Chapitre 3 : Marc 1-2
Je me sens comme de la merde. L’impression que rien n’ira plus comme je le veux m’étouffe à mesure que je lui mens.
Théna me pointe du doigt avec son froncement de sourcils de fille blasée.
— Arrête de te morfondre comme un ado, c’est toi qui as dit OK pour prendre un café avec elle. J’crois pas qu’on t’a forcé la main. Puis franchement, j’comprends pas. Depuis qu’on se connait tu me rabats les oreilles avec TON Léonys, qu’il est ton ultime amour, le mec le plus merveilleux du monde et là, tu me fais de la daube.Mais alors bien comme il faut. Qu’est-ce que tu pensais faire avec cette femme au juste ?
— Ce n’est pas comme si j’avais couché avec elle, non plus, t’exagère.
— Ah ! Tu trouves. Bah, j’vais dire un truc : Tromper c’est pas coucher, ma rosette. C’est faire comme si ton cœur n’avait rien à cacher. J’ai trompé mon ancien mec, pas parce que je voyais quelqu’un d’autre, mais parce que je restais avec lui alors que je ne l’aimais pas. Ouais, les peurs irrationnelles et les blocages de merdes, ça ne m’a pas permis de faire du beau. Quinze ans, rosette. Quinze ans à faire semblant ! Je suis restée quinze ans avec lui. C’pas cool ! J’lui ai fait croire que notre histoire durerait pour toujours à cause de ma peur d’insécurité.
— Mais moi, je ne suis pas dans ta situation, Thé.
— Ouais. Ça c’est clair. Toi, t’es proche de la connerie et tu risques de la regretter toute ta vie. J’crois pas que Léonys soit teubé. Et ça me surprendrait à peine qu’il ne soit pas déjà en train de chercher à comprendre tes agissements.
Théna secoue la tête comme si j’étais devenu un crétin. C’est peut-être le cas. Je dois être stupide pour avoir fait ça. J’ai encore du mal à saisir le pourquoi de ce choix. J’ai tout ce que j’ai toujours désiré dans la vie, alors pourquoi retourner au passé et me souvenir qu’un jour j’avais aimé une femme plus fort que les autres ? Je ne suis pas homosexuel. Et c’est peut-être là mon plus grand problème. Léonys est le seul homme. L’unique.
Parfois, le matin, je le contemple à m’en abîmer la rétine. Ce n’est pas qu’un visage, c’est l’ensemble du corps de Léonys qui me happe. Il me rend malade de bonheur. Et je ne comprends pas comment il peut m’aimer si fort. Moi, un homme ordinaire. Je suis beau comme bon nombre de personne. Mais, loin d’être transcendant.
Il m’arrive de perdre toute attention lorsque je le regarde. Ça en devient malsain. J’ai peur d’un jour le confondre avec une peinture et lui donner la place d’une œuvre d’art. D’oublier qu’il est humain, avant d’être « beau ». Je suis terrifié à l’idée qu’il se lasse de moi. J’ai beau le connaître, savoir ce qu’il aime, je ne suis pas lui. Je ne sais pas quelle importance j’ai pour lui. Que pense-t-il quand il me regarde ? Quand il me touche ? Quand il me parle ? Puis en dehors de toutes mes craintes, il y a cette conversation… Je veux ce qu’il ne désire pas et ça me fait mal.
La concession ne fonctionne pas pour ce genre de besoin. Je ne peux pas lui forcer la main et il ne peut pas m’empêcher de désirer.
Ça cassera. Tôt ou tard. Et rien que dit penser, ça me broie. Parce que le perdre, ce serait me tuer et me laisser erré sur Terre.
— Je suis perdu, Théna. Je suis tellement dans le flou. Je me sens minable.
— Tu nous fais une petite crise de la trentaine, voilà tout. Ça passera. Tu trouveras une solution avec Léo.
Théna me flanque une tape dans le dos. Je me demande d’où elle puise cette force herculéenne alors qu’elle se rapproche plus d’un coton-tige qu’un ours adulte pêcheur de saumon.
Et si c’était moi qui me ratatinais ? Je me laisse un peu aller depuis quelques temps. Mon ventre s’apparente plus à une sacoche qu’à une tablette de chocolat.
— La crise de la tentaine ? Je préférerai. Au moins, j’aurais une excuse pour être un gros con.
— Une crise existentielle alors ? Moi, j’arrêterai de la voir. Ne va pas à votre rendez-vous, rentre chez toi, envoies-toi en l’air avec Léo, taille-lui une pipe de grand malade et va te coucher.
Elle me jette son regard de panthère sous anti-dépresseur, prend une clope, la fait passer entre ses doigts pour la remettre dans le paquet. Elle sait déjà tout. Elle sait qui je fréquente, elle connait mon envie d’être père.
— Tu vas faire de la merde et ça va mal finir, poursuit-elle. Franchement, ça serait con de tout foutre en l’air pour une ex qui s’est barrée. Tu veux te prouver quoi avec elle ?
— J’arrête pas de me dire que si elle était restée, je serai encore avec elle. Si elle n’était pas partie, est-ce que j’aurai réalisé que Nysi et moi pouvions avoir un avenir ?
Un avenir…
Lequel de nous deux devra céder sa vie à l’autre ?
Quand arriveront les reproches ?
J’ai peur. J’ai mal.
Je l’aime. Fort. Trop fort. Je vais lui faire du mal. Je vais… Pourquoi ?
