Chapitre 12 : Gauthier
Léonys tire le portique devant nous. Il esquisse un sourire vers le monospace. Mes amis nous saluent une dernière fois dans l’euphorie avant de s’éloigner. Hermes agite la main par la fenêtre. Il a un coup dans le nez pour le grand bonheur d’Anick et de Shelly qui chantent à tue-tête. Ericka redresse ses lunettes rondes en faisant de grand signe à George pour qu’il suive Lucie en scooter.
— Lucie sait où c’est ! l’entends-je.
Sa crie amicalement. J’ai la tête qui me tourne un peu de notre soirée.
— À demain ! hurle Hermes, toujours la tête hors de la voiture.
— Il est complétement déchiré, me fait remarquer Léo.
— Ça lui fait du bien. Il est toujours trop dans le contrôle depuis son accident de vélo.
— T’es plus au courant que moi.
Léonys est étrangement sombre malgré la dizaine de verre qu’il a vidé et la joie factice collé sur son visage.
Il n’a pas encore digéré l’annonce. Je lui ai dit que Marc venait à mon mariage… accompagnée. Je n’ai pas osé lui dire qui était sa partenaire. Il n’a pas demandé. Ce sera la première fois qu’ils se revoient depuis leur séparation. J’ai toujours un peu de mal à réaliser qu’ils ne sont plus ensemble. Ça me parait si peu naturel. J’espère seulement que ça ira.
— On se prend un dernier verre ? demande-t-il.
— Je devrais rentrer.
— La voiture de Louisa n’est pas encore là, ce qui veut dire qu’elle n’est pas encore rentrée.
Nous avons décidé de rester chez ma mère jusqu’au mariage.
Encore un jour et nous serons marier Louisa et moi.
— Stresse pas, beauté.
Léo a toujours cette étrange capacité de deviner où mon esprit m’emmène.
— Facile à dire.
— Alors, on se le fait se dernier verre ?
Je hausse les épaules résigner à le suivre.
— Un jus de fruit pour moi.
— Je m’en serais douté ! rit-il.
L’alcool ne m’a jamais réussi, puis je n’aime pas ça. Un peu de champagne, du pétillant, pas plus.
Nous montons à l’étage, j’ouvre la porte. Léo me suit dans la cuisine. Son pas est traînant, son regard noyé dans la tristesse. Il cherche à oublier tout en espérant. Comment lui avouer que ces croyances sont vaines. Marc a tourné une page, et c’est sur leur histoire qu’il a mit un point final.
J’attrape deux verres et la limonade dans le frigo. Léonys secoue la tête.
— Pas de limonade pour moi. Donne-moi quelque chose de fort, s’il te plait.
— Tu as assez bu, non ?
— Non. Et tu le sais très bien. Je ne suis même pas assez bourré pour danser nu sur une table.
— Ce n’est pas plus mal, Léo. Je ne suis pas certain de vouloir te voir danser sur la table de la cuisine, nu.
— Ah ! C’est dommage. Je danse très bien sur les tables et j’ai un corps MA.GNI.FI.QUE.
— Je n’en doute pas.
Il danse bien n’importe où, sur n’importe quelle musique. Le regarder se mouvoir reste toujours un plaisir. Son déhanché. Le swing dans ses longues jambes. Ses bras malaxant l’air. Et j’imagine combien il doit être beau complétement nu. Je n’ai jamais vu ce qu’il cache sous son éternel short d’été. Mais les formes ont toujours parlé d’elles-mêmes.
Léo saisit la bouteille d’absinthe sur l’étagère, offerte par mon futur- beau-père, et s’en verse. Son corps est à quelques centimètres du mien. Je sens toute la chaleur qu’il porte en lui. Son corps a toujours été anormalement chaud. À croire qu’il est porteur d’une fièvre permanant.
Je transpire légèrement, détourne le regard quand il caresse les boucles dans mes cheveux. D’où lui vient cette attraction sur les autres ? Le devinerais-je un jour ?
Il pose le verre entre ses lèvres, penche la tête. Le liquide dévale dans sa gorge ondulante. Il me séduit. Ce n’est pas une prouesse pour Léo. Il le fait même en baillant. Je ne tomberai pas dans son piège. Je le connais trop bien.
En déglutissant, je sens mon cœur tonner dans ma poitrine. Peut-être que la fatigue, les vapeurs de l’alcool et la soirée dans son ensemble, me font divaguer. Je lui résisterai.
— On va dans le jardin ? propose-t-il.
Doucement, Léonys tire sur mon menton.
— Pourquoi tu détournes le regard ? poursuit-il.
Je ne lui mentirais pas.
— Parfois, tu brilles trop. Ce n’est pas seulement moi, mais…
— Je sais. Tout le monde.
Il boie une autre gorgée en faisant jouer ses doigts sur mon épaule.
