Chapitre 1 : Léonys 1-2
18 h30.
J’ai encore les yeux braqués sur le dernier chapitre que m’a envoyé Eliocia. Je n’arrive tout bonnement pas à lâcher prise. Je relie encore et encore les mêmes lignes absorbé par l’histoire qui s’anime. Comment fait-elle ça ? Comment parvient-elle à me captiver à ce point ? Il suffit que je reçoive un de ses e-mails pour que j’oublie tout ce que j’avais prévu de faire. Je suis obnubilé par ses mots ou plutôt pour ses maudites réflexions.
« Je t’aime.
Ni a-t-il rien de plus fade qu’un je t’aime murmurer comme on donne un cadeau trop personnel ?
Je voudrai lui parler avec d’autres mots. Une phrase qui viendrait de moi et qui donnerait plus de saveur à un je t’aime.
Existe-t-il une autre appellation pour parler de ce sentiment ? Une sorte de « je t’aime au-delà de tout et de rien ». Un mot plus délicat… non, plus explosif ? Quelque chose qui soulignerait la violence et la douceur que j’éprouve à la regarder chaque jour.
Harry n’en savait rien, mais le feu incommodant qui brûlait en lui faisait mal chaque fois qu’il posait son regard sur elle. Tout flambait à l’intérieur de sa poitrine quand il ne parvenait pas à lui parler de l’étrange danse chorégraphiée par son coeur. C’était circonspect. C’était elle jusqu’à la fin des temps. Elle et personne d’autre.
Harry se laissa choir sur l’herbe et observa le ciel sans trouver les mots pour habiller le mouvement de son âme.»
Cette page. Ce manuscrit. Eliocia va finir par me rendre dingue.
Un jour j’arrêterai de lire son travail. J’aimerais me le jurer. Ça me tourne l’esprit à l’envers. Réfléchir, oui. Gamberger des jours entiers, non. C’est comme une longue journée de pluie à regarder les gouttes tombers sur les vitres. Long. Fatiguant. Frustrant. Pourtant, ces journées sont toujours accompagnées d’une tasse de chocolat chaud.
Je n’arrive pas à me l’expliquer. Eliocia bouscule mes croyances. Elle s’amuse à ouvrir mes yeux sur des sujets que je n’aurais pas eu l’idée d’explorer.
Depuis qu’elle est devenue mon amie plus que mon autrice, je me sens le besoin d’accepter de tout lire tout, même ce qu’elle destine à ses tiroirs. Est-ce que je peux lui refuser une lecture ? C’est tout là le problème ? Non, bien entendu. Je suis bien trop affamé par ses histoires. Il est certain qu’elle finira par me briser le cœur avec ses réflexions. A-t-on idée de penser si fort ?
Ah ! Une philosophe dans l’âme, il n’y a pas à tortiller des maracas.
J’aurais dû faire un métier plus physique. J’aurais eu l’esprit occupé à mes taches et non à des questions existentielles. J’ai encore tellement de mal à comprendre toute la mécanique de sa cervelle, alors me pencher sur celle des autres…
Je ne rêve que d’une chose depuis notre rencontre, me transformer en merle et aller épier son travail sur le coin de la fenêtre.
Eliocia ne dira jamais tout d’elle, même dans ses romans. Elle est comme ça. À moi de trouver toutes les parts d'elle-même distillées sous les lignes.
Je relie encore le passage. Aimer ?
— Un sentiment d’appartenance plus fort que l’au-delà ? Quelles lettres le composeraient-il ? Âme. Cœur. Plus. Un mélange ? P’tain ! Voilà que je philosophe tout seul ! La barbe !
Je lâche l’écran des yeux et écrase mon front sur des manuscrits en attente de lecture. Mes piles de livres frissonnent sous la secousse.
— Une chose est certaine, tu mérites son ascension. Je n’aurais pas accepté que tu sois ignorée.
Je me vois encore la contempler sur sa chaise entourée par sa dizaine de romans. Marc m’avait encore amené dans un salon du livre. Il s’agissait de son septième cette année-là. Je l’y suivais par amour et pour chercher des pépites dans le projet de créer ma propre maison d’édition. Pendant qu’il dédicaçait ses bouquins, je partais me renseigner sur les autres stands. J’ai vu cette femme devant son portable. La position dans laquelle elle se tenait invitée à la déranger. Elle était là, assise nonchalamment, le regard sur son écran et parfois scrutateur et envieux devant les autres auteurs. Pas besoin de plus pour savoir qu’elle se demandait ce qu’elle fichait ici. Je suis resté un moment à l’observer. Le temps lui paraissait long. Quand elle s’est éclipsée, j’ai regardé ce qu’elle proposait avant de prendre mon portable et m’informer sur ses réseaux sociaux. Je savais que j’aimerais la lire. D’ailleurs, Marc m’en avait acheté deux. Il avait vu mon cirque de loin. Cette fois-là, je ne l’ai pas abordé. C’est plus tard que je l’ai retrouvé sur une plateforme d’auteur et que j’ai commencé une correspondance avec elle.
En un moins d’un an, j’avais tissé un lien fort avec Eliosia. Suffisement, pour me retrouvait à faire mes emplettes avec elle, l’été suivant. Elle m’avait dégoté un exemplaire relié de Frankenstein. Un cadeau pour les fiançaille de Gauthier. Je savais que ça lui plairait, même si je savais qu’il garderait précieusement celui offert par son père et qui était dans un état lamentable. On a tous un roman qui ressemble à un torchon tellement on l’a usé à l’ouvrir et le fermer. Bref, J’étais tombé amoureux de sa plume, de son esprit.
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