Chapitre 2 : Gauthier 1-2
Il rattrape la capsule de sa bière et la pose avec les trois autres couchées sur la fouta. Léonys boit plus qu'à son habitude.Cela me dit rien qu'y aille.
— Je crois qu’il faut que tu arrêtes de te prendre la tête pour des détails. Y’aura seulement tes amies et la famille. Pas plus de soixante personnes. Qu’est-ce qui te perturbe autant ? Ton apparence ? Je croyais que tu étais enfin passé à autre chose ? Mec, un mariage c’est quoi ? C’est juste le moment où tu gueules à qui veut l’entendre que tu es lourdement amoureux ! Faudrait arrêter de stresser pour un costume bleu nuit ou blanc crème. Je n’arrive pas à comprendre cette angoisse qu’on tous les gens qui se marient. Ça fait sept ans que tu es avec Louisa. Je pense que vous n’avez rien à prouver.
Léonys cherche à m’apaiser. Je le sais pertinemment, mais c’est plus fort que moi. Je continue d’avoir peur et d’entretenir mes craintes les plus anciennes.
— Je ne sais pas. Je… peut-être que mes angoisses n’ont rien à voir avec les préparatifs.
— J’m’en doute bien. Mais ça aussi faut que t’arrêtes d'y penser. Même si Louisa revoyait, est-ce que ça changerait les sentiments qu’elle éprouve ? Je pense que vous avez traversé bien pire. Et vous êtes toujours ensemble. Pas tout le monde résiste à la perte d’un enfant.
Léonys a toujours la vérité gravée dans le fond de la bouche. Il voit. Il écoute. Il en sait plus qu’il n’en dit. Plus les années passent et plus je me fais la réflexion que l’aimer n’aurait pas été si compliquée. Il a raison. Quand Louisa a fait sa fausse-couche, ce fût très douloureux pour nous deux. Elle croyait que c’était ça faute et moi, je pensais que c’était la mienne. Nous nous sommes raccrochés à l’autre pour survivre à cet événement. Nous avons continué à nous aimer et marcher ensemble, étape par étape.
— Tu sais que ce sont tes mots qui nous ont le plus réconforté ? avoué-je.
— « Un lien d’âme ne part jamais vraiment. Il subsiste quelque part. Il nous attend, pour recommencer avec nous. ». Je sais.
Il s’en souvient, comme il se souvient toujours de tout. Souvent, je remercie les étoiles de l’avoir mi sur ma route. Un ami comme Léo, c’est pour une vie entière. Il est là à chaque étape de mon évolution. C’est lui qui m’a redonné confiance en moi, lui qui m’a prouvé que je pouvais être aimé malgré ma dysphormie fasciale. Je n’oublierai jamais la saveur de sa bouche contre la mienne, ni les heures passées dans le jardin à discuter ou le battement de mon cœur lorsqu’il était trop proche.
Je lève les yeux vers le ciel. La nuit tombe vite et loin des lumières du centre-ville, j’aperçois les étoiles.
— Elle t’aime. Je peux te le jurer, me rassure Léo. Et pour ce qui est des préparatifs, ce n’est même pas toi qui t’en occupes. Souffle, va manger des churros et va voir un film, mais arrête de stresser.
Je ris.
Il a encore raison.
La mère de Louisa s’occupe de toute la communication. La mienne fait en sorte que le jardin prenne des allures de salle de bal. Anabelle gère les horaires et le traiteur, le grand-père de Léonys nous a dégoté un groupe super. Je devrais me détendre... Le mariage est un événement d’exposition et je ne suis pas sûr de parvenir à maîtriser ma gêne quand les regards seront braqués sur moi.
— La vérité c’est que tu as peur qu’on te juge, mec ! T’aurais dû faire ce que Lucie t’a conseillé.
Lucie, une de mes amis de Bordeaux, avait suggéré de faire un mariage simple avec les amis proches et les parents. Pas plus d’une vingtaine de personnes.
