Chapitre 9: Marc
Trois semaines…
Trois semaines se sont écoulées depuis que je suis parti. Léonys m’a envoyé des messages, m’a appelé et je l’ai ignoré. Il est sensiblement calme, presque indulgent. Ça me tort le cœur. Je ne veux pas lui donner l’impression que tout est sa faute. Parce que c’est faux. C’est moi. Mon problème à moi. Mes doutes. Mes Peurs. Je ne veux pas l’y confronter. Pas Nysi.
Ça me manque de pouvoir lui parler. Je lui ai toujours tout dit. Alors pourquoi, je m’en sens incapable ? Qu’est-ce qui déconne chez moi ?
Je serre les poings, ferme les paupières fort avant de les rouvrir sur une chambre qui ne m’appartient pas.
Léonys mérite quelqu’un qui acceptera cette vie à deux. Cette vie entre hommes.
Je mords ma lèvre pour me forcer à ne pas pleurer.
Je veux être cet homme. Seulement, je n’y arrive pas. Je me sens si lasse, flottant dans mon propre corps. D’où vient ce vide abyssal ? Est-ce que Cathy peut le combler ?
— À quoi tu penses ?
Cathy caresse mon torse en collant ses seins contre mon flanc. Ils sont chauds, mais pas autant que le torse de Léonys.
— À notre seconde chance, réponds-je.
Elle sourit. Je ne crois pas un mot de ce que je dis. Elle non plus, d’ailleurs. Je sais qu’elle retournera au Japon. Sinon, pourquoi avoir acheter un billet d’avion non daté ? Elle cherche des réponses. Je cherche celui que j’ai perdu : mon moi véritable. Celui qui après avoir était passé à tabac c’est carapaté dans le labyrinthe de ses noirceurs.
— Ça me fait bizarre de me dire que Gauthier va se marier, ajoute-elle.
— Pourquoi ça ?
— Je ne sais pas. Il avait l’air si timide à l’époque. Je ne le voyais pas avoir un rencart avec une femme. Au moins, un de nous semble mieux s’en sortir que les autres.
— Gauthier est peut-être plus méritant que nous autre.
Je me redresse. Elle me retient. Ses doigts encerclent mon poignet. Cathy le contemple quelques secondes, puis caresse la cicatrice. Je ne lui ai pas dit que c’était à cause d’elle, parce que c’était bête de faire ça. Elle n’était pas tant de chose pour moi finalement. L’émotion du moment. Je crois que c’est la peur de l’abandon qui m’a appelé à faire ça. Ma mère était morte. Mon père pouponné à des milliers de kilomètres. Cathy était la goutte qui a fait débordait le vase.
Elle ne pose pas de question. Un simple regard plein d’incompréhension. Je hausse les épaules. Il n’y a que Léonys qui sache la signification de cette marque. Il sait combien je me suis senti seul. Il l’a compris sans que je m’explique.
Nysi, bon sang que je t’aime.
Il faut que je me le sorte de la tête. Je ne suis pas bon pour lui. Je… Il ne peut pas compter sur moi. Le protéger ? J’y ai cru un temps. Aujourd’hui, j’en suis incapable, et je me sens le perdre lui aussi. Dans le regard des gens, je vois combien les mentalités stagnes. Si nous restons ensemble, nous serons en danger. Cette possibilité de nous retrouver encore dans cette situation me terrifie. Nysi a beau être un métamorphe, il n’en reste pas moins un homme. Depuis qu’on a concrétisé notre relation, il ne s’est plus jamais changé en merle. Ça me paraît encore fou cette histoire.
— Je vais prendre une douche.
Je détache les doigts de Cathy. Elle sourit, mais ne me propose pas de m’accompagner cette fois. Elle doit deviner mon humeur ou la tristesse envahissante qui m’habite.
***
L’eau dévale ma peau. Elle exerce ses bienfaits sur ce corps trop fin. Depuis quand j’ai arrêté de me nourrir normalement. Mes cotes apparente me renvoient aux innombrables repas passés avec Loénys et à son sempiternel : « mange un peu plus » — c’était à cause de lui ma bedaine. Ce n’est pas en m’affamant que mes problèmes se régleront. Il faut grossir, s’épaissir, devenir une montagne de muscle. Personne ne me chercherait des noix. Quelqu’un de censée ne s’approcherait pas d’un molosse. Léonys n’a jamais eu ce genre de souci. Même ce soir-là. Ces types ne l’ont pas suivi lui.
En même temps, un titan d’un mètre quatre-vingt-quinze avec cent-quinze kilos au compteur de la balance, ça ne donne pas envie de s’y frotter.
Il faut que je me rende à l’évidence, Nysi n’aspire pas ce genre d’élan. Personne n’a envie de le cogner. Il suffit de le regarder pour en tomber fou amoureux. Son visage de dieu antique lui offre tous les droits sur le commun des mortels. Homme ou femme. Même les gosses lui font risette.
