2-2
— Il s’est passé quelque chose avec Marc ?
Léonys soupire en emportant toute sa masse en arrière qu’il vient tacler contre la pelouse.
— T’as raison, changes de sujet, me lance-t-il en plaquant ses mains sur son visage.
— Qu’est-ce qu’y ne va pas ?
J’ignore sa pic déterminer à en apprendre plus sur ce voile de frustration dans son regard.
— C’est tout là la question. Y’a quelque chose dans son comportement qui a changé. Il me parait distant, mais tout en restant collant. C’n’est à rien n’y comprendre.
— Un problème avec son travail ?
— J’aimerais, mais, non. Il n’a jamais autant écrit. C’est comme s’il me cachait un truc. Quelque chose qui me ferait mal si je l’apprenais. Il y a de la culpabilité dans son regard. On dirait qu’il cherche à me dire quelque chose sans y parvenir. Du coup, je n’ose pas lui en parler. Ça m’fait flipper, t’n’imagine même pas.
Il se tourne sur le flanc, se met en boule, les mains sous la joue, les yeux vissés dans les miens.
— Tu comprends quelque chose, toi ?
— Pas grand-chose. Il faudrait que je le voie pour te dire si c’est toi qui nous fais une petite psychose ou s’il y a de quoi s’inquiéter. Depuis que je le connais, il a toujours dit ce qu’il pensait avec ou sans tact. Marc ne te cache rien.
— En général. Mais depuis qu’on a parlé de son envie d’être père et de mon non-désir, je crois que… J’ai l’impression de lui avoir brisé le cœur.
Je sens l’air assécher ma bouche.
— Tu ne veux pas d’enfants ?
C’est assez surprenant. Je l’imaginais bien père de famille.
Il secoue la tête.
— Je n’en ai jamais eu le désir en tout cas. Mais je sais que je veux Marc pour toujours.
— Oui. Ça on l’a tous bien compris. Mais qu’est-ce que tu entends par là ?
— Que pour lui je veux bien tout accepter, même adopter un enfant avec lui ?
— Ce n’est pas judicieux, Léo. Un enfant ce n’est pas une friteuse. Si tu n’en veux pas, l’enfant le sentira à un moment dans sa vie.
— Je sais. Tu me prends pour un idiot.
Il roule sur le côté. Son corps se ramollit d’un coup.
— De toute façon, il faut être marié depuis cinq ans pour adopter.
— Et tu ne veux pas te marier ?
— Tu sais bien que le mariage n’a pas une grande valeur à mes yeux. Tu te rends compte de tout ce qu’on nous demande juste pour s’aimer ? La pression qu’on met sur nos épaules simplement parce qu’on a des émotions, des sentiments. Ça me rend fou ! J’n’ai pas besoin d’un papier, d’un contrat, de témoin, pour savoir que je serais bien avec lui toute ma vie. Je t’ai dit, Gauthier, je n’ai besoin que de lui. C’est mon sourire, ma joie…les battements de mon cœur.
Depuis qu’ils sortent ensemble, je les vois comme un couple heureux et harmonieux, même leurs disputes ont un goût de réconciliation à peine s’amorcent-elles. Je me demande si ce jour-là, quand j’ai rencontré Marc par hasard, je n’avais pas loupé la réponse aux doutes de Léonys. Marc regardait derrière lui comme s’il cachait une horreur sans nom quelque part sur la terrasse du restaurant de l’université. Devais-je en parler à Léonys ? Qu’est-ce que cela lui apporterait dans l’immédiat ? Il vaut mieux se taire que créer un conflit alors qu’il n’y a pour ainsi dire rien à expliquer.
— Peut-être que je me fais trop d’idées, temporise-t-il. Je lui prête des histoires qu’il n’a pas. C’est la faute d’Eliocia. Depuis que j’ai commencé à lire son nouveau manuscrit, je me sens bizarre, comme si elle parlait de mon cœur. Je me retrouve vachement dans son roman, dans le personnage de Harry. Elle me plonge dans mille questionnements. Faut vraiment que j’apprenne à arrêter de réfléchir. C’est cool aussi de mettre son cerveau sur OFF.
Il rit en glissant sa main dans l’herbe. Il la froisse sans l’arracher. Léonys est perturbé, et même s’il prend les choses sur le ton de la déconnade, je ressens le malaise qui s’étend en lui.
— Ça ne me surprend pas. Eliocia est une virtuose des mots. Elle a toujours le bon mot. Même sans me comparer à ses personnages, je ressens les vagues émotionnelles qu’elle transmet. Un passage en particulier qui te mine le moral ?
La curiosité me pique l’esprit.
— Pouff ! Des tas. Il y a trois jours, c’était : « Je m’adapte à tout et à chacun jusqu’au jour où je n’y arrive plus : je ne veux plus être avec cette femme que je ne désire pas, il faut que je fuie, je ne veux plus de cette vie où je m’oublie. ». C’est souvent arrivé quand je sortais avec des filles à l’époque. Pas seulement… J’ai mis longtemps de côté mes sentiments pour coller à ce que les gens attendaient de moi. Je le fais peut-être encore sans m’en rendre compte.
— C’est ce que tu viens de me reprocher.
— Hum… y’a aussi ce premier passage dans le premier chapitre : « Pas sûr que je sache aimer, alors tomber amoureux ? Je crois que je me lasse vite ou bien que j’oublie vite… Je ne comprends pas toujours mes sentiments. ».
— Tu veux que je te dise, je pense que c’est pareil pour tout le monde. Cette sensation de ne jamais vraiment savoir, avoué-je.
Léonys a encore ce regard brillant de tristesse. Ce texte le perturbe tout autant que son amour pour Marc. Je n’ai jamais vu autant d’amour et de souffrance chez une personne qui en aime une autre. C’est comme si de trop aimer Marc, Léonys en avait le cœur en miette.
— Puis y’a aussi cette phrase : « Je t’au-delà ! », qui me perturbe. Elle n’a aucun sens quand on la lit, pourtant quand on en comprend toute la force, on la ressent jusqu’au fond de l’âme, enchaine-t-il sans m’en expliquer plus.
Il se redresse vivement. Ses cheveux retombent sur ses épaules. Il les laisse pousser pour que Marc puisse y passer les doigts. Selon lui, Léo n’y a rien de plus jouissif qu’un mec coiffant les cheveux d’un autre, dans une dernière étreinte après la fin de l’acte. Léonys ne finira jamais de m’étonner. Je ne regrette pas de l’avoir connue. La vie avec ce genre d’ami est plus belle, plus attachante. J’ai envie de vivre pour savoir ce qu’il deviendra, ce que nous deviendrons.
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