67. J'ai accepté par erreur ton invitation
Joy
J’enfile mon jean sans pouvoir me départir de mon humeur qui s’est brusquement assombrie avec cet appel à Alken. Moi qui me réjouissais d’avoir enfin un moment rien qu’à deux, j’ai rapidement déchanté. Honnêtement, j’ai conscience que je fais une fixette sur cette histoire d’hôtel, mais c’est quand même plutôt dérangeant, comme proposition. C’est un peu comme s’il était marié et trompait sa femme avec moi de temps à autres. Bon, techniquement, il est encore marié, mais ça n’entre pas en ligne de compte puisqu’ils ne sont plus ensemble.
Je prépare mon sac pour les cours de demain et y glisse également une tenue de rechange ainsi qu’un nécessaire de toilette. Il faut que je me calme et que je relativise. La peur d’Alken est légitime, puisque nous la partageons depuis le début de notre relation, à des degrés différents, je crois. Là, mon Irlandais a pris un sacré coup de chaud et est clairement en panique. D’ici à ce qu’il me dise qu’il préfère arrêter les choses, par mesure de précaution, on n’en est pas loin malheureusement. Lui qui me disait, il y a quelque temps, qu’il pourrait quitter son boulot pour qu’on puisse vivre notre histoire tranquillement, on semble bien loin de cette époque, je crois. En même temps, pourquoi prendre des risques pour une nana incapable de lui dire qu’elle l’aime ? Bon sang, j’aurais mieux fait d’y réfléchir à dix fois avant de l’appeler pour lui proposer cette soirée tous les deux. Je me serais posé bien moins de questions si je ne l’avais pas fait.
C’est dans cet état d’esprit que je prends la route pour la ville alors qu’il pleut des cordes. J’ai bien peur que cette soirée vire vers quelque chose que je n’avais pas anticipé en l’appelant.
Je me surprends à jouer la James Bond girl en me garant dans la rue adjacente à son immeuble et en vérifiant qu’il n’y a personne aux alentours alors que je profite que l’un de ses voisins sorte pour m’engouffrer dans le bâtiment. L’ascenseur me rappelle, encore et toujours, nos premières étreintes et les suivantes, et j’arrive à me convaincre que tout va bien se passer parce que nous avons ça. Cette complicité, cette alchimie qui fait que nous ne pouvons résister. Au moins, impossible de s’ennuyer avec une telle relation.
L’Irlandais m’ouvre la porte quelques secondes après que j’y ai toqué. Il porte un jean et un petit pull plutôt moulant, qui suffisent à me rappeler combien j’aime me lover contre son grand corps réconfortant. Je dépose un baiser sur sa joue en entrant et pose mes affaires avant de le suivre à la cuisine.
— Tu vas bien ? Personne ne m’a suivie, j’ai fait très attention, promis.
— Tu es encore plus belle en vrai qu’en vidéo, me répond-il en m’attirant contre lui pour m’embrasser comme il se doit.
— Même si je suis plus habillée ? ris-je en glissant mes mains fraîches sous son pull.
— Oui, et je suis vraiment désolé pour tout à l’heure. C’est juste qu’il faut qu’on fasse attention. Et ce n’est pas gentil de te moquer de moi. Les risques sont importants quand même.
— Je sais, soupiré-je en allant m’asseoir sur l’un des tabourets du comptoir. Mais on a toujours fait très attention, je ne vois pas ce qu’on peut faire de plus.
— Je ne sais pas non plus, dit-il en venant se coller derrière moi. Peut-être qu’on devrait faire encore plus attention ?
Il se montre tactile, passe ses mains dans mes cheveux, mais j’ai l’impression que malgré tout ça, il est un peu absent, comme s’il n’était pas vraiment avec moi et cela me met un peu mal à l’aise.
— Et comment veux-tu faire plus, Alken ? On arrête de sortir, pour le peu de fois où on le fait, et on se retrouve deux heures à l’hôtel une fois par semaine ? On ne danse plus ensemble pour éviter le genre de photos de cet article ? L’un de nous change d’école, tant qu’on y est ? lui demandé-je, de plus en plus inquiète.
— J’ai pas dit ça non plus, Joy. Mais tu es jeune, tu n’as pas forcément les mêmes envies et les mêmes besoins que moi. Je n’ai pas grand-chose à t’offrir, moi. Juste mes sentiments et c’est tout. Et jamais, je le sais, je ne me contenterai de toi en tant que plan cul comme tu le décris si bien.
— Qu’est-ce que tu veux, Alken, au juste ? Parce que là, tu m’as perdue, soupiré-je en me tournant vers lui. Tu es bien loin d’être un plan cul pour moi, je te l’ai dit, j’attends plus de nous.
— Ah oui, vraiment ? Je suis plus qu’un plan cul mais moins qu’une relation sérieuse ? Je suis quoi pour toi ? Et qui me dit que ce que je ressens pour toi, toi aussi tu le ressens pour moi ? Bon sang, Joy, je suis fou de toi, je ne peux pas me passer de toi, mais là, moi aussi je suis perdu. Et j’ai peur de mettre en danger plein de choses, pour toi, pour moi, pour nous, sans être sûr que c’est une bonne idée. Tu vois où j’en suis ?
Je l’observe en silence un moment avant de lui répondre. Là, je paie cher ma non-réponse à sa déclaration, je crois. C’est sans doute mérité, je l’avoue, mais de là à m’accuser, moi, de ne le considérer que comme un plan cul… Alors que cela fait déjà un moment que je mets bien plus de chose que le sexe dans notre relation.
