06. She just shot this man down
Alken
Je peste alors que ma voiture a calé devant le feu. Je suis à peine sorti du parking souterrain de l’immeuble. J’ai beau tourner la clé pour essayer de redémarrer, rien ne se passe. Les voyants s’allument, mais à part le symbole rouge d’une batterie, la voiture ne répond pas. J’essaie et j’essaie encore, espérant un peu absurdement lancer le moteur, mais il m’abandonne à mon triste sort. Les gens klaxonnent derrière moi et cela me met une pression de dingue. Mais qu’est-ce que je peux y faire, moi ? Je mets mes feux de détresse et sors de la voiture pour faire signe à ceux qui s’énervent derrière moi que je ne peux rien pour atténuer leur colère. J’ai le plaisir de me prendre quelques doigts d’honneur et autres insultes mais je n’y prête pas plus attention que ça tandis que j’appelle mon assurance pour qu’ils envoient une dépanneuse. Le gars qui arrive avec son camion essaie lui aussi de redémarrer ma voiture avec des câbles, mais en vain. Il emmène la voiture au garage et me laisse là, seul et sans moyen de locomotion. J’essaie d’appeler l’ESD pour les prévenir de mon retard, mais bien entendu, en ce jour de rentrée, tout le monde est débordé et personne ne répond.
Vite, je retourne dans mon appartement, je cherche ma carte de transport qui n’est bien entendu pas à sa place habituelle et quand enfin je la trouve, je me précipite à l’arrêt de bus. J’enchaîne ensuite avec le métro et je vois l’heure défiler. Je suis en retard pour la rentrée. Je vais me faire recevoir par Elise, moi ! La Directrice de l’ESD ne va pas être tendre, c’est sûr.
Quand j’arrive au centre, même en pressant le pas, je ne peux m’empêcher d’admirer l’édifice fait de briques et de verre. Les bâtiments, plutôt modernes, sont à la fois imposants et gracieux. On y voit le côté artistique, assurément, mais aussi toute la majestuosité de cette European School of Danse dont la renommée est internationalement reconnue. Vu mon retard, je ne suis pas surpris de voir qu’il n’y a plus personne sur l’esplanade à l’entrée où nous faisons traditionnellement l’accueil des nouveaux élèves. Je passe rapidement par mon bureau au bâtiment administratif pour y déposer mes affaires et croise ma chère et tendre épouse qui me décoche un sourire ironique alors qu’elle sort de sa classe avec son groupe de danseurs. La matinée est déjà presque finie et je me rends dans ma salle de classe. Je frappe pour annoncer mon arrivée mais me décide à entrer sans même attendre l’autorisation. Elise m’accueille froidement et me lance un regard qui ne promet rien de bon pour la suite. Je m’excuse et m’apprête à m’installer, mais elle me renvoie immédiatement. Le ton est donné, ça va être ma fête.
Je ressors la queue entre les pattes et retourne au bâtiment administratif où je retrouve Marie, la secrétaire à l’accueil. Cette petite brune rondelette aux yeux verts magnifiques me fait de l'œil depuis qu’elle a appris que je suis séparé d’Elizabeth. J’avoue qu’elle ne me laisse pas insensible et que je ne lui ai jamais fermé la porte, même si nous en sommes restés au simple flirt pour l’instant.
— Bonjour jolie Marie, l’interpellé-je en lui faisant la bise et en matant son décolleté. C’est la galère ce matin. Tu crois que la Harpie va juste me passer un savon ou qu’elle va m’en faire baver jusqu’à la fin du mois ?
— Bonjour Alken, sourit-elle en se redressant. Je crois que tu risques d’en baver. Vu sa tête tout à l’heure, il n’est pas impossible que tu te tapes tout le travail ingrat pendant un moment.
— Tu essaieras d’intercéder en ma faveur, hein ?
Elle se recule alors sur son fauteuil, pose ses mains sur les accoudoirs et met bien en valeur sa poitrine. Les tétons qui pointent à travers la chemise, dont le dernier bouton n’est pas fermé, me font comprendre qu’elle n’a pas de soutif et je ne peux m’empêcher de sourire face à cette agréable vision. Elle s’amuse de ma réaction avant de croiser les jambes.
— Ça dépend de ce que tu m’offres en échange, l’Irlandais. Tu crois qu’on pourrait envisager d’aller dîner, un de ces soirs ?
— Si tu parviens à la calmer, tout ce que tu veux, jolie Marie. Comment pourrais-je te refuser quoi que ce soit ?
— Eh bien je vais me dépasser pour avoir droit à tes faveurs, minaude-t-elle en se levant pour me tendre une feuille. Tes messages, il semblerait que tu aies déjà du boulot sans même qu’Elise t’ait puni, vilain garçon. Et ça, je ne peux rien y faire.
— J’ai hâte de t’en faire profiter et de voir ce que tu caches à peine sous ce petit chemisier sexy, rétorqué-je en humant son parfum fruité. Mais d’abord, le boulot, soupiré-je en m’éloignant alors que les images d’elle nue allongée sur son bureau me mettent à l’étroit dans mon pantalon.
C’est fou, je me demande ce qui arrive à ma libido. Ce n’est pas comme si je n’avais pas passé les meilleures nuits de sexe de ma vie ces derniers jours, en plus ! J’ai l’impression que depuis ma séparation, j’ai retrouvé toute la fougue de ma jeunesse.
