Prologue

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Son premier souvenir net est celui de sa rencontre avec Ekkehardt Kleim alors qu’elle n’avait que quatre ans. Il était apparu de nulle part, grand et mince, les cheveux si clairs et les yeux tellement glacials, tellement incongru parmi les passants, qu’elle s’en était tenue éloignée. Elle craignait qu’il s’agisse d’un mort marcheur issu des contes de sa mère, qui avait perdu les couleurs de la vie et cherchait à boire celles des petites filles turbulentes pour subsister.

La créature s’était justement présentée à sa mère et ils avaient parlé dans un dialecte incompréhensible. Elle était certaine qu’elle allait lui être livrée pour ne pas avoir été sage et, quelque part, c’était le cas. Il s’agissait simplement de son père biologique qui allait l’emmener avec lui sur sa terre natale, loin, très loin d’ici. Néanmoins, ni lui ni elle ne le savaient encore. Il s’agissait du dessein de sa mère.

C’était la dernière fois qu’elle la voyait et, lorsqu’elle l’avait compris, elle avait été envahie par l’incompréhension, la tristesse, la peur, ainsi que par de douloureux sentiments d’abandon et de trahison. Pour s’en préserver, elle fit de son mieux pour arracher ses premières années de vie avec sa génitrice, et elle se débrouilla si bien que tout souvenir était flou à présent. Quasiment absent. Ses traits s’étaient brouillés, par logique elle la liait à de longs cheveux d’un noir bleuté et des yeux en amande. Rien de plus.

Parfois, elle croyait se souvenir des rizières, du bambou, des bols de riz et des larges chapeaux, avant de se douter qu’elle les maquillait avec l’imagerie occidentale pour se donner l’illusion qu’elle n’avait rien oublié. En vérité, la seule trace de ses origines Asiatiques était gravée sur son visage métissé. Elle avait oublié jusqu’à son identité originelle, remplacée par celle imposée par son père, Allemand pure souche : Eva Kleim.

Elle naquit sous ce nom dans l’étroit habitacle du véhicule partagé avec son géniteur, froid comme la glace, avec qui elle n’avait pas pu communiquer. Après quelques tentatives maladroites, il lui avait ordonné de se taire, de cesser de remuer sur son siège, et qu’elle allait devoir vite se débarrasser de cette langue de barbare. Durant tout le reste du voyage, il n’avait parlé que dans sa langue aux rudes intonations et elle s’était efforcée de comprendre.

Quel autre choix avait-elle, de toute façon ?

Ainsi se déroula son enfance, avec ce but : faire de son mieux, comprendre ce nouveau monde où on l’avait poussée, pour ne pas être complètement démunie et pouvoir s’en sortir. Elle accepta tout sans broncher : le voyage, l’emménagement en Allemagne, si différent de ce pays asiatique dont elle avait oublié la localisation, la cohabitation avec sa famille paternelle, leur hostilité, les leçons pour devenir une Kleim digne de ce nom. Elle avait pris sur elle, de son mieux, sans pour autant étouffer son tempérament volcanique.

Tempérament qui finira par exploser telle une éruption nourrie par la méchanceté gratuite, l’injustice de sa situation, l’austérité paternelle, le manque d’amour dont elle avait un besoin viscéral sous ses bravades de plus en plus vives. Éclats d’humeur qui ne seront plus étouffés arrivé à un certain âge, au point de faire prendre à sa vie un nouveau tournant et de provoquer une rencontre qui changera tout.

Mais n’allons pas trop vite. Il y a d’autres choses à narrer avant cela. Il faut d’abord parler de frau Kleim, de l’enfance d’Eva, de son demi-frère Hans, et surtout parler de ses parents. Éloignons donc un moment d’Eva pour se pencher sur ses origines et sa naissance improbable.

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