Chapitre 8 : Gauthier 1/2

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Je termine de ranger les livres dans l’étagère quand je sens une présence derrière moi. Un instant, je pense à Léonys, mais il est parti quelque jour chez sa sœur. J’hume un parfum ambré et devine Annabelle.

Elle s’accroupie à mes pieds, se met à la hauteur des rayures entre les livres.

— Il est revenu ?

— Sans déconner ? Tu crois ? Evidement qu’il est revenu, sinon qu’est-ce que je ficherai à faire le lézard sur la moquette ?

J’étouffe un rire. Annabelle me jette un regard mi-agacé, mi-désespéré.

— Tu ne pourras pas te cacher de lui définitivement.

— J’sais bien. Mais j’sais pas quoi faire. T’as vu comment je rougie. On dirait une adolescente. J’ai plus l’âge pour ces conneries.

— Ah, je ne savais pas qu’il y avait un âge pour tomber amoureux !

— Oh ! S’t’plait ! J’ai quarante neufs ans.

— Et alors ?

— Qu’est-ce que tu veux que je fiche avec un gamin de vingt-quatre ans. C’est n’importe quoi. C’était une erreur.

Là voilà qui fait le crabe maintenant pour rejoindre la salle de pause. Elle longe tout le rayon fantastique prête à plonger sous les profondeurs obscures de la bibliothèque. Je le regarde faire en secouant la tête amusée.

— On se demande qui est le gamin, lui lancé-je

— Chutttt !

Elle plaque son doigt sur sa bouche et se redresse avant de décamper fissa dans le couloir.

Je me détourne d’elle pour rejoindre George. Il bavarde avec sa fille. Il est radieux. Ça fait plaisir de le voir comme ça. Le divorce lui a fait du bien. J’espère ne plus jamais voir de marque sombre sur son corps. Si un jour on m’avait dit que mon très cher collègue était un homme battu, j’aurais sourcillé sans conviction. La vérité est qu’il est un homme doux, gentil et trop sensible. C’est Alanna qui a décidé de sauver son père. Une gamine de quatorze ans terrifiés par sa mère mais suffisamment courageuse pour protéger son père d’une nouvelle violence. Ça existe, aussi.

Je me rends compte de combien il y a de personnes en souffrance autour de moi, et qui garde un sourire d’apparence. Je vois mieux le monde depuis mes tête-à-tête avec Léonys. Comment va-t-il ?

— Gauthier ?

Je me retourne surpris.

— Excuse-moi de te déranger. J’imagine qu’Anna n’est toujours pas rentrée de son congé.

Le peu de conviction qu’il met à le dire me prouve à quel point mon mensonge n’a pas eu l’effet escompté.

— Elle est rentrée, mais je pense qu’elle a un peu de mal à accepter qu’elle en pince sur toi. Ne lui en veux pas. Elle se sent trop vieille pour ça.

— Vieille ?

Séraphin rit. Je suis étonné que sa voix ait tant changée. Elle est s’y masculine en comparaison de celle du gamin qu’il était. D’ailleurs en prenant le temps de l’observer, il n’a plus du tout l’air d’un gamin. Il a grandi. Son corps s’est épaissi. Il n’a rien d’un top model, loin de là, mais il a du charme. Je n’arrive pas à savoir si ce sont ses yeux clairs chargé de savoir ou bien son allure. Même avec son embonpoint, il a une élégance très sophistiquée. Il la porte avec sublime.

— Tu penses qu’elle répondra un jour à mes messages ou je peux me d’ores et déjà oublier notre petite idylle ?

Il n’est pas sans savoir qu’Annabelle me rapporte toute sa vie.

— Reviens dans deux ou trois jours. Je ferais en sorte qu’elle réalise ce qu’elle ressent.

— Bon courage. J’essaie depuis deux mois, sans résultat. Peut-être ai-je été trop gourmand en lui disant l’aimer.