— Ça, tu vois, je pense que tu le sais depuis longtemps. S’t’plait, déjà au lycée tu lui maté le cul à ton Léonys. Et n’dis pas le contraire, j’te voyais faire. Si c’n’est pas une preuve que tu en pince pour lui, moi, j’danse la salsa avec les doigts dans le cul.
J’éclate de rire, alors que j’aimerais pleurer.
— C’pas la première fois que j’te dis qu’il y a un truc entre vous. Ça dure depuis un moment. T’as toujours nié. Mais au final, j’avais raison. Tu fais comme tu le sens, j’t’jugerais pas. Ma vie amoureuse part en couille depuis toujours. Je devrais suivre mes propres conseils, moi j’te le dis.
Elle joue avec son paquet de clopes un instant, le fourre dans sa poche et enfonce sa main dans un paquet de biscuits. Elle dévore pour compenser le manque de nicotine. Troisième tentative depuis son cancer du sein. Je pense que cette fois-ci se sera la bonne. Peut-être parce qu’elle le fait pour une autre personne qu’elle-même.
Je laisse traîner mes yeux sur son tee-shirt plat. Théna n’a jamais eut une grosse poitrine, mais là, c’est plat comme s’il n’y avait jamais rien eut que du vide. Elle dit que ça lui convient mieux. Je ne pense pas qu’elle me mente. Elle a plutôt bien accepté la solution de tout enlevé. Sans surprise, elle a demandé qu’on lui retire l’autre sein aussi. Question d’esthétique, avait-elle expliqué. Ça la gavait quand on parlait de reconstruction.
Je me suis rappelé, il y a peu, qu’au lycée, elle avait traité un sujet ; « son genre idéal ». Je me suis souvenu du titre « Devenir un Mérou ». Pourquoi un mérou ? J’ai fait des recherches et j’ai eu ma réponse.
Le mérou peut changer de sexe toute sa vie : naitre femelle, devenir mâle au milieu, puis redevenir femelle.
— T’sais. C’est pas toujours évidant de trouver la bonne personne. Toi tu l’as et tu sais que sais lui, souffle-t-elle.
— Et si c’était faux.
— C’est vrai, ma rosette. Tu doutes peut-être, mais pas moi. Je le sens. Tu sais, si tu lui parlais de tes peurs, il t’écoutera. Vous avez été potes avant de sortir ensemble. Puis c’n’est pas comme si ça faisait sept ans que vous partagiez le même lit, hein ? ironise-t-elle en m’envoyant un coup d’épaule.
Je rie, en me retenant de justesse au banc. Elle va finir par me flanquer par terre, cette brute.
— Pense à moi qui suis tombée amoureuse de deux mecs à la fois. Pense à la merde dans laquelle je suis. J’sais même pas comment gérer leur apparition. Je les fuis et ils ne comprennent pas pourquoi. Je me vois mal leur dire : « bah, disons que je vous aime peut-être un peu tous les deux en même temps, et bon, un ménage à trois, c’est peut-être pas votre câme. ». Va leur expliquer que je ne peux pas accepter leur amour parce que je les veux tous les deux ou pas du tout. Putain de vie !
— Ouais, c’est clair. On ne va pas se mentir, de nous deux, c’est toi qui gagnes la palme d’or. On est d’accord.
— Vas-y ! Paies-toi ma gueule, ronchonne-t-elle faussement.
Les mains dans les poches, le regard entre deux nuages, je soupire. Pourquoi est-ce que je me sens dépassé ? Pourquoi je ne sais pas ce que je veux ? D’où viennent les doutes ?
— Tu vas quand même y aller, pas vrai ? Tu es trop con. Si Nysi l’apprend, il va le vivre mal ?
Elle ne me juge pas, mais je sens bien son regard réprobateur.
— Tu comptes le lui dire ? Pour, elle ?
— Non. Mais j’n’aimerais pas lui mentir. Donc trouve-toi une autre excuse que moi pour le tromper.
— J’vais pas le tromper. J’vais juste…
— Juste quoi ? Revoir une ex en te demandant si la vie ne serait pas plus simple avec elle ? Vas-y gamin ! Tu crois que je ne vois pas que tu vas mal depuis ton agression ? C’n’est pas qu’une envie de gosses, Marc. C’est un tout. J’te crois quand tu me dis être paumé. Mais Léonys a vécu la même chose que toi, ce jour-là. Il serait temps d’en parler plus clairement. Ta brusque incertitude, ce sont ses quatre connards qui ont essayé de te foutre une dérouillée.
Théna est ses vérités.
Si Léonys n’était pas revenu sur ses pas, ce soir-là, je ne sais pas ce qu’il serait advenu de moi. Si on m’arait laisser pour mort ou si j’aurais craché mon dernier souffle tout seul dans une rue sombre. Aimer Léonys est dangereux. Avec Cathy, je n’aurais rien vécu de tout ça. Les coups, l’impression que mon âme sort de mon corps. La sensation d’impuissance, et tous mes muscles qui se figent.
Aimer Léonys pourrait me tuer. La vie est merdique !
Retourner dans les bras de Cathy me laisserait au moins une chance d’être père. Je n’aurais pas à subir les regards de travers, les messes-basses ou les insultes.
— Marc ! Léonys et toi, c’n’est pas un hasard. On appelle ça le destin.
Je lève les yeux au ciel.
Théna et ses évènements marqués dans les étoiles, ses obstacles à passer pour accéder à je ne sais qu’elle puissance spirituelle. Une chose est sûre, c’est que depuis ma presque raclée, je ne suis plus pareil. Je me sens vulnérable sur tous les points.
J’ai encore cette impression d’être suivi, épié.
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