Chapitre 1
Aavani
Un an, s’était écoulé depuis la mort de la famille d’Aavani. Envolé, volatilisé, annihilé… Les adjectifs étaient nombreux. Aavani n'arrivait toujours pas à s’y faire.
Les yeux rivés sur la pierre tombale de son frère, Aavani se demandait s'il etait en paix à présent, si enfin il pouvait « vivre comme il le souhaitait ».Aavani, avait lu quelque part que la mort n’était que le commencement d’une nouvelle vie. Elle esperait de tout son coeur que ce soit vrai, car son frère plus que quiconque méritait d’avoir une nouvelle vie. De paix et de liberté. Aavani se fichait pas mal de ses parents. Ils ne l’avait pas aimé, ils l’avait privé de la joie d’une enfance normale. Elle ne leurs souhaitait pas l’enfer mais elle n’irait pas prier pour leurs salut.
Le cimetière était vide à cette heure de la journée, les gens commençaient à peine à sortir de leurs sommeils, la plupart des maisons baignaient encore dans l’obscurité. Pourtant Aavani était assise dans ce cimetière depuis plus d’une heure déjà. Cherchant un sens à tout ce qui c’était produit. Elle avait été retrouvée sous les décombres de la maison, complètement indemne, aucune blessure, rien du tout. Enfin, on lui avait rapporté qu'à son réveil elle ne cessait de crier et de chanter dans une langue inconnue.Si certains médecins y ont vu la trace de stress post-traumatique, d'autres, la majorité même y ont vu un signe de malfaisance, de malédiction, de présage funeste. Et depuis Aavani vivait à l’écart sous la surveillance des femmes du foyer de la ville. Un foyer ou l’on corrige la différence à coup de fouet et de séjour dans le noir pour apprendre à discerner la lumière et à entrer dans les rangs. Aavani était épuisée.
Les premiers mois, Aavani s’était alourdie l’esprit à l’aide de potions et d'élixirs pour oublier. A peine fermait-elle les yeux qu’elle revoyait sa mère et son couteau prête à la tuer. Parfois elle apercevait son frère couvert de sang et le corps désarticulé qui lui souriait, les yeux vides. Du sang s’écoulant de sa bouche quand il essayait de lui parler.Aavani qui avait déjà un sommeil extrêmement fragile, avait vue celui-ci se détériorer de plus en plus depuis le drame.Elle était toujours accompagnée d’ombres. Des ombres glissant sous ses pas, lui faisant voir ou entendre des choses qui n'étaient pas réellement là. Et après plusieurs passages aux cachots,elle avait vite compris qu’elle ne devait plus en parler, à personne. Elle avait donc essayé d’adopter un comportement “normal” et c’est grâce à ça qu’elle avait pu enfin sortir. Toujours sous surveillance mais après tant de temps enfermée, elle s’en fichait, elle se sentait libre à nouveau. Ses sorties se résumaient la plupart du temps à venir au cimetière.Il y avait toujours une sœur pour l'accompagner mais surtout pour la garder à l'œil, voir si elle avait de nouveau un comportement étrange. Les sœurs restaient toujours en retrait durant ses balades. Celle qui l’accompagnait aujourd’hui en faisait autant mais surveillait Aavani d’un œil suspicieux. Alors Aavani fit mine de prier sur la tombe de sa famille, une tombe vide. Aussi vide que son coeur.Il n’y avait pas de corps, sous les décombres juste elle et des éclairs illuminant le ciel noir. Mais elle venait quand même ici, les tombes étaient de toute façon étaient faites pour les vivants pas pour les morts.
Aavani se releva en époussetant sa vieille robe marron usée qui lui arrivait aux chevilles. Elle secoua ses pieds engourdie dans ses bottes noir tout abimé. Elle aurait pu s’acheter d'autres chaussures mais elle refusait de se séparer de ce vestige de sa vie passée. Un moyen d’être encore elle-même alors qu’on essayait encore et encore de la faire entrer dans un moule qui ne lui correspondait pas. Une bourrasque fit s’envoler ses cheveux noir ondulé, faisant remonter un frisson le long de son corps alors même que quelques larmes lui échappèrent.
- Aavani, si tu as terminé, nous devons à présent nous rendre à la Chapelle de la Sainte Foi, lança sœur Vivienne de sa voix la plus calme
- Oui je sais, j’arrive.
Aavani regarda encore une dernière fois la pierre tombale puis s’engagea à la suite de sœur Vivienne le long des petits sentiers qui traversaient le cimetière.Le trajet se fit dans un pieux silence comme toujours mais cela ne dérangeait pas Aavani qui préférait cela aux bavardages incessants des soeurs et leurs soi disant morale et codes de conduite. Et puis ce n’était pas comme si Aavani avait envie de lui parler ou de partager quoique ce soit avec elle. Si elle commettait cette erreur, elle savait très bien comment cela se finirait pour elle. Elle se retrouverait au cachot avec les sœurs psalmodiant leurs prières censées les sauver de son influence néfaste. Car elles ne pensaient pas, l’âme d’Aavani digne d’être sauvé non. Elle pensait son âme condamnée et parfois Aavani en arrivait à penser la même chose.
Les rues pavées du village crépitaient sous les pas d’Aavani, mais elle n’y prêtait pas attention du moins elle essayait car elle savait qu’elle était la seule à ressentir ce phénomène. “Des hallucinations démoniaques, c’est ainsi que les Sœurs avaient qualifié ses visions, qui étaient de plus en plus fréquentes. Mais Aavani avait appris à se taire et à faire abstraction. Les maisonnées s’illuminaient peu à peu, les commerçants ouvraient leurs établissements et la vie commençait à pointer le bout de son nez dans ses ruelles mornes aux travers des cris des marchands ambulants.
