Luciano - Destruction

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Au début, cela tenait du test. Eva voulait voir les réactions de Luciano, s’il pouvait partir à la moindre broutille. Le fait était que non, il lui en fallait plus pour qu’il s’en aille. Eva aurait pu s’arrêter là. Elle aurait dû s’arrêter là. Elle continua et fut emportée dans une spirale impossible à contrer.

Sa colère était plus forte, et les mots de son père avaient détérioré sa relation. Cela ne serait pas la première fois qu’on l’abandonne alors, pour changer et si c’était inéluctable, autant prendre les devants. Autant ne pas être celle qui serait blessée, pour une fois. Elle poussa donc Luciano dans ses retranchements, juste pour le mettre au défi de partir et avoir raison s’il le faisait.

La seconde erreur d’Eva fut de céder à son sens de la provocation et aux interdits. La drogue avait déferlé telle une lame de fond dans le monde et faisait des ravages parmi la jeunesse. Eva fit partie des curieux puis des victimes de ces substances illucites. Quelques années plus tard, ce fléau deviendrait médiatique, notamment avec la parution internationale d’un roman allemand : Moi, Christiane F., treize ans, droguée, prostituée. Pour l’heure, le mal était encore sous-jacent, les informations manquaient et les thérapies encore plus.

Comme beaucoup de jeunes, Eva tenta juste pour savoir ce que cela faisait et crut qu’elle pouvait arrêter quand elle le voulait. La sensation d’euphorie, l’évasion, l’oubli des soucis, semblaient en valoir la peine surtout quand on se sentait trop fort pour devenir dépendante. Cela n’arrivait pas qu’aux autres et Eva n’était pas différente. Elle tomba dans le piège.

Luciano n’apprécia pas de tomber sur la poudre blanche et elle vit l’horreur et la déception dans ses yeux. Et là encore, il ne la quitta pas. Ses jambes cassées avaient demandé des soins et des injections de morphine pour apaiser la douleur. Il connaissait ces sensations et les dangers de l’addiction. Il tenta donc de sortir Eva de cette gangue poudreuse. En vain. À trop lui tendre la main, ce fut lui qui se fit attirer vers le piège.

La drogue avait creusé un fossé entre eux. La peur de rester seul au bord de son précipice sans rien d’autre que voir Eva au bord du sien, trop lointaine pour l’atteindre, eut raison du jeune homme. Il se laissa sombrer avec elle, par amour. Et Eva continua de le détruire, l’addiction ne faisant qu’amplifier ses mauvais côtés.

Luciano tint le coup de son mieux, Eva ne réalisa sa patience que bien trop tard. Plus que de la patience, il l’aimait beaucoup trop pour la laisser tomber. Elle ne s’était pas montrée digne de cet amour. Sans pouvoir se contrôler, elle se montra odieuse, blessante, cruelle avec lui. Elle était devenue une Kleim digne de ce nom, et elle ne savait plus comment revenir en arrière.

La drogue les faisait dépérir. Elle creusait dans la chair et les faisait maigrir, elle dévorait les lambeaux de leur relation. L’euphorie et la légèreté avaient laissé place à l’irritabilité, l’angoisse de la crise de manque, le risque de la dose de trop. De la douce idylle ne subsistait plus que de l’amertume.

- Je ne vais pas pouvoir supporter ça très longtemps, Eva, sache-le…

- C’est ce que tu dis, pourtant tu restes alors épargne-moi ce chantage.

C’était vrai. Malgré sa méchanceté, ses rejets, ses mots durs et ses moqueries mesquines, Luciano restait près d’elle. Il craignait le pire, le jour où plus rien ne tiendrait entre eux. Il semblait préférer une compagnie aussi douloureuse plutôt qu’une séparation qui ferait trop mal. Au fond, il espérait que tout s’arrangerait, que l’Eva d’avant, celle dont il était tombé amoureux, reviendrait. Au lieu de ça, elle devenait de plus en plus insupportable.

Par moment, Eva avait quelques remords. Le regard blessé de Luciano, ses yeux qui devenaient encore plus tristes que lors de leur rencontre, son visage qui se fermait, sa façon de se replier sur lui-même, les paroles de plus en plus rares, les gestes tendres qu’il ne lui prodiguait plus… Tout ça faisait qu’elle culpabilisait, mais pas assez pour contrer sa colère et les effets de l’addiction.

Quand elle parvenait à voir les choses avec du recul et un œil extérieur, Eva se dégoûtait elle-même, se donnait envie de se frapper et même de mourir tant elle se montrait horrible. Des années plus tard, elle ne se pardonnerait toujours pas son comportement. Comme beaucoup de personnes, elle tentait de refaire le passé et de s’imaginer ce qu’elle aurait fait si elle pouvait remonter le temps. Chose impossible, elle ne faisait que se remémorer des souvenirs affreux. Elle avait été victime des Kleim et, à son tour, elle était devenue bourreau et n’avait aucune excuse.

Luciano avait beau l’aimer et faire de son mieux pour tenir le coup, il restait un humain avec ses limites. Il fallait bien qu’un jour, sa tolérance à la douleur psychologique soit plus que mise à mal mais pulvérisée. Il lui demanda pourquoi elle ne l’aimait plus, si au moins elle l’avait aimé ou s’il n’avait été qu’un passe-temps depuis tout ce temps. Il n’arrivait plus du tout à croire à la véracité de ce qu’ils avaient partagé au début, quand tout était encore rose.

Pour autant, il tint encore un petit peu et le coup fatal ne vint que plus tard, un jour où Eva ne pensait pas qu’elle lui ferait encore plus mal que d’habitude. Elle n’avait pas vu les signes ou, plutôt, n’avait pas cherché à les voir. Elle n’avait donc pas compris que Luciano était au bord de son précipice, à tel point qu’il cherchait à renouer avec sa mère qui l’avait pourtant toujours rejeté.

Voir son fils au plus bas n’avait pas éveillé la fibre maternelle de la rombière. Sous les yeux d’Eva, qui assistait de loin à la triste tentative de son petit ami, elle rejeta tout lien de sang avec l’enfant qu’elle avait mis au monde. Et, alors qu’il était assommé par le choc et la rejoignait en espérant souffler, Luciano eut droit à une seconde flèche en plein cœur de la part d’Eva. À deux et à quelques minutes d’intervalle, sa mère et sa petite amie parvinrent à lui briser le cœur.


Il resta silencieux face à cette énième mesquinerie que la jeune fille lui avait balancée en pleine figure. Dans un état second du fait de sa consommation mortifère, elle avait tout de même vu son regard choqué par tant de méchanceté gratuite, les larmes qui affluaient, puis la déprime s’abattre sur lui. Lentement, laborieusement, il s’était éloigné d’elle puis était parti. Eva l’avait complètement mis à terre, détruit. Elle ne l’avait pas retenu. Après tout, il revenait toujours.

Pourtant, cette fois, Luciano ne revint pas.

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