— Non. Tu as eu raison. Ce n’est pas parce qu’elle a eu peur que tu doives taire tes sentiments.

— Ce n’est pas un jeu pour moi, Gauthier.

— J’en suis conscient. Pour elle non plus. C’est que vous avez vingt-cinq ans de différence. Pour elle, c’est énorme.

— L’âge a-t-il avoir avec les sentiments ?

— Pour certaine personne cela est vu comme un outrage. Je comprends très bien ce que tu dis. Crois-moi.

— Aide-moi, Gauthier.

— Je ferais mon possible pour ouvrir les yeux de cette grande nigote.

Il sourit en me tendant la main. Je l’attrape et la serre amicalement. Qui aurait cru que ce gamin revienne à Toulon et qu’en plus ce soit le correspondant d’Annabelle. Annabelle chat avec lui depuis deux ans sur un forum de barré de jeu vidéo. Il y a trois mois, ils sont allés ensemble à un festival de geek. Annabelle l’a reconnu après le cinquième rendez-vous. Ils avaient déjà couché ensemble. Elle ne connaissait pas son âge. Et à vrai dire, Séraphin fait plus que son âge.

Enfin, son prénom et la couleur de ses yeux auraient du la faire tiqueter. Sacrée Annabelle.

Il part. J’envoie un message à ma futur-belle-sœur.

Annabelle -Aujourd’hui 17H

C’est bon. Tu peux revenir. Il est parti.

Elle me rejoint, l’air lessivé.

— Il est sincère, la préviens.

— Tu crois, ironise-t-elle. J’avais pas fait attention.

— Il te plait, arrête de faire l’idiote et lance-toi. On a qu’une seule vie. Autant profiter des bonnes choses tant que ça dure.

— Vingt-cinq ans ? Qu’est-ce que je fais s’il veut des gosses ?

— Vous n’en êtes pas là que je sache.

— J’me prends trop la tête, pas vrai ?

Je hoche la tête en lui tapotant l’épaules.

— Je n’arrive toujours pas à réaliser que je sois tomber amoureuse de ce gamin. Parler avec lui, c’était comme parler avec moi. C’était tellement profond que j’ai toujours cru qu’il avait mon âge, se plaint-elle.

— Un jour Léonys m’a dit qu’aimer ça se faisait avec les personnes qui font battre notre cœur. Pas avec le reste du monde.

Annabelle soupire. Elle sait que j’ai raison pourtant, elle va cogiter encore un moment.

— Il pourrait avoir une belle jeune femme…

— Il en a une. Tu ne fais pas tes quarante neuf ans. Et tu le sais très bien.

Je caresse sa joue, lui souris.

— Tu es belle Anna. Magnifique.

— Tu dis ça pour te faire mousser par ta futur-belle-sœur, rit-elle.

— T’es bête.

Je la laisse, avec un regard attentionné et retourne à mes affaires. Il y a encore tellement de gens qui doutent d’eux-mêmes et à n’importe quel âge. Est-ce un effet de société ? Pourquoi les gens vont de plus en plus mal ? Le grand-père de Léonys m’avait dit que le savoir avait tendance à noircir les cœurs, les abîmer plus vite. En savons-nous trop de nos jours ? Est-ce pourquoi notre mental déraille ? La fatigue, l’épuisement, les angoisses, les doutes, la peur, le jugement… est-ce eux notre problème ou bien notre curiosité ? Notre contrôle sur notre vie ? Rien n’est pourtant définie...

Léonys est là, couché dans l’herbe de mon jardin. Il fixe la balançoire avec nostalgie. Je quitte mes affaires sur le perron et m’assoie à côté de lui.

— À quoi penses-tu ?

Il reste à fixer l’herbes, maintenant.

— À si j’étais une femme.

— Oh ! Je crois qu’on a tous eu cette pensée un jour.

Il est clair qu’il pense à Marc. Il n’a encore rien dit du pourquoi ils se sont séparés, mais je sais une chose, c’est que ça ne vient pas de lui.

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