Chevron 7

5 minutes de lecture

Abandonnant définitivement leur première proie, qu’ils devaient juger moins intéressante que la nouvelle venue, les trois hommes commencèrent à s’approcher d’elle. La jeune fille, libre mais toujours en panique, la regardait d’un air perdu, Arténiss lui indiqua d’un coup de tête la rue qui menait vers l’avenue principale. Reprenant ses esprits, la pauvre lui jeta un dernier regard désolé et s’enfuit en courant.

Elle reporta son attention sur les trois hommes. Le premier à l’avoir vue, qui dépassait d’une tête ses deux compagnons, roulait des épaules et marchait avec l’assurance de celui qui dirige. Ou du moins essayait. Sa tentative d’exhibition était grandement compromise par sa démarche approximative et chaloupée, que ses deux comparses arboraient également. Elle n’avait pas besoin de plus de luminosité pour voir qu’ils étaient complètement saouls.

Lorsque le premier l’eut atteint, il lui attrapa le bras et ouvrit la bouche pour parler. L’odeur nauséabonde qui en sortit confirma l’état d’ébriété dans lequel il se trouvait.

- Salut ma belle, belle soirée n’est-ce pas ? dit-il en désignant le plafond rouillé et sale qui les surplombait. Ça te dirait de la passer avec trois gars sympas ? On pourrait s’amuser un peu…

Ses yeux injectés de sang s’étaient posés avec tant d’assistance sur sa poitrine qu’elle la sentit presque la brûler. D’un geste parfaitement contrôlé, elle se dégagea de la prise de l’homme, qui semblait pourtant dix fois plus fort qu’elle.

- Ne me touche pas.

Quatre mots. Prononcés avec calme. Ni une demande, ni un ordre.

Un conseil.

L’homme parut surpris, à la fois par son ton serein et par la facilité avec laquelle elle s’était dégagée. Après un instant de ce qui aurait pu ressembler à de la réflexion si elle l’avait cru capable d’effectuer un exercice de la sorte, son sourire s’élargit.

- Tu joues la fille sûre d’elle ? J’aime ça. Mais je vois dans ton œil que tu as très envie de venir t’amuser avec nous, pas vrai les gars ? fit-il d’une voix grasse, dégoûtante.

Agacée, elle posa la main sur son crochet. Le Chaqui le remarqua et claqua de la langue. Portant la main à sa propre ceinture où un coutelet de cuisine était attaché.

- Tu n’auras pas besoin de ton cure-dent ma jolie, je vais te montrer quelque chose de bien plus imposant.

Alors qu’il prononçait ses mots, l’un de ses comparses, qui semblait plus lucide que ces deux compagnons, eut une réaction un peu plus appropriée face à la découverte de l’arme d’Arténiss : il recula d’un pas et l’observa plus attentivement. Après quelques Temps, son visage devint soudain livide. Il balbutia :

- Attends un Temps, je crois que la connais. Cette fille ne serait pas…

Mais son camarade ne l’écoutait pas, trop saoul ou trop sûr de lui pour lui porter attention. Il tendit la main vers elle et voulut l’attraper à nouveau, mais elle évita son geste sans problème. Il s’en agaça et fit signe aux deux autres de l’aider. Malgré sa réticence, le prudent jeta un œil au troisième homme et sembla retrouver un semblant de confiance en constatant leur avantage numérique et physique évident. Ils s’avancèrent et l’encerclèrent.

- Allez, cesse de faire l’indépendante et viens avec nous, ça t’évitera d’être blessée. Crois-moi, ça vaut mieux pour toi.

Elle dut se rendre à l’évidence. L’homme avait raison.

Sur deux points en tout cas.

Le premier, c’est que son arme ne lui servirait à rien.

Le second, c’est qu’elle avait soudainement envie de s’amuser.

Tout en courant devant les quatre Gardiens qui la suivaient, la jeune fille chuchotait des prières à Kiel, le suppliant de lui avoir laissé assez de temps pour aller chercher de l’aide. Elle revit le visage de la jeune femme, son œil violet et ses longs cheveux bleu vert. Elle lui avait semblé si forte, et à la fois si frêle. Elle ne voulait pas imaginer ce que ces trois porcs pouvaient lui faire. Elle connaissait les hommes comme eux, elle avait eu affaire à ce genre de personnes plusieurs fois auparavant, avait dû céder à leurs avances à de nombreuses reprises pour ne pas perdre plus que sa dignité.

Ce soir avait été la fois de trop, elle avait failli verser une larme et la jeune femme l’avait prise en pitié, ratant l’occasion de passer son chemin. Elle n’aurait aucune chance. En voulant l’aider, elle allait subir les choses à la place de l’incapable qu’elle avait sauvé, elle qui avait échoué tant de fois et qui méritait ce qui lui arrivait.

Elle tourna au coin de la rue qui menait au jardin abandonné, puis laissa les Gardiens passer devant elle.

- C’est ici, leur dit-elle, faîtes vite je vous en supplie.

Les quatre hommes, armés de lances et équipés de légères armures, se précipitèrent dans le parc intérieur.

La jeune fille n’osa pas regarder. Immobile et silencieuse, elle attendit les premiers bruits de l’affrontement. Elle ne perçut que le silence. Ses agresseurs avaient-ils déjà quittés les lieux ? Comment allait celle qui l’avait sauvée ? Après quelques Segments qui lui parurent des Chevrons, deux des Gardiens revinrent vers elle.

- Pouvez-vous nous décrire la jeune femme ? Nous voulons être sûrs qu’il s’agit bien d’elle.

Elle eut un hoquet de désespoir. Elle était arrivée trop tard. Elle aurait dû rester, tenter de l’aider à se défendre. Elle aurait dû…

- Mîr ? Décrivez-nous la jeune femme s’il vous plaît.

Les larmes coulaient sur ses joues. Elle voulut fuir, mais se retint de justesse. Elle devait au moins trouver le courage de répondre.

- Elle… Elle était un peu plus grande que moi. Elle avait un band… un bandeau sur l'œil et avait de longs cheveux bleus. Sa peau était teinte d’une couleur foncée. Elle portait une tenue à mi-chemin entre un habit de travail et une robe ... Je n'en avais jamais vu de pareil, je ne sais pas comment ça s'appelle.

- Une tenue rouge, c’est ça ?

Elle hocha la tête.

- Il aurait fallu nous prévenir avant …

Elle le savait. Pourquoi cet homme le faisait-il remarquer ? Elle savait qu’elle aurait dû courir plus vite, les trouver plus vite, les ramener plus vite.

- … nous n’aurions pas fait le déplacement.

Quoi ?

Elle releva la tête. Les deux Gardiens avaient un sourire malicieux, au bord du rire.

- Qu’est-ce que… ? commença la jeune fille, dont les larmes avaient cessé sous le coup de la surprise et de l’incompréhension.

- Tu devrais aller voir par toi même, la coupa l’un des hommes en armures.

Ils s’écartèrent pour la laisser passer. Chancelante, elle fit un pas, puis deux. Entra dans le jardin. Elle n’en crut pas ses yeux.

- La Pieuvre, fit le troisième Gardien en se redressant, les idiots n’avaient aucune chance.

À ses pieds, les trois agresseurs, en sang, gémissaient de douleurs.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 12 versions.

Vous aimez lire Alyss ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0