chapitre 4 : Marc

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Cathy dévore comme à l’époque. Je ne comprends toujours pas pourquoi elle gobe ses aliments au lieu de prendre son temps et de les savourer. Elle n’a pourtant jamais manqué de rien. Selon elle, c’est la cohabitation avec les chiens. Elle a été élevée avec quatorze chiens et a vécu avec eux jusqu’à son déménagement à la fac. « Manger vite était un mot d’ordre si tu voulais avoir un truc dans l’estomac avant de craquer devant quatorze pairs d’yeux ».

Je n’ai aucun mal à me souvenir de toutes ses truffes pointées sur moi quand Cathy m’invitait chez ses parents. J’osais à peine la toucher de peur que le petit groupe de poilu ne me saute dessus. Je voyais clair dans leurs yeux : « touches pas ! C’est propriété privée ». Ce n’était pas compliqué à saisir ; si je bougeais un orteil, j’aurais droit à un croc planté dans le postérieur.

Elle termine bien avant moi ses pâtes à la carbonara. Léonys parasite mes pensées. C’est l’un de ses plats préférés.

Manger, ce n’est pas tromper.

Cathy et moi ne fessons que parler du bon vieux temps, de nous, de ce que nous sommes devenus.

Ce n’est pas tromper, ça ! Je le répète en boucle dans ma tête.

— Et donc, tu veux faire quoi ? dis-je, après une gorgée de vin.

— On ne se comprends plus, alors à quoi bon rester ensemble ? Je l’ai aimé. Suffisamment pour accepter sa demande en mariage et me plier à ses coutumes. Mais j’ai remarqué qu’il ne ferait pas pour moi ce que je faisais pour lui. Ça m’a blessé et je l’ai quitté. Maintenant… Je ne sais pas vraiment. Je me sens un peu déboussolée et vexée.

— Et depuis, il te harcelle au téléphone, c’est ça ?

— Oui. Mais ce n’est pas moi qu’il cherche à joindre. Il ne veut pas perdre la face devant ses amis et sa famille. Sa femme étrangère qui demande le divorce et qui retourne en France, ça fait un peu tache. J’aurais juste voulu qu’il me comprenne mieux, qu’il fasse les efforts. C’est ça un couple, marcher ensemble, s’aider, s’aimer, vivre pour nous.

Quand Cathy plante son regard bleu océan dans le mien, je sens mon cœur s’emballer. Elle flirte ouvertement et je ne m’opposerai pas à ce qui suivra.

Elle passe une main dans ses cheveux châtains. Ils ont toujours aussi raides. Le temps d’un instant je me laisse aller à la regarder comme un charognard. Elle est belle, plus qu’avant.

— Tu te souviens la première fois qu’on s’est rencontrés ?

— Comment oublier. Ce n’est pas souvent qu’une fille haute comme deux pommes me drague avec une bière.

—Tu te souviens ce que j’avais dit ?

— « Une panne de bière pour le jeune homme », et tu avais levé ta choppe en me demandant pourquoi je tirai la gueule.

— C’est exact.

Elle croise les bras, faisant remonter sa poitrine.

— Et si on arrêtait de jouer. Ça me rend dingue de me dire que tu n’as personne. Comment c’est possible, Marc ? Ne me fais pas croire qu’on te passe à coter sans te draguer un peu.

Je hausse les épaules.

Evidemment que je fais draguer, mais je vais continuer à te mentir.

— Va savoir. Je n’inspire personne, dis-je avec un petit sourire en coin.

Elle arque un sourcil, pose ses bars toujours croisés sur la table. Sa poitrine est compressée, offerte comme à la tentation d’être caressée.

— Oh ! S’il te plait ! À d’autres. Je me souviens que tu es très inspirant.

Elle pose ses coudes sur la table, cale son menton sur ses mains emmêlées. Un sourire étire sa bouche en cœur. Le rouge à lèvres lui va drôlement bien. Elle est partie en vieille adolescente rêveuse pour me revenir en femme séduisante, un brin coquine sur les bords.

— Et Léonys ? Il ne s’est jamais rien passé entre vous ?

Je parviens à me contrôler, faillit avaler ma tagliatelle de travers.

Mens.

Je secoue la tête et les mains. Un vrai pro de l’entourloupe. Ce n’est tellement pas moi. Qu’est-ce que je fiche ? Évidemment qui s’est passé un truc avec Nysi.

— Qu’est-est-ce qui t’y a fait croire ? J’veux dire, c’est mon pote.

— Je pensais que vous vous plaisiez, mais que vous étiez trop empotés pour vous en appercevoir.

Pas assez, aux dernières nouvelles.

— Comment va-t-il ? La dernière fois, j’ai cru voir son nom sur ton portable. Vous êtes toujours en contact ?