Je l’envie. Désespérément. Tout son corps le protège de la dualité du monde.
J’ai beau savoir que ça l’isole, que ça lui fait mal, je ne pas peux m’empêcher de l’envier. Si j’inspirai à la fois la beauté et la férocité, peut-être bien que je pourrais me permettre de rester à ses côtés. La société nous tolérerait par peur et par fascination. Un titan et un molosse dont le visage dépeint la beauté énigmatique des cieux, n’auraient certainement pas à se confronter à une bande de connards.
L’eau me recouvre. J’ai besoin de cette chaleur pour ne pas me remettre à pleurer.
***
Cathy s’est éclipsée. Un rendez-vous avec ses amies du lycée. Je tape mollement la suite de mon chapitre dans son lit. Les idées se structurent malgré mon déplaisir à écrire. Je n’ai envie de rien, et plus les jours passent plus je me demande ce que j’attends de la vie. Les questions se multiplie alors que les réponses s’effacent une à une.
Mon portable vibre. Il est quatorze heures. Je n’ai pas besoin de lire le message pour savoir ce qu’il dit et qui l’a écrit. Léonys est remonté comme un coucou. Il a arrêté de m’appeler. Je n’ai plus droit à vingt messages par heure. Désormais, il se contente de m’écrire un bref mot : « Comment vas-tu ? J’ai fait … Bis ». Plus de je t’aime. Plus de supplication. Il cherche à connaître mon état et me donne brièvement de ses nouvelles, pour ne pas perdre le contacte. Il s’accroche aux ramures.
Le portable vibre une seconde fois. Je fronce les sourcils, mais ne lui jette aucun regard. Il ne faut pas.
La sonnerie me vol un sursaut. Les battements de mon cœur s’emballent, comme la première fois où j’ai embrassé Nysi.
Le nom de Louisa s’affiche sur l’écran.
J’hésite à décrocher. Léonys a dû mettre Gauthier au courant de notre rup… de ma fuite. A-t-il mis notre chère Louisa au parfum, aussi ?
Je mordille ma lèvre, prend le portable et décroche.
— Ah ! Super ! Coucou, Marc. Ça va ?
— Oui, réponds-je surpris par la gaité dans sa voix.
Serait-il possible qu’elle ne sache rien ? Est-ce que Nysi en à parler autour de lui ? Le doute m’assaille. Un mal de ventre féroce réveille la honte.
— Je t’appelle pour avoir des nouvelles de monsieur. Tu fais le mort ?
— Euh… Je…non. Pas du tout.
— Je te taquine, mon bichon. Comme Léo m’a dit que tu ne te sentais pas très bien, je me suis inquiété. Gauthier et lui me paraissent très étrange à ton sujet. Leur voix est différente. Il fallait que j’en ai le cœur net. Tu n’es pas fâché ou malade ? Tu viendras au mariage, pas vrai ?
— Euh… Je ne suis pas fâché ni malade.
Ils ne lui ont rien dit. Que dois-je faire ? La rassurer.
— Ravie de l’apprendre. Parce que tu as ignoré mes deux derniers messages vocaux. Tu m’as habitué à mieux. Alors ? C’est quoi le problème ?
— Aucun, dis-je trop rapidement pour être crédible.
— Tu m’en diras tant.
— Si c’est pour le mariage, je viens.
En ai-je encore le droit ?
Si Gauthier est un grand ami de Léonys. Je suis devenu celui de Louisa.
— Je ne l’imaginais pas autrement, mais je suis Ravie de te l’entendre dire. Sur ce, j’ai besoin de tes lumières pour mes vœux.
— Tu les as encore modifiés ?
— Oui, j’ai fait ça. Ça t’étonne ?
Elle rit. Je souris. Du Louisa tout cracher.
— Bizarrement, non. Tu sais que tu te marie dans deux semaines.
— À ce qu’il parait. Aide-moi encore une fois. S’te plait !
— Encore une fois ?
— Roh, là, là ! Aide-moi encore plein de fois. Il faut que ce soit parfait. Je me marie qu’une fois. Je veux que Gauthier entende et comprenne bien ce que je ressens. Depuis que je lui ai annoncé la possibilité de revoir, il doute constamment. Il s’éloigne. Je veux le rassurer. Aucun homme ne pourrait me rendre plus heureuse. Je l’ai attendu longtemps, Marc. Je ne saurais pas vivre sans lui.
— OK. Tu veux qu’on se retrouve où ?
— Chez ma sœur, demain à 15h. Ça te convient.
— OK.
Elle raccroche. Il est clair que personne ne lui à rien dit. Et je crois en comprendre la raison. Selon Gauthier, Louisa idolâtrerait ma relation avec Léo. Lui annoncer notre rupture serait lui annoncer que ces croyances sont toutes faussées. Comment le prendrait-elle ?
Si Gauthier n’a rien dit, peut-être serait-il plus prudent de ne rien dire. Du moins pour le moment.
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