— On vous aurait lancé du riz dans les narines à la mairie et on aurait filé au restaurant pour fêter ça, continue Léonys le regard collé dans le vague. Franchement, si ce n’est pas triste de voir un futur époux tout ramolli par la peur ?
Il avale deux gorgées de sa bière avec une mélancolique collée à la rétine.
— Je voulais faire plaisir à Louisa. Déjà au lycée, elle en faisait des proses. Anabelle m’a donné le carnet où Louisa notait tout. « Du monde. Je veux du monde. Qu’ils deviennent les gardiens de mon amour ».
Léonys pouffe un rire en retenant le liquide de sa boisson entre ses dents. Un filet de bière lui glisse sur le montant où une barbe s’installe. Il se néglige depuis quelques temps. Et cela le rend encore plus séduisant. Jamais il n’arrêtera de briller.
— Sois honnête, c’est pas juste pour Louisa que t’as fait ça ? Elle est aveugle, elle ne se rendrait pas compte du nombre ni s’intéresserait aux fleurs rouges à la place des fleurs mauves commandées. Je la connais assez pour dire qu’elle n’a besoin que de ta présence pour aller bien. Elle aurait dit oui à un mariage intime, juste entre elle et toi. Gauthier, tu as encore des choses à prouver, c’est pourquoi tu es dans cette galère émotionnelle. Tu veux prouver qu’un mec comme toi peut trouver chaussure à son pied. C’est le cas. Mais t’a toujours le même cœur, tu baisses toujours la tête quand on te dévisage. Putain, j’t’ai pas suffi ? Tu sais, j’étais sincère quand je te disais te trouver beau.
— Je sais ce que tu penses, lui assuré-je.
— Alors, quoi ?
Il fouette l’air en agitant son bras, celui même qui retient sa bière. En le secouant, il fait lever de la mousse du goulot. Ses doigts luisent du liquide doré.
— Alors, je change à la même vitesse que le monde et les préjugés. Lentement.
— Conneries !
Léonys me connait mieux que moi-même. C’est avec lui que je devrais me marier. Il m’a vu. Il m’a aimé… et pas seulement.
Je ne peux pas faire comme si j’étais normal. Je ne le suis pas. Et les jugements me mènent toujours la vie dure.
Ce mariage en grande pompe. Il n’est pas pour Louisa. Il est pour moi : pour crier au monde que même laid, j’ai pu trouver le bonheur avec une magnifique femme. Je me suis tiré dans le pied tout seul.
— T’es beau. Elle t’aime. Et ça ne changera pas. Quand tu as aimé les yeux fermés, tu peux aimer les yeux ouverts. Il n’y a pas de mensonges.
Léonys plante son regard dans le mien comme il le fait trop souvent. Je me demanderai toujours d’où lui vient cette perception de mon cœur. Il devine tout avec une facilité déconcertante. C’est comme s’il ressentait à ma place.
— Louisa t’aurait aimé même en voyant. Je t’aimais, moi aussi. J’ai aimé ce que tu étais, j’aime encore celui que tu es. Et ton air de vieux lapin-grenouille est toujours à croquer.
— Si Marc vient à nous entendre, il sera jaloux.
— Marc n’est pas là, il n’est pas jaloux et je dis la vérité. J’aime ton cœur, comment il bat, comment il parle. Ça ne changera pas. C’est juste que j’aime Marc plus encore que n’importe qui. Et Louisa me ressemble, alors je peux me permettre de parler en son nom. Elle te désire psychiquement et physiquement. Elle t’écoute comme on regarde langoureusement un être adoré.
Je décèle de l’amertume au fond de sa voix, même si tout est vrai. Je ne me tromperais pas si je disais qu’il y a de l’eau dans le gaz avec Marc. Ce qui m’étonne tout de même, parce qu’ils semblent être un couple épanouille.
Nous restons un moment silencieux, contemplatif du jardin et de la nuit.
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