— Mais toi, tu as l’habitude de me voir, alors pourquoi tu rougies. Ça fait longtemps, en tout cas.
— Parce que… Tu es si triste. Et tu vois, ça…
Je cherche mes mots comme un adolescent. Il hausse les sourcils, peu sûr de comprendre. En même temps, je ne l’y aide pas beaucoup.
— Tu es étrangement beau quand tu as…
Son nez se fronce. Sa bouche se pince. Une suggestion se lit dans ses prunelles.
— … mal ?
C’est le mot.
Il n’y en a pas d’autre pour décrire ce que je cherchais à dire.
Je mords mes lèvres comme un enfant, baisse les yeux et hoche la tête.
— Tu es déraisonnablement beau quand tu as mal.
— Ah ! Je ne m’en doutais pas. Et cette beauté, qu’aimerais-tu en faire ?
— La regarder de loin.
— Pourquoi ?
— Parce que je ne sais pas comment la dompter ou lui rendre sa lumière.
Facile.
Parler avec lui a toujours été facile. Je le soupçonne d’avoir un don pour dénouer les langues.
Son index s’égard sur ma joue, descend progressivement dans mon cou, viens jouer avec ma boucle d’oreille. Il plonge intensément dans mon regard. Mon cœur s’emballe à nouveau comme un crétin. Ce n’est pas de l’amour, mais une pure attirance. C’est dur de l’ignorer, de lui dire non.
Je me sens sur le point de chavirer, prendre ses caresses pour celles de Louisa. Non. Ce n’est pas elle. Il s’agit de Léonys et de ses capacités à faire tourner les têtes.
— Je ne suis pas Marc, Léo.
J’attrape gentiment sa main, la garde dans la mienne un instant avant de la lui rendre et de m’éloigner avec mon verre.
— Si tu avais été lui, tu serais sur le plan de travail à l’heure qu’il est ; ma langue jouant avec la tienne.
Je ris.
—Merci pour l’image. Ne te sens pas obligé de partager tes fantasmes.
— Ça me fait plaisir. Je sais que tu les garderas précieusement pour toi, mes fantasmes.
Il se dirige dans le couloir. Je le suis.
Dans le jardin, mon cher ami explore le fin fond de l’espace à la recherche d’une réponse. De celles qui nous permet de marcher à nouveau.
— À quoi tu penses, Gauthier ?
Sa question me surprend. Je le croyais si loin de moi, dans sa contemplation de l’amour et de ses diverses problématiques.
— Je… Je pense à toi, à savoir ce que tu penses. Si j’ai raison d’avoir peur.
— Peur ?
Il tourne la tête vers moi. Sa joue rencontre ma cuisse.
— Explique-toi, Gauthier. Pourquoi de la peur ?
J’inspire et m’allonge pour ne pas croiser ses yeux. Sous la clarté de la lune, ils paressent toujours plus clair, souvent plus étoilé que le ciel.
— J’ai l’impression que tout ton monde c’est écroulé quand Marc est parti. Depuis, j’ai la sensation que tu hésites à faire le moindre changement.
Un silence passe entre nous.
Léo ne répond pas, donnant à mon hypothèse une valeur de réalité.
— S’il ne revient pas, ai-je tort de croire que tu te noieras ?
— Non. Tu n’as pas tort. Je le fais déjà.
Il redresse son buste, les jambes en tailleur, le dos courbé.
— Quand il est parti, c’est comme s’il avait mi ma vie sur pause. Et j’n’suis pas sûr de savoir redémarrer sans lui. Je n’arrive pas à me dire qu’il ne veut plus de moi. Je… Il m’aime. Fort. Peut-être plus qu’il ne se l’imagine.
Je suis d’accord avec lui. C’est une évidence qui les a toujours enveloppés, mais peut-on être certain de ce genre de croyances tout au long d’une seule vie ? Est-ce qu’elles ne peuvent pas changer, prendre des formes différentes ? Et si leur amour avait muté ? Léonys serait fou de Marc, mais celui-ci lui aurait redonner la place d’un bon ami ?
— Ne te prends pas la tête pour des histoires qui ne sont pas les tiennes, Gauthier. Tu as un mariage à vivre.
— Oui. Je devrais me préoccuper de mes propres problèmes, mais que veux-tu ? Ce sont les tiens qui me tiennent le plus à cœur.
— Pourquoi ?
— Parce que toi et Marc êtes un model pour moi et Louisa. Vous voir, c’est croire en l’amour infini.
— Tu portes trop d’espoir en nous. Notre amour est celui de deux meilleurs amis : un peu trop passionné. Aujourd’hui, la flamme a vacillé. Elle garde les bons moments et y cloue des points d’interrogations.
Il se tait, ne parlera plus de la soirée. Il en serait incapable sans déclencher sa peine. Alors, je respecte son silence. J’entends ce qu’il signifie.
« Nous sommes là pour fêter ton bonheur, pas ma douleur ».
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