On sort ensemble depuis sept ans. On habite ensemble depuis cinq ans. On couche ensemble. On s’aime. On est clairement un couple avec des projets. En tout cas, ma vie avec lui c’était ça… avant mon pétage de plombs.

— Il va bien, mais on ne se voit pas tant que ça. Des coups de fil de temps à autre et un déjeuner rapide pour nous raconter nos vies. Enfin, tu as bien vu la dernière fois, c’est expéditif. Il bosse dur et moi aussi.

— Un écrivain et un éditeur. Ça vous ressemble bien. J’aurais pensé que tu éditerais et qu’il écrirait.

— On peut se tromper.

— Heureusement.

Elle tire son verre à ses lèvres et boit quelques gorgés de vin. Je laisse glisser mon regard sur ses épaules dénudées et le fin collier autour de son cou gracieux. Sans la toucher, je sens combien elle est douce, fragile, et femme.

Nous terminons. Elle paye malgré mon refus, je lui tens mon bras.

— Je te raccompagne ?

— Je ne le voyais pas autrement.

Il est déjà 21h30. Mon portable vibre plusieurs fois. J’ai oublié d’envoyer un message à Léonys pour le prévenir de mon retard. Il me croit chez un ami revenu de mer.

Sale menteur !

Je chemine avec Cathy jusqu’à son studio tout juste acquis. Nous longeons les ruelles de Toulon. Je constate que je n’aimerais pas vivre en centre-ville. Le bruit, la lumière… Je ne sais pas comment elle fait.

En marchant à côté d’elle, je remarque combien elle est petite malgré ses talons hauts. C’est une femme menue avec des formes généreuses là où j’attends à les trouver.

Lentement, Cathy se rapproche. Son bras effleure le mien à plusieurs reprises. Une ancienne habitude trompe ma vigilance. Je lui donne la main qu'elle prend comme si rien n'avait changé entre nous. Un coup d’œil vers Cathy, elle me rend mes sourires avec une promesse dans les yeux. Mon regard tombe dans son décolleté où la forme de ses seins m’appelle à petit rebond. Si rond, si féminin. J’ai envie de les manger.

Elle s’arrête devant la porte de son immeuble, replace une mèche de cheveux derrière son oreille.

— Tu montes ?

Sa voix me surprend, alors qu’elle cherche ses clés dans son sac.

J’hésite de longues secondes avant de décliner et de lâcher sa main.

— J’ai encore trop de boulot pour me laisser tenter par un dernier verre.

On sait tous les deux ce que cela signifie.

Cathy fait une moue, vite rattrapée par son sourire espiègle.

— La prochaine fois, alors ?

— Sans faute.

J’y pense. Je pense vraiment à une possibilité de me remettre avec elle. Mon cœur se déboîte dans ma poitrine. NON ! Je ne peux pas faire ça à Nysi. Je ne peux pas nous faire ça. Ce serait immonde.

Cathy, c’est du passé. Il n’y a rien à attendre de nous.

J’aime Léonys. Je l’aime vraiment. Je l’aime.

Je le sais. Et pourtant quand j’approche ma joue pour recevoir le baiser de Cathy, je la laisse attraper ma bouche sans l’en empêcher.

— Mercredi ? propose-t-elle.

Je hoche la tête, les mains dans les poches.

Elle ouvre la porte et disparait. Son parfum musqué reste flottant autour de moi. Je mets du temps pour comprendre la connerie que je viens de faire. Est-ce que je suis devenu complètement fou ?

Mon cœur bat vite dans ma poitrine. Je me sens nauséeux. J’ai chaud. L’impression que tout se fissure en moi. Ma tête brûle et ma gorge se noue.

— Quel con !

Je jette un regard aux alentours avant de décamper. Je regrette ce baiser, cette promesse, mais je sais très bien que je reverrai Cathy.

Il faut que je me rassure, que… quel genre de vie aurais-je eu si elle était restée avec moi ? Ma sexualité n’aurait dérangé personne. Parce que personne ne s’y serait intéressé. Qui m’aurait demandé « tu es gay ? » en me voyant avec elle ? Personne.

C’est marrant quand j’entends cette question stupide après avoir embrassé Léonys et que ma réponse parait incroyable. C’est quoi le problème à être un « putain » d’hétéro et de sortir avec un mec ?

Pourquoi personne ne veut faire la différence entre amour et sexualité ?

Pourquoi la vie me rend comme ça ? Frustré, peureux et lâche. Pourquoi j’accepte cette salope de fatalité ?

Cette masse noire dans ma tête qui alourdit mes pensées et tout mon être, j’aimerais la faire disparaitre, même si cela veut dire me séparer de Léonys. Après tout, il vaut bien mieux que ce que je lui propose en ce moment. Un bâtard affamé de sécurité et de « normalité ». amé de sécurité et de « normalité ».

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