— Il faut que je te supplie de me garder pour que tu prennes le risque ? Ça ne semblait pas te déranger plus que ça, ce risque, jusqu’à présent. Je comprends que l’histoire de Markus t’ait remué, mais je n’y peux rien, moi.
— Tu n’as pas besoin de me supplier, tu sais bien que je n’ai aucune envie de te perdre, Joy. Et désolé si je suis un peu chamboulé par cette histoire. J’arrive pas à m’empêcher de m’imaginer à sa place, avec ma photo dans les journaux et les magazines people. Ça fait peur de voir tout ça.
— Tu sais quoi ? Je vais rentrer chez moi. Je crois que tu as besoin de réfléchir à tout ça, dis-je en me levant. Prendre de la distance, peser le pour et le contre, tout ça, tout ça. Je te laisse encaisser les choses et… On en reparlera plus tard.
Je rejoins l’entrée et remets mon manteau et mes chaussures rapidement alors que je l’entends débarquer derrière moi.
— Tu vas me laisser comme ça ? s’emporte-t-il. Alors que j’ai besoin d’être rassuré ? Besoin de te sentir près de moi pour être sûr de ne pas faire une connerie de continuer à faire des efforts pour toi ? Sans rire, c’est comme ça que tu vois notre relation ? Tu te barres parce que j’ai pas forcément envie de baiser ce soir ?
— Faire des efforts pour moi ? m’esclaffé-je. Tu plaisantes ? C’est donc si difficile d’être avec moi ? C’est quoi le problème, en fait ? Parce que je n’ai pas l’impression de te demander la Lune. Et surtout pas celle de te réclamer du cul à chaque fois qu’on se voit. J’y crois pas, bon sang ! Tu veux que je te rassure en te disant quoi ? Que je t’aime ? Ça te suffirait ? Parce que si t’as pas compris que c’est le cas, que je suis suffisamment dingue de toi pour risquer ma carrière à peine débutée, mon amitié avec ton fils, toute ma vie, somme toute, c’est que tu as un petit pois à la place du cerveau ! Alors ouais, je t’aime, je t’aime suffisamment pour accepter ce foutu hôtel pour te rassurer, pour me contenter de quelques heures par-ci, par-là en attendant mieux, mais je ne peux pas faire de miracles, non plus.
— Ouais, ben l’hôtel, tu m’as bien fait comprendre que tu n’en voulais pas. Tu parles du grand amour, répond-il d’un ton amer.
— Oh arrête, Alken, soupiré-je, agacée. L’hôtel ça fait tout sauf relation sérieuse, excuse-moi de trouver ça dérangeant. Si tu mesures l’amour sur ça, on est mal, je te le dis.
— Tu veux arrêter tout, c’est ça ? Une dispute, et ça y est, tout ce qu’on a vécu s’efface en une seconde ? C’est fou, ça.
— Je n’ai jamais dit ça ! Oh bordel, c’est pas possible, Alken. Je t’ai dit que je te laissais réfléchir à tout ça, que je te laissais de l’espace pour prendre du recul sur ce que tu vis avec ta compagnie, c’est tout. C’est toi qui en fais tout un foin, là. Bonne soirée, Alken.
Je récupère mon sac, tourne les talons et sors rapidement, avant de dire quelque chose que je pourrais regretter. Au lieu d’attendre l’ascenseur, je m’engouffre dans le couloir et descends par les escaliers, évitant ainsi qu’il puisse éventuellement vouloir poursuivre cette conversation. Oui, je fuis, mais étant donné que nous sommes tous les deux énervés, je doute que continuer à nous disputer soit une bonne idée.
Théo fronce les sourcils en me voyant débarquer à la maison. Je crois que j’ai interrompu une séance de papouilles devant un film d’horreur qui ne semble pas vraiment les intéresser.
— Désolée, je vous laisse tranquilles, je file dans ma chambre, soupiré-je en me servant un grand verre d’eau à la cuisine.
— Tout va bien, Princesse ? me demande mon colocataire qui se lève déjà pour venir à ma rencontre.
— Oui, rien de grave. Un comptable de mauvaise humeur, j’ai préféré rentrer, c’est tout, souris-je en l’embrassant sur la joue.
— Ne fais pas tout de suite le bilan de clôture, hein ? Il y a des jours où ça va moins bien, c’est normal. Si tu as besoin, tu n’hésites pas à venir nous voir, tu sais que tu ne nous dérangeras pas.
— Oui, enfin, non, ris-je. Je ne suis pas intéressée par un plan à trois, mon Chou ! Ça va, ça lui passera, je crois. Au moins, je vais pouvoir faire une vraie nuit de sommeil, contrairement à vous !
— Il ne sait pas ce qu’il perd, ton comptable, lance Kenzo qui vient se coller derrière Théo pour l’enlacer. Et même sans plan à trois, on est tes amis, donc tu viens si tu veux en parler. On saura rester sages, me déclare-t-il en me faisant un clin d'œil.
— Vous êtes des amours.
Je les embrasse tous les deux sur la joue et file à la salle de bain. Merde, me voilà jalouse de les voir complices et proches alors qu’Alken et moi ne pouvons pas partager un moment tranquille sans que ça ne parte en live.
Je me glisse sous la douche sans pouvoir m’enlever de la tête que l’Irlandais est vraiment monté très rapidement dans les tours, ce soir. Il n’a même pas relevé que je lui ai avoué mes sentiments. Ce soir, j’ai dit “je t’aime” à un homme, et tout ce qu’il en est ressorti, ce sont des reproches. Je conçois que j’aurais sans doute pu trouver meilleur moment pour lui dire, mais clairement, il fait suer, le danseur. Je sens que la nuit ne sera finalement pas si calme que ce que j’ai pu insinuer auprès des garçons.
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