Marc 2-2

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Quand je ferme les yeux, je revois Nysi m’embrasser et partir. Je me dirige vers chez nous avec cette sensation de lourdeur sur les épaules. Je me retourne. Quatre types derrière moi. Ils avancent vite. Je ralentis pour les laisser passer. Quel con ! Je sens le mur contre mon dos quand l’un d’eux m’y écrase. L’incompréhension me noie, rejointe par la peur. Une peur incontrôlable. Les insultes éclatent. Je ne comprends pas pourquoi il me traite de pédé, de sale homo. Pourquoi ma sexualité intéresse ces types-là ? En quoi ça les regarde ? Je me rends compte qu’embrasser Nysi veut dire que j’aime les hommes. Eux, ils ne savent pas que c’est juste lui. Je sais que c’est la fin. Il va m’arriver un truc. La vie est toujours aussi dégueulasse. Les gens se préoccupent encore de la sexualité des autres. Un sujet pourtant intime. Ils ont prêt à les tabasser, les tuer… Je sens un poing dans mon estomac. Je me plie. La douleur est toujours aussi présente. Je me plie encore. Me défendre ? Ils sont quatre. Je ne ferais qu’attiser leur rage.

— Marc ? T’es plus avec moi là. Reviens. Raconte.

La main de Théna essuie des larmes sur mes joues.

— Il y avait des gens dans la rue. Ils fuyaient mon regard. Qu’est-ce que j’avais fait ? Qu’est-ce qu’un auteur à peine suffisamment connu pour vivre de son art pouvait bien à voir affaire avec ces types. J’ai pensé à un groupe restreint d’anti-fan. Puis il était évident qu’ils n'avaient jamais tenu une livre dans leur main. Leur regard posé sur moi crachait le mal à l’état pur. Ils m’ont frappé. Je sens encore les coups me traverser. Quand l’un d’eux a sorti un canif, je n’ai pas réfléchi, j’ai hurlé. Une baffe m’a atterrie en pleine face. Puis il est arrivé. Il en a foutu deux par terre, et moi, je me suis barré. J’ai couru. J’ai laissé Léonys derrière moi.

— Est-ce que c’est ça qui te fais croire que tu ne le mérites pas ?

— Je ne sais pas.

— OK. Léonys sait très bien se battre et il court plus vite qu’un athlète pro.

— Ouais. C’est vrai. Mais, j’ai fini par penser que s’il était dans cette situation, je ne pourrais pas faire pareil.

— Léonys a quelque chose qui ne donne pas envie qu’on s’approche de lui, si on a des mauvaises intentions.

— Tu tiens ça d’où ?

— De tous ces gars jaloux comme des poux dont les meufs bavent sur ton mec. Aucun n’a jamais tenté quoi que ce soit.

— En boîte de nuit ?

— En boîte, en soirée, au restau… Je parle en général. Ton mec, il sent la bête. Il a un truc de sauvage, de clairement pas humain.

Si elle savait, pensé-je.

Le merle… Il a dit qu’il ne muté plus depuis qu’on était ensemble. Je le crois. Je ne l’ai plus jamais vu muté, en tout cas.

— Léonys n’craint personne, Marc.

— Va savoir.

Je hausse les épaules. Théna ne sait pas tout de cette histoire. Elle ne sait pas ce que j’ai fait.

Pendant des jours, je suis resté chez moi, observant chaque centimètre des rues avoisinantes. Un soir, penché à la fenêtre, j’ai vu un des types. Il portait une gamine dans ses bras, un cartable à la main. Père de famille. Il habitait le bâtiment d’en face. Obsédé par ce qu’il m’avait fait et ce qui pourrait réitérer, j’ai pris une décision : guetter le moindre de ses faits et gestes pour lui faire peur à mon tour.

Rapidement, j’ai compris que le mec trompait sa femme avec une étudiante de mon immeuble. Il m’avait repéré depuis un moment. Léonys aussi. Ça ne faisait qu’enfler mes craintes. Ils réattaqueraient. C’était sûr. Nysi. Je pensais à lui. Il serait peut-être la prochaine cible. Ces types-là, ça se vengeait.

