la regardant se tortiller en vain à mes pieds à la recherche d'oxygène !
J'entrepris de la sauver, coûte que coûte. Si elle devait mourir à cause de moi, je ne pourrais jamais me le pardonner.
Il me fallait la secourir. Mais comment ?
La barde me cria :
« Vite Déesse ! Vite ! Souffle-lui de l'air par la bouche ! »
Oui, c'était la solution !!! J'obéis à Gabrielle et approchai mes lèvres de celles de Xena ; j'entrouvris les siennes en rejetant sa tête en arrière et j'allai y déposer le baiser salvateur …
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