Je mange une salade vite fait dans mon bureau et me rends dans la salle de danse avant qu’Elise n’ait pu me tomber dessus. En attendant les élèves, je décide de m’échauffer un peu et je fais quelques exercices, ce qui me permet rapidement d’oublier tous mes déboires de la matinée. Je lance une chanson de Rihanna sur le système surround de la pièce et improvise une chorégraphie au gré de mon inspiration. J’enchaîne les pas et les mouvements et me laisse totalement porter par la musique. Chaque Rampampampam me pousse à faire des petits pas en rythme, mais quand la porte s’ouvre sur le “I just shot a man down” de cette extraordinaire chanteuse, c’est moi qui ai l’impression de me prendre un coup de fusil. Je m’arrête dans ma danse une jambe en l’air avant de la reposer lentement et de dévisager la jeune femme qui vient de pousser la porte, suivie de mon fils qui doit mener les autres vu qu’il connaît bien les locaux.
Elle est en pleine discussion avec Kenzo et n’a pas encore pris le temps de se tourner vers moi, mais je suis sous le choc de mon côté. Joy. La serveuse du Nouveau Départ. Là, vêtue d’un simple legging noir et d’une brassière bleue qui, comme toutes les tenues de danse, ne laissent pas beaucoup de place à l’imagination. Et de toute façon, je n’ai pas besoin d’imagination car il y a encore quelques heures, cette jolie brune partageait mon lit et jouissait dans mes bras.
Quand son regard croise le mien, ses yeux s’ouvrent en grand et elle s’arrête de parler à Kenzo qui ne se rend heureusement pas compte de son trouble. Elle semble plutôt mal à l’aise mais ne détourne pas les yeux pour autant. Ses pupilles bleues me transpercent et j’ai l’impression que tout son être m’accuse de tous les maux de la Terre. Celle que j’ai draguée ouvertement pendant quatre jours pour obtenir ce que je voulais est à présent en face de moi pour assister à mon cours. Je me retourne pour échapper à son regard et vais arrêter la musique afin d’accueillir mes élèves dignement.
Je repense à la façon dont je l’ai draguée. Je me suis moi-même trouvé lourd, pour être honnête, à tenter de l’attirer dans mes filets. Mais je n’ai pas pu m’en empêcher. Elle dégage assurément quelque chose de particulier, parce que tout son être m’a instantanément captivé. Son côté hyperactif m’a fait tourner la tête, presque autant que son sourire ravageur ou ses formes voluptueuses. Joy attire le regard et l’attention des hommes, et j’en ai fait le constat dans ce Pub où je n’allais jamais jusqu’à ce que je la croise par hasard sur le trottoir.
J’essaie de faire comme si de rien n’était et demande aux futurs danseurs de s’asseoir à même le sol quelques instants. J’évite absolument de regarder vers Joy et Kenzo.
— Bonjour à tous. Je suis le professeur O’Brien et j’enseigne la danse contemporaine. Je tiens déjà à m’excuser pour mon absence ce matin. Ma voiture est tombée en panne en plein milieu de la route et je peux vous assurer que cela ne se reproduira pas, même si je dois pour cela dormir sur place. Car ici, l’excellence est de rigueur et cela vaut évidemment pour mon cours. Les heures de travail ne doivent pas être comptées, l’erreur est humaine à partir du moment où elle vous sert à avancer. Je serai, durant toute votre formation, le responsable et référent de votre groupe qui a choisi comme spécialisation l’art que j’enseigne. Si vous rencontrez un problème, n’hésitez pas à venir me trouver.
Je dévisage tous ces jeunes visages qui m’observent avec une attention non feinte. Ils ont déjà fait beaucoup d’efforts et de sacrifices pour obtenir une place dans cette école prestigieuse, mais ils ne se rendent pas encore compte de tout ce qu’on va leur demander. Je soupire car d’habitude, j’adore ces premiers moments avec mes élèves, C’est l’instant où tout se joue, où je sais si je vais avoir une année agréable ou compliquée. Mais là, tout mon esprit est occupé par la voluptueuse brune qui me dévisage, imperturbable. Elle a repris son assurance, m’envoyant même un regard noir. Pourquoi ? Je n’y peux rien, moi, ce n’était pas prémédité !
Pour ce premier cours, j’ai besoin de connaître un peu leur niveau et je leur demande donc d’improviser une petite chorégraphie sur la musique qui passera. C’est aussi un moyen de voir comment ils résistent à la pression et comment ils se comportent devant une audience plutôt exigeante et bien consciente des difficultés et des performances à accomplir dans ce genre d’exercice. Je m’installe derrière tous ces jeunes impatients de débuter leur apprentissage et lance la musique en faisant signe à une petite rousse de commencer les hostilités.
En parlant d’hostilités, je sens que ma future confrontation avec Joy ne se fera pas en douceur. Moi qui comptais retourner au Nouveau Départ ce soir comme je l’ai fait ces derniers jours, mes plans tombent à l’eau. Coucher avec une étudiante n’est pas déontologique, et autant dire qu’ici, il y a eu des expériences dans ce genre qui ont conduit à un renvoi immédiat, de l’étudiant autant que du professeur. Merci, mais non merci. J’aime beaucoup trop mon job et aucune chatte, si agréable soit-elle, ne foutra en l’air mes années de travail. Pourvu que personne n’apprenne ce qu’il s’est passé, sinon on risque même de remettre en cause l’admission de la jeune femme. J’espère que notre libido ne va pas remettre en cause notre avenir à tous les deux !
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