Hans

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Ce fut Hans dont Eva retint le prénom en premier, et pour cause : il se démarqua des autres par sa cruauté. Comme sa mère, il fut le plus virulent des enfants, la fratrie et les cousins. Il fut plus insultant que ses sœurs Paula et Wilma, plus agressif que ses cadets Hermann, Wilfried et Klaus, plus sadique que tous ceux-là réunis. Quand Frieda se contentait de lui faire écrire des lignes, Hans déchirait ses livres et ses cahiers. Quand Frieda critiquait son apparence, Hans lui tirait les cheveux et abîma ses robes. Quand Frieda la privait de repas, Hans la bombardait de nourriture. Quand Frieda la confinait dans la cave ou sa chambre, Hans venait la tourmenter.

Eva supportait les silences méprisants et les moqueries des autres enfants. Elle tenait le coup face à la mesquinerie de Frieda. Elle s’habituait aux absences de son père. En revanche, elle crut craquer face au sadisme de Hans. Il s’était inventé un jeu dans lequel elle était son jouet préféré. Plus âgé qu’elle de cinq ans, il ne lui était pas compliqué de la maîtriser et de l’attacher, quand bien même elle se débattait comme une furie. Ainsi saucissonnée, si fort qu’elle en gardait longtemps des marques violacées et devait attendre que le sang afflue dans ses membres pour pouvoir à nouveau, elle était totalement à sa merci.

Au début, Hans se contentait de la laisser ainsi et la regarder se tortiller comme un papillon épinglé à un cadre. Puis il en vint vite aux mains. Il lui tirait les cheveux, la tournait dans tous les et appuyait son pied sur son dos, son abdomen, sa tête voire sa gorge, juste pour la voir suffoquer. Il la frappait et riait de la voir tousser lorsqu’il ciblait son ventre. Eva avait beau faire attention, il l’attrapait toujours et personne ne lui venait en aide.

Le temps passa sans que rien ne change, sauf eux. Hans était adolescent, Eva restait une enfant. Elle continuait d’apprendre, ne ménageait pas ses efforts pour progresser, passait des heures et des nuits blanches à exceller. Fit face au mépris de Frieda qui lui reprochait de vouloir humilier ses enfants en les surpassant, sans que cela change quoi que ce soit. Elle restait la bâtarde jaune avec ses horribles yeux bridés. Tenait bon. Jusqu’au jour où Hans cessa de la voir seulement comme un divertissement.

Soudainement, son regard sur elle changea, ses yeux clairs hérités de leur père s’illuminèrent d’un éclat terrifiant. Il ne la frappa pas durant une nouvelle séance de torture. Il découpa sa robe aux ciseaux. La couvrait d’une attention répugnante. Palpa sa peau. Y dessina des entailles avec les lames affûtées des ciseaux. Y laissa des cicatrices et une honte cuisantes.

Jamais elle ne fut aussi heureuse de voir son père lorsqu’il les surprit ainsi. Eva avait hurlé sans discontinuer et, pour une fois, Ekkehardt lui avait accordé de l’attention. Le patriarche ne sut jamais vraiment qui il sauva, ce jour-là, en se ruant dans la chambre en compagnie de son épouse qui tentait de discréditer encore plus Eva à ses yeux, si cela était possible.

Sauva-t-il sa fille illégitime d’un acte contre-nature qui aurait pu arriver sans son intervention, alors que sa robe ne couvrait plus grand-chose car Hans voulait scarifier son ventre et ses jambes ?

Sauva-t-il son fils de la colère de la jeune fille, qui venait d’atteindre son point de non-retour et qui était décidée à ne plus rien laisser passer ? À peine libérée qu’elle arracha la paire de ciseaux de son demi-frère pour lui balafrer le visage et enfonça l’une des lames dans son œil droit.

Elle aurait pu le tuer, d’ailleurs elle le souhaitait ardemment à ce moment-là. Heureusement pour Hans - et la liberté d’Eva - la lame n’entra pas profondément dans son orbite. En revanche, il perdit son œil, une partie de sa vue et la notion de perspective, et écopa d’une longue et profonde cicatrice au visage. Autant dire qu’il ne s’approcha plus d’Eva, dont la colère était trop grande pour être à nouveau contenue, et qui ne chercha plus à plaire à quiconque.

Plus question de se renier elle-même. Elle s’habillerait, se coifferait, parlerait, se tiendrait comme elle le voulait. Ferait ce qu’elle voulait. Fréquenterait qui elle voulait. Et allait se faire entendre de son père qu’elle rejoignit dans son bureau sans attendre son autorisation. Elle voulait quitter cette maison.

- Fais comme tu veux ! Envoie-moi dans une pension d’où je fuguerais, paie-moi un logement, mais ne me laisse pas dans cette putain de baraque ! Si tu ne me fais pas partir, je tue ton taré de fils !

- Tu finiras en prison si tu fais ça. C’est comme ça que tu veux quitter cette maison ? Le confort te manquerait.

- Alors je vais le couler en disant tout, je ruinerais la réputation de ta famille ! Tu crois qu’on ne me croirait pas ? Les journalistes cherchent les scoops et les gens adorent critiquer ! Vrai ou non, ils voudront y croire et ça poursuivra Hans ! Je te jure que je vais le faire !


Tout le portrait de sa mère. Ne l’avait-elle pas menacé de faire des révélations compromettantes ? Et il était vrai qu’un fils sadique aux penchants incestueux feraient les choux gras des magazines à scandales. Mieux valait éviter, autant pour la réputation familiale, pour son fils et pour la discrétion dont il avait tant besoin.

Et pour prouver son sérieux, Eva devint infernale. Elle ne respectait plus rien ni personne. Elle ne se taisait plus, ne mâchait plus ses mots et ne baissait plus les yeux. Elle étalait son insolence jusque sous les yeux de son père, comme la fois où sa demie-sœur, Paula, critiqua sa tenue. Eva avait troqué les tenues austères et pudiques pour quelque chose de plus léger et coloré, et soit cela outrait Paula, soit cela attisait sa jalousie. Quoi qu’il en soit, elle exprima son mécontentement sous les yeux satisfaits de sa mère tandis que son père entrait dans la pièce. Il arriva juste à temps pour voir Eva se lever et, avec un sourire narquois, frapper violemment son aînée en plein visage. Frieda eut le malheur de crier d’indignation et ainsi attirer l’attention sur elle. Du revers de la main, Eva la cogna à son tour.

- Puisque c’est comme ça, tu me suivras dans mes voyages, mais je te préviens : tu ne t’amuseras pas et tu voudras revenir ici à force d’être seule dans des pays où tu ne connais personne et ne pourras pas créer de liens. Je ne te tiendrais pas compagnie, je ne t’aiderais en rien. Mis à part le toit sur ta tête et le personnel à disposition, tu seras livrée à toi-même.

- Tant mieux, je n’ai jamais voulu ta présence, juste qu’on me foute la paix.

- Ainsi soit-il, mais ne t’avise pas de me couvrir de honte.

C’était mal connaître Eva et encore la sous-estimer. Elle comptait bien le mettre devant ses méfaits accomplis.

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