Chapitre 7 : Léonys
Le monde s’écroule autour de moi. Je ne parviens pas à reprendre mon souffle. Papy m’ouvre le portail, les lunettes tordues sur sa tête, un livre dans la poche de son peignoir. Il n’est pas moins de minuit. J’ai de la chance qu’il ne dort plus autant qu’avant. Papy semble penser que la mort sera bientôt là. « Quand le sommeil devient éveil, c’est que la vie nous offre du temps seule avec elle », à quoi j’avais répondu : « Et les insomnies ? Que valent-elles ? Est-ce que la vie nous donne du temps pour être avec elle ? ». « Aussi, mais elle nous donne du temps pour être avec nous-même. pour réfléchir à ce que nous souhaitons », avait-il dit.
— T’as encore oublié tes clés ? gueule-t-il en secouant la tête.
N’importe qui poserait la question : qu’est-ce que tu fais là ? Mais ça serait mettre mon grand-père dans le même sac que le commun des mortels.
Je traverse l’allée, passe la porte et monte à l’étage où je rejoins mon lit. Celui que j’ai quitté cinq ans auparavant pour m’installer avec Marc.
Marc.
Y penser me brûle le corps. J’ai envie de crier. Je cris. Je tape pied et main sur le matelas. Je ne veux pas croire le message qu’il m’a fait passer. Je ne veux pas croire que je suis si peux de chose pour lui et dans sa vie, pour qu’il me fasse douter de notre amour. Qu’il en doute lui, si ça lui chante, mais qu’il ne me le partage pas. Je sais ce qu’il est pour moi. D’où ça lui vient, toutes ces peurs ?
— Ça va te paraitre surprenant, mais ta grand-mère et moi, nous disputions aussi. C’était rare, mais toujours explosif.
Papy assit sur le lit et caresse mon dos comme il le faisait après mes mutations. Cette grande main chaude posé sur mon dos, formant des arrondis sur le long de ma colonne vertébrale, et dans le but d’alléger la souffrance, me procure une vague de bienfait.
— Ce n’était une dispute explosive. C’est une rupture dit à demi-mot. Il va partir. Il va me laisser. Pour une femme, un enfant, une famille comme il se l’imagine, comme les photos sur les panneaux publicitaires lui donnent envie. Comme en 1950 ! hurlé-je ces derniers mots.
— Ce n’est pas le genre de Marc. Rompe avec toi ? Il se damnerait pour rester à tes côtés. Tu dois te tromper ou mal comprendre ses intentions.
— Alors tiens-toi prêt à l’annonce. Tu risque de tomber de haut.
— Tu dis des bêtises. Une dispute nous fait croire à la fin du monde. Un désaccord. Ce n’est qu’un désaccord.
— C’est la fin. Je le ressens dans tout mon corps. Il va me quitter. C’est tellement stupide de tout gâcher alors qu’on s’aime. Si seulement, il voyait le monde comme moi je le vois. S’il me parlait comme avant au lieu de se cacher. Tout ça à cause d’une bande de connard, tout ça à cause d’un brayard.
Papy fronce les sourcils. Commence-t-il par comprendre ce que je lui dis ? Bien sûr qu’il comprend. Il n’a qu’à voir mon état pour douter de ses propres convictions.
— Ce genre d’amour ne se brise pas, Léo. J’ai du mal à vous imaginer loin l’un de l’autre. Pardonne-moi d’u croire. C’est que votre regard ne trompe personne.
Il me fait assoir, l’air très contrarié, gratte sa barbe. Il s’apprête à me révéler quelque chose.
— Léo.
Sa voix est enduite d’un sérieux que je lui ai rarement entendue.
— Quand ta mère est née, ta grand-mère est partie. Elle a très mal vécu sa grossesse et elle rejetait notre fille. Elle m’a quitté. Pendant un an, je l’ai pleuré. Puis elle est revenue. Nous nous sommes assis dans le jardin et elle m’a parlé de tout. Elle était perdue et elle n’arrivait pas à parler. Elle en était incapable. Tout ce qu’elle voulait était de partir loin de tout afin de se retrouver.
Je l’écoute un peu surpris.
— J’ai compris, plus tard, que la solitude peut être bénéfique parfois. Qu’il arrive à un moment donné dans notre vie où nous faisons l’état des lieux. Le besoin de tout quitter s’active et il faut partir. Peut-être pour revenir. Peut-être pour effacer le passé.
— Il reviendra ?
— Je ne sais pas. Mais il n’est pas encore parti.
Mes larmes dévalent mes joues. Les retenir m’est impossible. J’ai cherché longtemps à aller bien. Depuis que j’ai trouver Marc, je me sens heureux et chanceux.
— Tu devrais rentrer chez toi et profiter de ces moments avec lui. Il parlera quand il le pourra, peut-être avant longtemps.
— Je dois subir, pas vrai ?
Il hoche la tête résignée, mais souriant.
— Je suis désolé que doit passer par là toi aussi.
— Ça ne pourra être que lui, papy.
— Je le sais, fiston. Je le sais très bien.
Marc est en boule dans notre lit, le visage enfoncé dans le haut de mon pyjama. Il a toujours adoré coller son nez dans mon cou pour respirer mon odeur. « La vie ! », dit-il à chaque fois.
— Si tu m’aimes, reste. Je suis près à devenir l’autre, la personne cachée dans l’ombre si c’est pour te garder auprès de moi.
J’entre dans les draps, caresse ses cheveux ondulés. Il ressemble à un paquet de nerfs crispés.
Je m’emboîte à lui, inhale le parfum de sa peau. Il a transpiré. Un cauchemar ? Il en fait souvent depuis les quatre derniers mois. J’enroule mon bras autour de sa taille, cale ma respiration au rythme de la sienne.
C’est peut-être très naïf de ma part, mais pour moi ça ne peut-être que toi. Tu le sais, non ? Tu le sens…Si tu dois partir. Reviens-moi. Peu m’importe les années. Juste, ne m’oublie pas.
Je contrôle la brûlure qui flambe en moi, ravale les larmes et me contente de fermer les yeux.
Je les réouvre quelques heures plus tard sur le vide. Je reste un moment dans le lit à regarde la lettre posée sur la table de chevet. J’ai peur de me lever et de me rendre compte qu’il n’est plus là. Lui et ses affaires.
Il reviendra.
Je me le répète pour brouiller les larmes.
Ce n’est que le premier jour d’une longue solitude.
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