Aavani et soeur Vivienne arrivèrent enfin à la Chapelle de la Sainte Foi, au bout d’un quart d’heure de marche. La bâtisse de mur blanc s’élevait en de multiples tours et de pointes, donnant un aspect austère au lieu. S’imposant aux villages et à ses habitants. On aurait presque dit qu’elle était sortie du sol, poussant selon son bon désir sans aucune harmonie structurale. Les cloches se mirent à sonner, annonçant le début des prières. « Va prendre la relève de Célia, c’est toi qui sonnent les cloches jusqu’à nouvel ordre. Je te conseille de rester concentrée.» Sœur Vivienne, ne donna pas le temps à Aavani de répondre. Elle se dirigea à l'intérieur afin de préparer le reste de la matinée à commencer par les différentes prières. Aavani quant à elle, se dirigea vers son poste le regard fixe et fermé pour ne pas avoir à parler à qui que ce soit.
Aavani avait conscience que la plupart des filles ici n’étaient pas méchantes, certaines étaient même profondément gentilles. Mais elle s’était fait la promesse de plus s’attacher. Le prix avait été trop douloureux à payer la dernière fois.Quelques mois après son arrivée, Aavani s’était attaché à l’une de ses compagnes de chambre. Lilya, une jolie blonde avec l’âme aussi pure et belle que l’aurore après une nuit d’orage.Aavani lui avait confiée certaines de ses visions et Lilya ne l’avait ni dénoncée ni rejetée non elle avait essayait d’aider Aavani.Mais ici ce qui est beau et innocent finit toujours par être détruit. Aavani n’avait jamais su qui les avaient dénoncées mais elle avait reçu des coups de fouet et avait fini dans le cachot pendant des jours.Sans savoir que Lilya avait été noyée car ils pensaient tous que son âme avait été corrompue. Alors depuis Aavani s’était enfermée dans sa solitude. Elle se glissa à son poste et observa le cérémonial du jour « Je suis si fatiguée. Je suis sûre qu’une chute d’ici serait mortelle. J’en ai tellement marre de faire semblant!D’être si seule. »
Aavani soupira. Elle jetait sans des coups d'œil au petit sablier qui l’aider à savoir quand sonner les cloches.Mais aujourd’hui elle n’arrivait pas à détacher son regard du vide. Il fallait du courage pour sauter mais Aavani n’avait pas ce genre de courage.Le courage s’était peut être de ne pas en avoir envie se dit-elle.Son rythme cardiaque qui s’accélérait, le choix qui s’offrait à elle. Faire des choix avait toujours été un concept difficile pour Aavani.
- Sauter ou vivre, peu importe ! Mais choisis, qu’on en finisse.
Aavani sursauta.La voix qui avait surgit dans son dos était grave, légèrement éraillée et profonde. Aavani ne se retourna pas, non elle serra la balustrade de toutes ses forces. Parce que cette voix, elle la connaissait. Elle aurait pu la reconnaître entre mille.Car dans ses cauchemars les plus sombres, Aavani entendait cette voix l’appeler, l’invectiver. Creusant en elle un désir insoutenable de fuir, de tout quitter. Mais elle n’y avait jamais prêtée attention car elle avait toujours cru que cette voix n’était que le fruit de son imagination. Mais aujourd’hui elle était là cette voix. Intense et profonde et si proche qu’Aavani en sentait le souffle chaud de la voix qui caressait la nuque.
- Qui es-tu ?demanda Aavani dans un murmure.
- Tu poses les mauvaises questions ma chère. Susurres la voix de plus en plus proche. Indécise comme toujours, continua la voix d’un air hautain.
- Tu ne me connais pas ! répondit Aavani en serrant de plus en plus la balustrade.
- Ah oui? se moqua la voix, Tu ne te connais pas toi-même, une fille maudite dans une ville maudite ! Prisonnière du Vishv Jel, tu ne sais rien! cracha la voix avec une pointe de véhémence.
- Alors éclaire ma lanterne, toi qui semble tout savoir ! éructa Aavani, Ou casse-toi !
- Tu veux sauter ou vivre ? demanda la voix
- Je… Je ne sais pas…
Et le pire c’est qu’Aavani disait la vérité. Elle ne savait vraiment pas si elle voulait vivre ou mourir. Si elle préférait sauter ou continuer à se battre pour un avenir plus qu’incertain. Aavani soupira.La souffrance et la solitude étaient devenues ses plus proches amies. Mais il n'empêche que c’était sa vie aussi pourrie soit elle. Et Aavani devait aussi admettre qu’elle avait trop peur du néant pour vouloir autre chose que vivre. Aavani recula légèrement.
- Sage décision, roucoula la voix, on se retrouve bientôt alors.
Dans un courant d’air froid, la voix avait disparu.
Aavani bascula par-dessus la balustrade, essayant de se rattraper en vain, mais elle chuta. « Non je ne veux pas mourir ». Il l'avait poussé, Aavani hurla et dans le crépitement de l’air elle entendit encore une fois sa voix « Retrouve-moi ! »
Aavani atterrit dans un fracas immense en plein milieu de la Chapelle, entourée des sœurs, et des prêtres de la Foi, qui la fixaient ahuris.
«Je suis vivante!»
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