La vie, c'est cet éclair trop vif qui tranche l'existence en deux, m'a dit une fois Papa.

Son éclair à lui s'est évanoui bien des années auparavant, mais cette assertion est gravée dans ma tête comme une énigme insoluble, le genre de casse-tête foireux qui n'a cessé de perturber ma foudre personnelle. J'ai bien essayé de lui en parler à nouveau, de lui demander des précisions, mais chaque tentative se soldait par un sourire énigmatique et un changement de sujet bien maîtrisé.

J'avais dix ans lorsqu'il est mort, alors peut-être étais-je trop jeune pour comprendre la portée de son message ou simplement poser les bonnes questions.

Que reste-t-il de cette étincelle une fois toute l'énergie consommée ? Un écho tonitruant pour tous vos proches ainsi qu'un lointain vrombissement pour vos amitiés éphémères ? Le silence, éternel, infini ? L'éclair n'est plus, le tonnerre oublié ? Et aussi, qu'y a-t-il juste avant la vie ? Par quel miracle un jet de sperme au fond d'un vagin peut-il conduire à l'émergence d'un artiste capable de bouleverser ses pairs ; à un être tout aussi adorable qui passera ses journées à regarder Netflix en mangeant des chips ; à un fou furieux, pervers et manipulateur ; à un tueur ?

Ou à moi, un écrivain dopé aux hallucinations.

Si Papa ne m'a jamais réellement répondu, c'est probablement parce qu'il n'en a jamais eu la moindre idée, comme tout le monde – ou rien à faire, à mon avis –, qu'une existence avant la vie ou après la mort n'est qu'une construction de l'esprit pour nier l'évidence : nous ne sommes qu'un amas de neurones bouillonnant, eux-mêmes résidus d'étoiles mortes depuis des milliards d'années.

Nous ne sommes, ni plus, ni moins, que des astres brièvement doués de conscience.

Pourtant, malgré ma vision plutôt pragmatique de la vie, je pense que cet instant si bref où la lumière a jailli du néant, cet éclair décrit par mon père, est une expérience tout à fait unique et, ce qu'il y a de merveilleux, c'est que la vie elle-même peut engendrer la vie.

Aujourd'hui, je suis père à mon tour, comme une anomalie.

Tenir ce petit corps dans mes bras, si fragile, si innocent, ne change en rien ma vision du monde ou ma perception de la vie. Malgré les questions qui entourent l'énigme de Papa, j'ai toujours considéré la vie, au fond, comme un tout unique.

Ce qu'il y a avant, ce qu'il y a après, tout ça n'a pas de rapport avec notre éclair.

Tout juste reste-t-il un écho ou la rémanence du flash imprimée sur la rétine spirituelle de ceux qui nous ont côtoyés.

Mais la vie, elle, s'est juste terminée.

Ma fille entame un voyage magnifique. Peut-être ne durera-t-il que l'espace d'un coup de tonnerre, mais en tout état de cause, son périple se ponctuera inéluctablement d'un point final qui n'appellera jamais de second volet.

Je n'ai jamais pensé devenir père, vous savez. Longtemps, j'ai même cru que je mourrai seul, dans la misère et la tristesse. Aujourd'hui, père et mari accompli, alors que je tiens dans mes bras une nouvelle vie issue d'un amour que je n'espérais plus, j'ai envie de vous raconter mon histoire.

On me l'a demandé, il y a de cela quelques années.

La raconter sans filtre, sans romance.

La décrire telle qu'elle a été pour me conduire à cet instant.

Ce ne sera pas une histoire d'amour, rassurez-vous. Je les ai en horreur. Le miel et le sucre servent le dessert, certainement pas mes bouquins. Ce ne sera pas non plus une histoire d'horreur, même si elles sont mon histoire d'amour. Ce sera un constat sur les évènements de toute une vie et leurs conséquences, sur la magie et l'incongruité de certains jours, sur l'invraisemblable complexité de l'amour et ses corollaires.

Un constat sur le quotidien d'un homme simplement dépassé par une vision du monde irréelle et violente.

Mais reprenons depuis le début, voulez-vous. Enfin, pas vraiment depuis le début, mais par l'évènement, tout à fait volontaire, qui a déclenché des répercussions qui, elles, ne l'étaient pas.

Mon histoire commence donc le jour où j'ai décidé de tuer l'homme le plus important de toute ma carrière.