Un soir, j’ai déclenché l’alarme de sa voiture. Il est descendu en catastrophe. Une aubaine. Je n’ai pas attendu, quand il est remonté en passant par le parking, je lui suis tombé dessus par derrière.

Après lui avoir collé une droite et l’avoir cloué au sol, j’ai brandi un coteau de cuisine.

« Moi, aussi je sais où tu habites et avec qui. Je te revoie sur ma route, ou un de tes potes, et je fais de ta vie un enfer. Ce serait dommage que des photos compromettantes tombent dans les mains de ta femme ? ».

Peut-être était-ce le son de ma voix ou l’ardeur que j’avais eu à agiter l’arme, mais je n’ai plus jamais revu le gars.

Ça ne veut pas dire que j’ai oublié, que je ne me retourne pas quinze fois dans la rue, ou que je n’ai pas une pierre au fond des poches de ma veste.

C’est d’ailleurs ce soir-là où j’ai rencontré Cathy. J’avais laissé le type par terre et caché mon arme dans mon blouson. Pris de panique, j’avais couru comme un con et avais fini ma course entre les jambes de Cathy.

Avec surprise et décontraction, elle m’avait proposé de boire un verre. J’avais hoché la tête, hébété. C’était tellement inattendu.

Depuis ce jour, on s’est revu trois fois. Quand je suis avec elle, je me sens plus massif, moins ébranlable. Je retrouve ma stature d’homme, de personne rassurante. Je ne sais pas comment l’expliquer sans paraître con. Elle me fait me sentir viril. Marcher avec elle ne m’apporte aucun regard en coin, aucun murmure. Je n’ai pas peur quand je lui tiens le bras.

Mon portable vibre.

Théna soupire.

— C’est elle ?

Je hoche la tête.

— J’te le dis moi, j’ne veux pas être là quand Léonys comprendra ce que tu fais. Si tant est que tu comprennes toi-même c’qu’tu fiches. Ta Cathy, j’la connais mal, mais je crois qu’elle est comme toi, elle cherche à se rassurer. Elle esr mariée, Marc. T’imagines pas qu’elle cherche du sérieux. Elle doit être aussi paumé que toi, lâche-t-elle en passant les pages d’un magazine. Pas sûr que Léo te laissera partir un jour. C’est pas le genre à disparaitre pour laisser la place à un autre « amour ». Puis, tu ne t’es pas dit que t’avais peur, seulement parce que tu l’aimais trop fort ?

— Qui ?

— Nysi, du gland !

Elle s’arrête sur la page dix-huit de son magasine, un homme d’une vingtaine d’année s’y tient avec décontracture et espièglerie. Thimotie La Barlette, jeune comédien de vingt-six ans, un des prétendant de Théna. Elle a toujours eu bon goût en matière d’amant.

Je la sens aussi perdu que moi.

— On fait la paire.

— M’en parle pas, se ramollit-elle. Mais passe pas à côté de mes questions. Réponds.

— Je sais pas, Thé. Je sais plus grand-chose. Je l’aime. OK. Fort. Sans doute. Sinon, qu’est-ce que je foutrais avec lui. Merde, Théna, j’aime les femmes. Je veux dire. Je suis sexuellement attirée par les femmes. Je suis purement hétéro.

— Et Nysi ?

— L’exception. Le seul homme. Ne crois pas que ça soit bien différent pour lui.

— Il est bi, Marc.

— Et ?

— Tu n’es pas l’exception. Le seul homme. Tu m’as dit qu’il avait eu des crush avec des mecs, non ?

— Des crush.

— Marc, Nysi est bi-sexuelle. Il matte aussi bien les mecs que les femmes.

Elle a raison. Elle a entièrement raison. Je ne suis pas l’exception. Qu’est-ce que je suis, alors ?

Mon cœur s’emballe. La douleur persiste quand je pense à Nysi. Pourquoi ai-je mal de l’aimer ? Pourquoi je me sens jaloux tout d’un coup ? Ce n’est pas lui qui me trompe.

Je l’aime.

Je sais que je l’aime.

Fort.

Puissamment.

Je pourrai prendre feu à trop l’aimer.

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